Violaine Appel, Université de Lorraine et Julien Falgas, Université de Lorraine
On le sait, le numérique a un coût énergétique et environnemental : l’ADEME y consacre d’ailleurs un petit guide très complet. Mais avez-vous déjà pensé à l’empreinte que vous exerciez sur l’environnement numérique lui-même ? Sans doute pas : les universités elles-mêmes tardent à prendre leur responsabilité en la matière. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur pour la résilience de nos sociétés, tant elles dépendent des dispositifs numériques pour s’informer et communiquer.
Le numérique, un environnement écologique
Le philosophe allemand Erich Hörl suggère que « l’entrée dans la condition technologique nous conduit à l’instauration d’un nouveau paradigme écologique ». Dès 1989, le philosophe français Félix Guattari envisage la recomposition des pratiques sociales et individuelles selon trois écologies complémentaires (environnementale, sociale et mentale) du fait du développement des « machines productrices de signes, d’images, de syntaxe, d’intelligence artificielle ».
Selon ce principe écologique qui s’impose à nous, l’environnement numérique peut se définir par la convergence sur les mêmes écrans de formes et de modes d’expression qui existaient auparavant de manière bien distincte : journaux, magazines édition universitaire ou littéraire, production cinématographique, radiophonique, vidéoludique ou télévisuelle, correspondance écrite, conversation téléphonique, etc.
La production scientifique n’est pas épargnée par ce mouvement. L’activité numérique des universitaires est source de nombreuses traces et inscriptions plus ou moins calculées ou contrôlées, au sein d’une multiplicité de dispositifs. Or, les usages au sein des universités ont un impact sur l’évolution des usages numériques de la population. Les manières d’enseigner à l’université servent de référence aux enseignants du primaire et du secondaire qui en sont issus.
Les universités ont, par exemple, une responsabilité dans le fait d’encourager ou non le recours à des services tels que Google, Facebook ou Wikipédia. Or les deux premiers peuvent être directement incriminés pour l’ensauvagement du web et pour la menace qu’ils représentent pour la démocratie. C’est bien simple, sous l’influence des GAFAM, son propre inventeur ne reconnait plus le web.
Voilà pourquoi des enseignants-chercheurs se sont insurgés face aux velléités l’adoption des Google Apps dans leurs établissements. A Paris-3 Sorbonne Nouvelle en 2016, ce n’est pourtant pas l’intervention de deux chercheurs experts des médias et de la communication qui aura fait plier le conseil d’administration, mais l’application d’une note ministérielle destinée à répondre aux interrogations émergentes dans les collectivités territoriales.
Plus récemment, des universités ont accueilli dans leurs locaux et promu sur leurs canaux de communication des formations délivrées par des employés de Google parfois recrutés parmi leurs propres étudiants. Cette pratique a fait réagir Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information et de la communication, tandis que l’édition Campus du journal Le Monde soulignait l’aveu d’impuissance de certains porteurs du dispositif dans les établissements, tandis que d’autres n’y voyaient aucune ambiguïté.
Dans ces deux exemples, la gratuité sur le plan financier justifie à elle seule une décision qui fait fi de l’adage « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». A l’opposé, interpréter le numérique comme un environnement écologique en lui appliquant la notion d’empreinte, c’est assumer une responsabilité dans les pratiques que nous y déployons ou que nous y prescrivons.
L’empreinte, bien plus qu’une trace
Le concept d’empreinte écologique est né de la volonté d’élaborer des modes de calcul de l’utilisation quotidienne de ressources naturelles afin d’estimer l’impact de l’être humain sur son environnement. Dans le contexte numérique ce concept fait cruellement défaut, occulté par les notions d’indice, d’inscription et surtout de trace. Si pour Yves Jeanneret indice, inscription et trace forment un triptyque qui rend possible la lecture par les uns de ce que font les autres, alors on peut dire que l’empreinte englobe ce triptyque pour permettre une lecture par soi-même de ce que l’on a fait.
L’empreinte est nécessaire à l’exercice de réflexivité, à l’esprit critique et à la prise de responsabilité. Une fois attentif à son empreinte, bien qu’on ne puisse par l’effacer, on peut s’employer à l’infléchir.
Or, à l’image de Facebook dont la première version en 2004 s’adressait aux étudiants d’Harvard, nombre des dispositifs qui façonnent l’environnement numérique sont nés dans le giron universitaire (souvent avec des ressources militaires). L’empreinte des universités peut donc aller jusqu’à incuber des innovations de rupture dont l’impact peut se révéler mondial. Si l’empreinte vise à rendre mesurable par leurs auteurs l’existence, l’ampleur et l’impact des traces dont ils sont responsables, il incombe au monde académique d’élaborer les moyens de sa mesure. Dans cette perspective, ni le nombre de pages vues ni celui des like et followers ne sauraient être suffisants, si tant est qu’ils soient pertinents.
On le sait, le numérique a un coût énergétique et environnemental : l’ADEME y consacre d’ailleurs un petit guide très complet. Mais avez-vous déjà pensé à l’empreinte que vous exerciez sur l’environnement numérique lui-même ? Sans doute pas : les universités elles-mêmes tardent à prendre leur responsabilité en la matière. Il s’agit pourtant d’un enjeu majeur pour la résilience de nos sociétés, tant elles dépendent des dispositifs numériques pour s’informer et communiquer.
Le numérique, un environnement écologique
Le philosophe allemand Erich Hörl suggère que « l’entrée dans la condition technologique nous conduit à l’instauration d’un nouveau paradigme écologique ». Dès 1989, le philosophe français Félix Guattari envisage la recomposition des pratiques sociales et individuelles selon trois écologies complémentaires (environnementale, sociale et mentale) du fait du développement des « machines productrices de signes, d’images, de syntaxe, d’intelligence artificielle ».
Selon ce principe écologique qui s’impose à nous, l’environnement numérique peut se définir par la convergence sur les mêmes écrans de formes et de modes d’expression qui existaient auparavant de manière bien distincte : journaux, magazines édition universitaire ou littéraire, production cinématographique, radiophonique, vidéoludique ou télévisuelle, correspondance écrite, conversation téléphonique, etc.
La production scientifique n’est pas épargnée par ce mouvement. L’activité numérique des universitaires est source de nombreuses traces et inscriptions plus ou moins calculées ou contrôlées, au sein d’une multiplicité de dispositifs. Or, les usages au sein des universités ont un impact sur l’évolution des usages numériques de la population. Les manières d’enseigner à l’université servent de référence aux enseignants du primaire et du secondaire qui en sont issus.
Les universités ont, par exemple, une responsabilité dans le fait d’encourager ou non le recours à des services tels que Google, Facebook ou Wikipédia. Or les deux premiers peuvent être directement incriminés pour l’ensauvagement du web et pour la menace qu’ils représentent pour la démocratie. C’est bien simple, sous l’influence des GAFAM, son propre inventeur ne reconnait plus le web.
Voilà pourquoi des enseignants-chercheurs se sont insurgés face aux velléités l’adoption des Google Apps dans leurs établissements. A Paris-3 Sorbonne Nouvelle en 2016, ce n’est pourtant pas l’intervention de deux chercheurs experts des médias et de la communication qui aura fait plier le conseil d’administration, mais l’application d’une note ministérielle destinée à répondre aux interrogations émergentes dans les collectivités territoriales.
Plus récemment, des universités ont accueilli dans leurs locaux et promu sur leurs canaux de communication des formations délivrées par des employés de Google parfois recrutés parmi leurs propres étudiants. Cette pratique a fait réagir Olivier Ertzscheid, chercheur en sciences de l’information et de la communication, tandis que l’édition Campus du journal Le Monde soulignait l’aveu d’impuissance de certains porteurs du dispositif dans les établissements, tandis que d’autres n’y voyaient aucune ambiguïté.
Dans ces deux exemples, la gratuité sur le plan financier justifie à elle seule une décision qui fait fi de l’adage « si c’est gratuit, c’est que vous êtes le produit ». A l’opposé, interpréter le numérique comme un environnement écologique en lui appliquant la notion d’empreinte, c’est assumer une responsabilité dans les pratiques que nous y déployons ou que nous y prescrivons.
L’empreinte, bien plus qu’une trace
Le concept d’empreinte écologique est né de la volonté d’élaborer des modes de calcul de l’utilisation quotidienne de ressources naturelles afin d’estimer l’impact de l’être humain sur son environnement. Dans le contexte numérique ce concept fait cruellement défaut, occulté par les notions d’indice, d’inscription et surtout de trace. Si pour Yves Jeanneret indice, inscription et trace forment un triptyque qui rend possible la lecture par les uns de ce que font les autres, alors on peut dire que l’empreinte englobe ce triptyque pour permettre une lecture par soi-même de ce que l’on a fait.
L’empreinte est nécessaire à l’exercice de réflexivité, à l’esprit critique et à la prise de responsabilité. Une fois attentif à son empreinte, bien qu’on ne puisse par l’effacer, on peut s’employer à l’infléchir.
Or, à l’image de Facebook dont la première version en 2004 s’adressait aux étudiants d’Harvard, nombre des dispositifs qui façonnent l’environnement numérique sont nés dans le giron universitaire (souvent avec des ressources militaires). L’empreinte des universités peut donc aller jusqu’à incuber des innovations de rupture dont l’impact peut se révéler mondial. Si l’empreinte vise à rendre mesurable par leurs auteurs l’existence, l’ampleur et l’impact des traces dont ils sont responsables, il incombe au monde académique d’élaborer les moyens de sa mesure. Dans cette perspective, ni le nombre de pages vues ni celui des like et followers ne sauraient être suffisants, si tant est qu’ils soient pertinents.
Violaine Appel, Enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine et Julien Falgas, Chercheur associé au Centre de recherche sur les médiations, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.