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Grande lessive à l’Assemblée nationale

File 20170622 11964 1jz7eanLe Palais Bourbon (ici en 2006).
tamadhanaval/Flickr, CC BY-SA

Dominique Andolfatto, Université de Bourgogne

« Moi, quand on m’en fait trop j’correctionne plus, j’dynamite, j’disperse et j’ventile. »

Cette célèbre réplique de Bernard Blier dans Les Tontons flingueurs pourrait s’appliquer à l’Assemblée nationale élue en 2012. Les électeurs viennent en effet de la renouveler profondément, et même comme jamais ils ne l’avaient fait sous la Ve République, pas même en 1958 lors du retour au pouvoir du général de Gaulle qui avait tourné la page d’une IVe République engluée dans la guerre d’Algérie et paralysée institutionnellement.

Un taux de survie extrêmement bas

Cette Assemblée de 2012, dominée par le PS et, à l’origine, glaive d’un président – François Hollande – qui s’était donné pour ennemi la finance, s’est en effet volatilisée au soir des 11 et 18 juin 2017. Seuls 148 sortants sur 569 ont conservé leur siège (l’Assemblée comptant 577 sièges mais 8 sièges étaient vacants au moment du scrutin).

Cela signifie que le taux de survie des députés sortants n’a pas dépassé 26 % contre 57 % pour les élus de 2007 ou ceux de 2002, 52 % en 1997 et 1993, 67 % en 1988, en dépit d’alternances récurrentes. Soit un taux de survie qui a été plus que divisé par 2 et permet de prendre la mesure du « dégagisme » selon un terme et un processus qui a caractérisé les élections de 2017.

Dès lors, on n’a jamais compté autant de nouveaux députés au Palais Bourbon : 422 (si on s’en tient strictement aux sortants) ou 415 officiellement (puisque parmi les nouveaux, on compte des anciens qui, le plus souvent devenus ministres, ne siégeaient plus sur les bancs parlementaires). Or, aucune Assemblée de la Ve République n’a jamais connu autant de novices.

Pour trouver un précédent record, il faut remonter aux origines du régime, en 1958 : 310 nouveaux députés sur 579. Soit encore une bonne centaine de moins qu’en 2017. Suivent les alternances de 1993 puis de 1981 (voir le document ci-dessous). Cela tend presque à relativiser le renouvellement parlementaire qui avait suivi l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, première alternance sous la Ve République. Il avait affecté 44 % des députés alors que celui qui a suivi l’élection d’Emmanuel Macron en concerne 72 %.

Proportion de nouveaux députés par rapport au nombre de sièges de l’Assemblée nationale (en %).
Cevipof, Assemblée nationale, D. Andolfatto

Ceci dit, comment expliquer qu’une très grande partie des députés de la 14e législature (2012-2017) se soient volatilisés ?

Valse de sièges

Si les élections législatives servent à pourvoir 577 sièges à l’Assemblée nationale, ce sont quelque 643 parlementaires qui, en réalité, se sont succédé au cours de la mandature 2012-2017. Un certain nombre de députés, au cours de cette période, sont en effet entrés au gouvernement et ont laissé leur siège à leur suppléant avant, parfois, de le récupérer en cas de démission de leurs fonctions ministérielles, puisque la révision constitutionnelle de 2008 le permet désormais.

Bernard Cazeneuve, ex-premier ministre et député pour quatre jours…
Parti socialiste/Flickr, CC BY-NC-ND

Ainsi, on a pu observer que Bernard Cazeneuve, qui a quitté Matignon à la mi-mai 2017, a récupéré son siège de député un mois plus tard pour ne l’occuper que 4 jours, puisque son mandat a pris fin le 20 juin. Ce retour de l’ancien Premier ministre à l’Assemblée paraît donc curieux puisque celle-ci ne siégeait plus et que Bernard Cazeneuve ne se représentait pas. Peut-être cela s’explique-t-il pour des raisons pécuniaires, l’Assemblée nationale servant des indemnités de chômage généreuses à ses membres sortants non réélus et sans travail. Mais cela ne reste qu’une hypothèse.

Plus largement, le nombre de 643 députés au cours de la période 2012-2017 s’explique surtout par des démissions et quelques décès (voir le tableau ci-dessous). Au total, 5 députés sont morts en cours de mandat (Olivier Ferrand, Sylvie Dessus, Anne Grommerch, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel).

Que sont devenus les députés de 2012-2017 ? (en %).
D. Andolfatto

Plus d’une vingtaine ont démissionné pour diverses raisons : à la suite d’affaires judiciaires et de condamnations (Sylvie Andrieux, Jérôme Cahuzac), pour des raisons de santé (Jean‑Louis Borloo, Armand Jung), pour privilégier des fonctions exécutives locales, surtout après les élections régionales de 2015 (Xavier Bertrand, Gérard Darmanin, Chistian Estrosi, Hervé Morin, Valérie Pécresse). Mais la plupart des démissions font suite à des nominations au gouvernement puis, concernant Laurent Fabius et Pierre Moscovici, au Conseil constitutionnel et à la Commission européenne.

Quelques députés ont été nommés à la tête d’institutions diverses. François Brottes, député PS, spécialisé dans les questions énergétiques et ancien président de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, a pris la direction de Réseau de transport d’électricité (RTE). Bernard Roman a été nommé à la tête de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER).

Si ce dernier n’avait pas de compétences particulières dans ce domaine, cela devait permettre de libérer son siège de député pour favoriser l’installation à Lille de François Lamy et sa réélection au Parlement, en attendant la succession de Martine Aubry… Mais l’ex-député de l’Essonne et ex-ministre délégué à la Ville a été défait dès le premier tour aux dernières élections. Enfin, Christophe Caresche, député PS de Paris, a quitté le parlement pour la direction de la Société de valorisation foncière et immobilière (SOVAFIM).

Trois autres députés, dont François Baroin, ont été élus au Sénat. Enfin, deux députées se sont vus confier des missions de plus de six mois et ont donc dû céder leur siège à leur suppléant. Cela a, par exemple, permis à Sandrine Hurel, épouse d’un sénateur, d’être remplacée au Palais Bourbon par sa belle-fille, Marie Le Vern.

Député, une expérience mitigée

Mais le fort renouvellement de l’Assemblée en 2017 s’explique surtout parce qu’un grand nombre de sortants (224) ont décidé de ne pas se représenter. Au moins quatre raisons l’expliquent et peuvent, parfois, se combiner :

  • la mise en œuvre de la loi du 14 février 2014 interdisant à compter de juillet 2017 le cumul entre le mandat de député et une fonction exécutive locale ;
  • l’âge et la volonté de favoriser le renouveau ;
  • la crainte de la défaite dans un contexte très défavorable au PS (or, une majorité des sortants lui appartenaient) ;
  • une lassitude et le choix d’une réorientation de carrière.

En réalité, seul le premier cas de figure est réellement quantifiable. On peut l’estimer à plus de 100 cas : choix de la présidence de conseils régionaux, de conseils départementaux, d’intercommunalités ou de la fonction de maire (voir tableau ci-dessous).

Les principaux mandats locaux préférés à celui de député.
D. Andolfatto

Cependant, s’agissant souvent de petites villes, on peut se demander si la crainte de l’échec ne l’a pas emporté, comme dans le cas de Nathalie Nieson, maire de Bourg-de-Péage (Drôme), qui a livré un témoignage assez mitigé sur son expérience de député (La députée du coin, Seuil, 2016). De fait, il faut compter avec quelques députés plus ou moins déçus par rapport au métier parlementaire et ayant décidé de se réorienter vers le monde de l’entreprise ou des activités sans doute plus rétributrices, tant en rémunération qu’en pouvoir : Luc Chatel, Laurent Grandguillaume, Marion Marechal-Le Pen… Enfin, quelques sortants, pris dans l’étau d’affaires diverses ont dû s’effacer : Denis Baupin, Nicolas Bays, Paul Giacobbi, Bruno Le Roux, Thomas Thévenoud…

The ConversationReste le grand nombre de sortants qui ont été battus, dès le premier tour (118) puis au second tour (79). Le fait qu’une cinquantaine de ceux qui se représentaient aient obtenu le label « La République en Marche » ou ne se soient pas vu opposer un candidat de cette formation nouvelle a évité que le nombre de sortants battus ne soit plus important encore. Mais, parfois, cette martingale n’a pas suffi comme dans le cas de Marisol Touraine.

Dominique Andolfatto, Professeur des Universités en science politique, Université de Bourgogne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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