Emmanuel Macron, sur le plateau de TF1, le 12 mars 2017.
Bertrand Guay/AFP
Virginie Martin, Kedge Business School
Dans la bouche des candidats à l’élection présidentielle, il est de bon ton de parler de « rationalité », de « pragmatisme », de « cohérence », de « faisabilité », de « réalisme ». Le vocabulaire économique classique ou plutôt celui de l’entreprise gangrène tous les jours le monde de la chose publique, le monde de la bataille des idées et de la gestion de la cité.
Parallèlement, on reproche à des candidats comme Benoît Hamon d’être idéaliste, d’être dans l’utopie, d’être irréaliste. Ces épithètes étant entendues comme des insultes, voire des formes d’incompétence. Comme s’il n’y avait plus besoin en politique de proposer un souffle, un élan, de projeter la société dans l’avenir et de contraindre l’environnement pour le rendre meilleur.
Cela paraît totalement déplacé, hors de propos. « Imaginer » l’action publique est désormais interdit, il s’agit simplement de la chiffrer, l’évaluer, la mettre sous les fourches caudines de la comptabilité
Cette vision peut rendre plus que jamais crédible la thèse de Anthony Downs sur la théorie économique de la démocratie rapportée à la rationalité du parti-mouvement politique qui n’aurait plus rien à faire avec l’altruisme, l’idéalisme, la bataille culturelle. Tout cela serait mis au ban de la chose politique pour cause de ringardise, de folie, d’irréalisme. Nous sommes bien, dès lors, dans cette théorie économique voire gestionnaire de la démocratie.
Que faire face à la cohérence, sinon être incohérent ?
Le problème de cette mise en rationalisation est qu’elle tient en elle même les caractéristiques d’une idéologie ; elle n’a de rationalisation que le nom.
Pour exemple, François Fillon affirme que les idéologies sont mortifères (au Trocadéro, le 5 mars 2017). Pourtant son programme est pétri – et c’est bien normal pour un candidat LR – d’idéologie : celle d’une vision libérale du monde, accompagnée d’une conception traditionnelle des questions de société. Le tout étant de faire passer cette idéologie pour rationnelle, froide, cohérente, pragmatique, bref, a-idéologique. Foucault dirait qu’autant de rationalisation offre, à tous les outils de coercition, leur justification. Nous pourrions rajouter que cela esquive l’essence même du débat politique, car que faire face à la cohérence, sinon être incohérent ?
Un peu dans la même veine, Emmanuel Macron (qui n’a pas toujours renié l’idée d’idéologie, (http://www.esprit.presse.fr/article/macron-emmanuel/les-labyrinthes-du-politique-que-peut-on-attendre-pour-2012-et-apres-35981) affirme dans son livre qu’il ne croit pas que la politique doive apporter le bonheur (http://www.xoeditions.com/livres/revolution/) et qu’elle doit juste donner les moyens à chacun de s’émanciper. Pas question d’espérance, de bonheur – collectif – de destin à partager, juste des individus atomisés dans une société individualisée dans laquelle la politique ne sert plus que de cadre minimal.
Aucun programme n’est exempt d’idéologie
Presque logiquement, lors de la présentation de son programme le candidat affirmait : vous verrez (en parlant de son programme), il est « cohérent ». Un programme cohérent, nous voilà de nouveau dans cette langue post-politique, privée de ses atours idéologiques. Et là encore, comme chez François Fillon, le programme n’est pas exempt d’idéologie, en l’occurrence d’inspiration plutôt libérale.
De deux choses l’une, soit les idéologies sont mauvaises pour la politique et rendent les programmes utopiques, soit, l’idéologie se meut dans ce langage post-politique aux atours de cohérence et de rationalisme…
Dans ce cas, bien sûr, nous sommes en plein dans un débat politique qui ne dit pas son nom, dans une idéologie qui avance masquée sous les traits de la comptabilité et du chiffre.
Entre a-politique et post-politique
La rationalisation du politique à outrance, la cohérence mise en avant de toute argumentation, le mépris des idéologies, des clivages, des désirs, cela nous montre les signaux faibles de la fin du politique. Et avec la fin du politique, avec ce cadre a-idéologique pouvons nous encore faire société, nous citoyens, si les politiques eux ne font plus de politique ? Bruno Étienne s’en inquiétait déjà notamment à cause de l’ultra mondialisation et de l’individualisme forcené, deux marqueurs qui nous amènent selon lui à la fin du politique. (Bzruno Étienne Fin du politique ou fin de la politique, La pensée de midi)
La politique semble en fait ne plus ressurgir qu’en cas de force majeure. François Hollande, qui est en train de finir son quinquennat dans le silence, comme une fin de quinquennat à blanc, se lance dans la bataille contre le FN ; mais est-ce là une bataille vraiment politique, ou juste une posture morale ?
Car, pour contrer une force comme le FN, il faut justement faire de la politique, travailler à la bataille culturelle et assumer des corpus idéologiques. Cela demande plus qu’une posture morale à 40 jours d’une élection.
Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business School
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.