Yves Petit, Université de Lorraine
Le Brexit, conséquence du référendum du 23 juin 2016, est certainement une catastrophe dont l’Union européenne se serait bien passée. Sans exagération, il représente tout d’abord un coup dur pour le Royaume-Uni, surtout quand on sait que l’Écosse, désireuse de se maintenir au sein du marché unique, est tentée par un second référendum. Un coup dur également pour le processus d’intégration européenne, car il est difficile de mesurer à l’heure actuelle l’ensemble de ses répercussions. À ce titre, l’année 2017 devrait être riche en événements et rebondissements.
C’est d’autant plus vrai que ce phénomène inédit, qui voit un État membre quitter l’Union européenne, n’en est qu’à ses débuts. Une sorte de « guerre de position » précède le vrai départ des négociations entre l’UE et le Royaume-Uni. En effet, Albion n’a pas encore notifié officiellement son retrait, comme le prévoit l’article 50 TUE. La première ministre, Theresa May, a prévu de le faire en principe avant fin mars 2017.
Cependant, le temps presse, en raison des nombreuses inconnues de la négociation à venir et afin d’éviter la confusion ! Il paraît urgent que les négociations de retrait débutent dans les meilleurs délais et se terminent au plus vite. L’Union européenne et le Royaume-Uni doivent négocier un accord de rupture, réussir leur séparation, afin qu’États membres et institutions de l’Union puissent s’attaquer sans tarder à la refondation du processus d’intégration européenne.
Négocier l’accord de rupture
Afin de démanteler 43 ans de vie commune, deux réunions informelles à 27 – sans le Royaume-Uni – ont posé un certain nombre de règles pour organiser le retrait britannique de manière ordonnée, en application de l’article 50 TUE. Si la Déclaration du 29 juin 2016 avait seulement posé quelques grands principes, celle du 15 décembre 2016, adoptée suite à la réunion informelle des chefs d’État ou de gouvernement des 27, ainsi que des présidents du Conseil européen et de la Commission européenne est nettement plus précise, notamment grâce au contenu de son annexe détaillant les procédures de négociation du retrait.
Conformément à l’article 50 TUE, une fois le retrait notifié, des orientations du Conseil européen définiront le cadre des négociations. Il restera en permanence saisi de la question et, au besoin, actualisera ses orientations, ce qui lui permettra de superviser la négociation de bout en bout. Ensuite, sur recommandation de la Commission, le Conseil des Affaires générales prendra rapidement la décision autorisant l’ouverture des négociations. Le Conseil adoptera également des directives de négociation.
La Commission est reconnue négociateur de l’Union européenne, le négociateur en chef étant Michel Barnier. L’équipe de négociation de l’Union intégrera également un représentant de la présidence tournante du Conseil. Les membres du Conseil européen, du Conseil et des instances préparatoires (Coreper ou groupes de travail) du Royaume-Uni ne participeront pas aux discussions. Enfin, le négociateur de l’Union devra tenir le Parlement européen régulièrement et étroitement informé tout au long des négociations, qui doit selon l’article 50 TUE donner son approbation à l’accord fixant les modalités du retrait.
L’UE est donc parée pour une négociation qui devrait permettre de finaliser un accord d’ici octobre 2018, ce qui correspond à des discussions censées durer environ 18 mois. En tout état de cause, l’objectif est de régler le retrait du Royaume-Uni avant les prochaines élections européennes, qui doivent normalement se dérouler fin mai 2019. Désigné par le Président Jean-Claude Juncker, Michel Barnier, en sa qualité de « négociateur en chef », n’a pas vraiment l’heur de plaire aux Britanniques, qui craignent une position ferme et intransigeante de l’Union.
Il n’a pas hésité à donner sa vision du Brexit : « Un accord clair, négocié dans le temps limité, qui prenne en compte les intérêts des Vingt-Sept et préserve leur unité. » Bien que les 27 États membres n’aient pas eu une discussion sur le fond de la négociation, sa complexité est susceptible de faire voler en éclats leur unité. Elle semble cependant s’être cristallisée, lorsqu’ils ont pris conscience que toute concession accordée au Royaume-Uni pouvait entraîner la dislocation de l’UE et susciter d’autres velléités de retrait.
Réussir la séparation : soft ou hard Brexit ?
Les 27 ont exprimé le souhait que le Royaume-Uni demeure « un partenaire proche de l’UE », en précisant toutefois dans leur Déclaration adoptée à l’issue de la réunion informelle du 15 décembre 2016 « que tout accord devra reposer sur un équilibre entre droits et obligations et que l’accès au marché unique passe par l’acceptation de chacune des quatre libertés ». Deux lignes rouges semblent en effet devoir guider les négociations de sortie : pas de pré-négociations avant la notification officielle du retrait britannique ; l’accès au marché unique implique le respect des quatre libertés fondamentales des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. Il n’y aura a priori pas de « choix à la carte » comme l’a déclaré le ministre allemand W. Schäuble. La logique du pick and choose, permettant au Royaume-Uni de choisir ce qui l’arrange ou l’intéresse dans l’Union, n’a a priori pas droit de cité.
Malgré tout, l’hypothèse d’un accès partiel au marché unique – non prévu par les traités – a déjà été évoqué outre-Manche. Cette approche est contraire à l’indivisibilité des quatre libertés, à leur caractère indissociable. De surcroît, plusieurs principes voués aux gémonies par le camp du Brexit durant la campagne référendaire, vont de pair avec le marché intérieur : la primauté du droit de l’Union sur le droit national, les interprétations de la Cour de justice de l’Union et le contrôle de l’application du droit de l’Union par la Commission et la sanction par la Cour. Refuser le marché intérieur, c’est également accepter de renoncer à participer à la prise de décision au sein de l’Union. Le Brexit est finalement sans pitié pour le Royaume-Uni : il devra choisir jusqu’où il accepte d’être perdant sur le plan économique et humilié quant à la préservation de sa souveraineté.
Il est par conséquent difficile de prédire si le Brexit sera « hard » ou « soft ». Malgré tout, il semble que Theresa May soit plutôt favorable à un « hard » Brexit, caractérisé par une volonté de tourner le dos au marché unique. N’a-t-elle pas affirmé haut et fort qu’elle est favorable à « un Brexit rouge, blanc, bleu », aux couleurs de l’Union Jack.
Ce qui est sûr et certain, c’est qu’un « hard » Brexit se traduira par une sortie du marché unique et de l’union douanière. Si le Royaume-Uni souhaite se libérer de ses obligations européennes, il est logique qu’il ne puisse plus disposer des mêmes droits qu’un État membre de l’UE. Il est impossible de commencer à détricoter le marché intérieur, car cela signifie l’inauguration de « la fin de l’Europe, de ses principes directeurs et de tout ce qui fait la noblesse et finalement le succès de l’Europe ».
Réussir la refondation de l’Union européenne
Après le Brexit, l’Union européenne subit des attaques tous azimuts. Il est devenu indispensable de reconstruire l’Europe, de repenser la construction européenne afin qu’elle retrouve une nouvelle légitimité. Ce qui soulève de nombreuses questions : faut-il plus ou moins d’Europe ? Doit-on prendre l’orientation d’une Europe à plusieurs cercles, avec un noyau central (ou dur), un cercle intermédiaire, un cercle périphérique et formaliser l’intégration différenciée ? La reconstruction du projet politique européen peut-elle encore emprunter la voie de la Fédération d’États-nations ou celle de la Fédération plurinationale ? Faut-il remiser aux oubliettes la méthode Monnet dite des « petits pas » qui a prévalu jusqu’ici ? Combien d’États membres sont prêts à accepter davantage d’intégration ?
En plus de l’accord de retrait et du futur accord régissant les nouvelles relations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, quatre autres chantiers apparaissent urgents et d’une grande priorité : approfondir l’Union économique et monétaire ; parachever « Schengen », afin d’éviter qu’il ne devienne « le “fossoyeur” de l’idée européenne » (J. Bitterlich, Revue politique et parlementaire, n° 1079, avril-juin 2016, p. 25) ; doter l’Union d’une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) digne de ce nom ; combler le fossé grandissant entre l’UE et le citoyen. Esquissant une « feuille de route », la Déclaration de Bratislava du 16 septembre 2016 entend répondre aux défis européens dans les domaines « migrations et frontières extérieures », « sécurité intérieure et extérieure », et « développement économique et social, jeunesse ».
Cette Déclaration marque seulement « le début d’un processus » qui doit s’achever à Rome en mars 2017, lors des célébrations du soixantième anniversaire des traités de Rome, l’objectif recherché étant de fixer « des orientations pour notre avenir commun ». Or, à l’évidence cette Déclaration « langue de bois » sonne creux, pour ne pas dire plus ! Elle manque singulièrement d’ambition et de hauteur de vue. Quel souffle nouveau va-t-elle bien pouvoir redonner au projet européen ?
La réalité est que la grande majorité des dirigeants politiques européens n’ont qu’une vision à court terme des enjeux européens, paralysante pour la construction européenne. L’Union manque singulièrement d’un leadership, d’un couple « Mitterrand-Kohl » proposant aux citoyens européens un grand dessein européen. Cette cruelle absence fait de l’Union européenne un « bateau ivre » sans cap et, en l’absence d’un projet clair et mobilisateur, une construction mortelle.
Yves Petit, Professeur de droit public, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.