Didier Blanc, Université de la Réunion
Les nombreuses pistes de réflexion et tentatives de justification
relatives à la décision du président de la République de ne pas se présenter à nouveau à l’élection présidentielle, exprimée le 1er décembre 2016, ont toutes leur part de vérité mais elles omettent une dimension essentielle : la malédiction frappant le président de la République majoritaire sous la Ve République.
Si l’alternance caractérisant la vie politique française depuis la fin de la période gaullienne est très souvent mise en avant, elle dissimule en arrière-plan l’un de ses aspects les moins connus : l’impossibilité pour un président de la République élu au suffrage universel direct et soutenu par une majorité parlementaire, ou a minima de députés, d’être réélu.
Cette réalité institutionnelle, par son caractère systématique, en fait l’un d’un des secrets les mieux gardés de la République, comme si sa connaissance pouvait en accentuer le caractère inéluctable au point de la rendre irréversible, voire en dérégler l’implacable ordonnancement, motif d’espoir pour l’opposant.
Si le résultat d’une pratique électorale, aussi soutenue soit-elle, n’a pas pour effet de lui conférer l’airain de la règle de constitutionnelle, une rapide évocation du passé éclaire ce paradoxe, donne corps à la malédiction présidentielle et aide à comprendre l’avenir, au-delà du présent de l’annonce du 1er décembre 2016.
Stabilité ministérielle, instabilité parlementaire
Le paradoxe résulte de l’image de stabilité que véhicule la Ve République, donnée en héritage par ses fondateurs en réaction à l’instabilité des régimes parlementaires précédents. Le paradoxe naît de l’apparence dès lors que l’on écarte la figure présidentielle, dans la mesure où la formation des gouvernements est changeante et très souvent occultée par le maintien du même Premier ministre. Ainsi de 2007 à 2012 la France a-t-elle connu trois gouvernements différents sous la direction de l’exclusif François Fillon.
Mais surtout, cette stabilité ministérielle se paie au prix fort : celui d’une instabilité parlementaire. En effet, les deux républiques parlementaires précédentes sont certes caractérisées par ce qu’Edgard Faure avait pu qualifier en son temps de « gouvernement à secousses », consécutif à de multiples combinaisons ministérielles, lissées au demeurant par la permanence du personnel ministériel. Mais le renouvellement de la Chambre des députés, puis de l’Assemblée nationale, lors d’élections législatives échappait à la brutalité des alternances que nous connaissons. Le multipartisme éclaté et l’absence de fracture idéologique, entre l’adhésion à la République et la montée en puissance du Parti communiste, faisaient alors office d’amortisseur politique.
D’une certaine manière il est possible de soutenir que la relative stabilité gouvernementale depuis 1958 est le reflet inversé de la relative stabilité des majorités parlementaires des IIIe et IVe Républiques.
Alternance douce ou dure
L’autre prix à payer de cette stabilité gouvernementale tient dans l’instabilité présidentielle, causée par de systématiques alternances – qu’elle soient douces ou dures.
L’alternance douce est celle qui a lieu au sein d’un même camp, toujours à droite, conférant à celle-ci une domination politique sur le temps long : l’élection en 1974 du démocrate européen Valéry Giscard d’Estaing brise la lignée gaulliste, celle du libéral atlantiste Nicolas Sarkozy passe par une rupture avec le néogaullisme chiraquien.
Quant à l’alternance dure, elle se produit à chaque changement de camp, en 1981, de droite à gauche en 1995, de gauche à droite en 2012 de droite à gauche, et possiblement en 2017.
Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable
Réunies, ses deux formes d’alternance éclairent la malédiction présidentielle : jamais président élu et achevant son mandat avec une majorité parlementaire n’a été réélu. Bien qu’ayant effectué deux mandats, le général de Gaulle n’a été élu au suffrage universel direct qu’une seule fois en 1965, même si – de façon inédite à ce jour – il est le seul à avoir conforté sa majorité parlementaire à la faveur d’une dissolution, en 1968.
Quand en 1981, Valéry Giscard d’Estaing se présente pour un second mandat, en dépit d’une division au sein de la droite, son action est soutenue par une majorité parlementaire. Résultat : il est battu. Un cas de figure comparable s’applique à Nicolas Sarkozy en 2012. En d’autres termes, les seuls présidents de la République réélus ne l’ont été que face – ou grâce – à une majorité parlementaire hostile, à l’issue d’une période de cohabitation : François Mitterrand en 1988 et Jacques Chirac en 2002.
Faut-il déduire de ce qui précède qu’une période de cohabitation est un gage de réussite pour un président de la République en quête d’une réélection ?
La République du quinquennat unique
Sans aller jusque-là, la perte d’une majorité législative en cours de mandat pour un président, à la suite en particulier d’une dissolution, constitue moins une incapacité définitive d’agir que la perspective d’un avenir politique. En tout état de cause, formulée sous un angle opposé prend corps cette malédiction présidentielle d’une impossibilité de réélection en période de fait majoritaire.
Malédiction à l’emprise partagée puisqu’elle n’épargne pas le premier ministre, alors véritable chef de l’exécutif, appuyé par une majorité parlementaire contre le président de la République : ce ce fut le cas pour Jacques Chirac en 1988, Édouard Balladur en 1995 et Lionel Jospin en 2002.
D’évidence, le quinquennat a été pensé, conçu et réalisé pour assurer – suivant la plus grande probabilité possible – une concordance entre la majorité née de l’élection présidentielle et celle procédant des élections législatives. En conséquence, assuré de diriger le pays pendant cinq années, l’élu présidentiel est tout aussi assuré, à ce jour, d’être dans l’impossibilité de continuer à le faire.
De fait, la révision constitutionnelle de 2002 a instauré le quinquennat unique. L’éviction de la cohabitation a pour prix l’exclusion d’une réélection.
Culbuto plus que Phénix
Trop fin connaisseur de la pratique politique et institutionnelle, François Hollande non seulement n’est pas ignorant de cette malédiction, mais il a dû au surplus en prendre toute la mesure électorale au moment de forger sa décision, nonobstant les obstacles divers, variés et nombreux pavant la voie d’une candidature apparus ces derniers mois. De sorte qu’il est le premier à en tirer les conséquences en préférant s’y soustraire par un choix conduisant au même résultat : l’impossibilité d’une réélection.
Il est même tentant d’approfondir le rapport logique entre malédiction et décision de non-candidature pour y voir l’illustration d’une grandeur là où il y avait, au-delà des contingences politiques, la certitude d’une défaite inscrite dans la pratique de la Ve République et l’espérance d’une future réélection précisément débarrassée d’une dirimante position majoritaire.
Ainsi la maxime hollandienne pourrait être : « Obérer sans risque un impossible présent pour ne pas insulter l’avenir ».
Si la chose advenait, sans doute faudrait-il écarter la figure antique de Phénix au bénéfice de celle d’un contemporain Culbuto.
Didier Blanc, Professeur des Universités, Université de la Réunion
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.