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Et le vainqueur est… le populisme

Luc Rouban, Sciences Po – USPC

Le Pen contre Mélenchon (capture BFMTV)
Le Pen contre Mélenchon (capture BFMTV)

Le premier tour de l’élection présidentielle de 2017 a mis au jour la transformation de l’espace politique français. Cette transformation apparaît clairement dans le faible score cumulé par les candidats des deux principaux partis politiques qui ont dominé la scène électorale depuis 1981. Au total, François Fillon pour LR et Benoît Hamon pour le PS ne totalisent que 26 % des suffrages exprimés alors que 74 % de ces suffrages sont portés par des candidats qui n’ont ni joué le jeu des primaires ni dominé la vie parlementaire avec leurs députés depuis des décennies. The Conversation

Mais la vague de fond de cette élection présidentielle est bien l’installation du populisme dans la vie politique française puisque les candidats s’en inspirant, d’une manière ou d’une autre, réunissent globalement la moitié de l’électorat.

Le populisme repose sur l’argument suivant : le peuple (notion qui a fait son grand retour dans le discours politique sans qu’on cherche à l’expliciter) sait ce qui est bon pour lui. En conséquence, il n’a pas besoin de représentants politiques, la fracture oligarchique entre lui et les élites est insupportable, la construction européenne est condamnable.

De la même façon, l’étude intellectuelle ou scientifique de la société ne sert à rien : les sondages sont imprécis et constituent des manipulations auxquelles se prêtent les médias, affirmation maintes fois répétée et démentie au soir du 23 avril. La campagne électorale a bien illustré tous ces thèmes. La grande victoire de l’élection présidentielle de 2017 est bien celle de l’argument populiste, qu’il soit porté par le souverainisme, par l’affirmation identitaire ou par quelques demi-savants.

L’ancrage du populisme dans le paysage politique français

Si on accumule les scores des candidats populistes du premier tour – soit la totalité moins François Fillon, Benoît Hamon et Emmanuel Macron – on s’aperçoit qu’ils totalisent au soir du 23 avril 2017 environ 50 % des suffrages exprimés. Ce résultat est corroboré par l’enquête électorale française du Cevipof qui montre à quel point les notions populistes se sont ancrées dans les représentations collectives (vague 13 réalisée entre le 16 et le 20 avril 2017.

On dispose en effet de cinq questions permettant de mesurer le degré de populisme des enquêtés et qui constitue bien une échelle d’attitude (alpha de Cronbach = 0,685) :

  • les députés à l’Assemblée nationale devraient suivre la volonté du peuple ;
  • les décisions politiques les plus importantes devraient être prises par le peuple et non par les hommes politiques ;
  • les différences politiques entre les citoyens ordinaires et les élites sont plus importantes que les différences entre citoyens ;
  • je préférerais être représenté par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel ;
  • les hommes politiques parlent trop et n’agissent pas assez.

Chacun de ces items obtient des proportions variables de réponses positives (notes de 4 et 5 sur une échelle allant de 0 à 5). L’immense majorité est d’accord avec l’affirmation selon laquelle les députés doivent suivre la volonté du peuple ou que les hommes politiques parlent plus qu’ils n’agissent (80 % et 84 % de réponses positives).

En revanche, si 71 % des enquêtes sont d’accord avec le fait que les différences politiques entre les citoyens ordinaires et les élites sont plus importantes que les différences entre citoyens, ils ne sont plus que 57 % à soutenir l’idée que les décisions les plus importantes devraient être prises par le peuple plutôt que par les hommes politiques et 51 % « seulement » à préférer être représentés par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel.

Quels que soient les débats que ces questions peuvent poser, notamment dans l’utilisation de notions assez floues comme le « citoyen ordinaire », il reste que la critique de la représentation politique et de la professionnalisation des élus est forte.

Si l’on crée sur cette base un indice de populisme comptant le nombre de réponses positives et allant donc de 0 à 5, on voit que le niveau moyen d’adhésion à ces thèses est très haut puisque 69 % des enquêtés se situent au moins au niveau 4 de l’indice. On peut ensuite « dichotomiser » cet indice, ce qui permet de simplifier les calculs en distinguant les 55 % ayant un niveau élevé de populisme des 45 % ayant un niveau de populisme faible ou modéré.

Tableau 1 – Indice de populisme (%)

Le populisme touche même les plus diplômés

Le niveau moyen de populisme fort ne varie ni en fonction de la situation économique (actif, chômeur, retraité ou inactif) ni de l’appartenance au secteur indépendant, au salariat privé ou public ni en raison de la tranche d’âge. Il dépend, en revanche, du niveau de diplôme puisque l’on passe très régulièrement de 63 % de « populistes forts » chez les enquêtés de niveau BEPC ou CAP à 40 % de ceux qui sont diplômés d’une grande école.

Cette corrélation se retrouve évidemment dans le jeu des catégories socioprofessionnelles. Si 44 % des membres des professions libérales ou des entrepreneurs ou 45 % des cadres sont fortement populistes, cette proportion passe à 58 % chez les employés du privé comme du public et à 64 % des ouvriers qualifiés du privé.

Au total, cette proportion est de 59 % dans les catégories modestes, de 54 % dans les catégories moyennes et de 44 % dans les catégories supérieures, ce qui montre que le malaise démocratique dépasse de loin le seul horizon des milieux populaires. La différence joue ici sur le niveau de rejet de la politique professionnelle. Néanmoins on trouve encore 38 % des membres des professions libérales et des patrons (contre 56 % des ouvriers) qui préféraient être représentés par des citoyens ordinaires plutôt que par des élus professionnels.

Les notables de la politique contre les populistes

Comme le montre le tableau 2, le degré de populisme varie sensiblement selon les électorats et reste associé au niveau de soutien à la construction européenne de leur candidat.

Le niveau de populisme de l’électorat de Jean‑Luc Mélenchon est similaire à celui que l’on trouve dans l’électorat de Marine Le Pen. Seuls les électorats des candidats d’En Marche !, de LR et du PS, eux-mêmes assez représentatifs des élites notabiliaires françaises, souscrivent relativement moins à la remise en cause des élus et de la démocratie représentative.

Quant aux « petits candidats », leur électorat est encore plus populiste, qu’il soit de droite ou de gauche. C’est peut-être en ce sens qu’il faut comprendre le sens de l’argument selon lequel le clivage droite-gauche est dépassé alors même que ces électorats ne partagent nullement les mêmes valeurs économiques ou sociétales.

L’opposition entre les populistes et les « élitistes », qui prend tout son sens dans la confrontation de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, réactive la confrontation historique entre les tenants de la démocratie directe et les partisans d’une démocratie libérale laissant une assez grande marge de manœuvre aux représentants dans l’exercice de leur mandat.

Elle génère aussi des perceptions assez différentes de la vie politique, les populistes inscrivant plus souvent leur choix politique sur le registre de la colère. C’est ainsi que 62 % des électeurs fortement populistes contre 41 % de ceux qui le sont moins disent éprouver de la colère face à la situation actuelle de la France.

Tableau 2 – Le niveau de populisme par électorat (%)

Ces premières explorations rapides montrent que la demande de renouveau politique passe aujourd’hui par une remise en cause générale de la démocratie représentative moderne née des révolutions américaine et française qui implique des mandats non impératifs, des élus compétents formés au métier politique mais aussi une séparation franche entre ce qui relève de l’espace public et ce qui relève de la sphère privée. Les résultats du premier tour de la présidentielle de 2017 signifient que la question va peser lourdement sur le prochain quinquennat.

Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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