Loïc Ballarini, Université de Lorraine
Atelier de recherche du MJMN, 2/5 : Les étudiant·e·s du Master Journalisme et médias numériques (MJMN) de l’Université de Lorraine font la synthèse de leur atelier de recherche 2017-2018, au cours duquel elles et ils ont rencontré des chercheur·e·s travaillant sur les médias – depuis les pratiques professionnelles jusqu’aux thématiques récurrentes dans l’information. Une série réalisée pour The Conversation en partenariat avec le Centre de recherche sur les médiations (Crem). Pour ce second épisode, le texte et la vidéo sont signés Estelle Lévêque, Théo Meurisse et Margot Ridon.
Dario Compagno, sémiologue, maître de conférences à l’Université de Lorraine et chercheur au Crem, a présenté aux étudiant·e·s du MJMN un de ses travaux de recherche sur l’utilisation de Twitter par les partis politiques lors de la campagne pour les élections européennes de 2014. L’équipe de chercheurs dont faisait partie Dario Compagno a pu analyser les tweets provenant de trois pays (France, Italie, Royaume-Uni) et mettre en évidence quelques comportements types.
La rencontre avec les étudiants était l’occasion de présenter la méthodologie, ses résultats, et de s’interroger sur les limites de ce type d’étude quantitative.
Des chiffres pour comprendre les mots
Les chercheurs qui ont travaillé sur cette thématique ont harmonisé leurs analyses de manière à obtenir des résultats significatifs. Par exemple, sur le graphique suivant, on peut voir la proportion de tweets ayant utilisé des opérateurs différents, tels la réponse, le retweet, la mention, l’utilisation de mots-dièse, le lien hypertexte, le lien vers des médias ou le texte seul. Le constat est alors sans appel : l’opérateur le plus utilisé par les partis politiques ou les candidats en campagne est le retweet.
Grâce à ces données, les sémiologues ont réussi à dégager plusieurs profils au sein même des partis politiques européens. Ils ont alors créé six sous-catégories pour mieux comprendre les usages. Chaque catégorie de profils se distingue par une plus forte utilisation d’un seul des opérateurs. Il est nécessaire de définir chacune de ces catégories :
- Les participatifs-actifs utilisent majoritairement le mot-dièse et contribuent donc à la dynamique de Twitter ;
- Les participatifs-passifs se démarquent par l’utilisation principale du retweet, soit le partage du contenu d’autrui ;
- La catégorie interactionnelle se distingue par son utilisation de la réponse, les utilisateurs se répondent entre eux et créent ainsi une interaction. L’essence même des réseaux socionumériques ;
- Les informatifs utilisent des liens hypertextes pour donner du crédit à leurs tweets ;
- Les déclaratifs utilisent majoritairement des phrases simples mais savent utiliser les codes de Twitter en ayant recours à des opérateurs comme la réponse, la mention, le retweet, le mot-dièse, le lien hypertexte et le texte seul ;
- Les parasites quant à eux n’utilisent aucun opérateur du réseau social dans leurs tweets, leurs messages sont en général de simples liens vers d’autres contenus.
D’après ce classement, on constate que la majorité des partis politiques sont « participatifs-passifs » au sens où ils utilisent avant tout le retweet.
Un nouvel échiquier politique
Les sémiologues ayant réalisé l’étude ont ensuite placé sur une carte les partis politiques selon leur utilisation de Twitter. Il se trouve que, selon le pays dans lequel le parti politique évolue, les pratiques sont différentes. En Italie, par exemple, les partis sont très déclaratifs. Alors qu’en France, le plus grand nombre de partis sont participatifs-passifs.
Sur cette illustration, les analystes notent aussi que les « jeunes » partis politiques comme Ukip, Debout la République ou English Democrats sont plus dans l’interaction. Peut-être y voient-ils là une nouvelle manière de communiquer en politique.
Aussi, les différents usages du réseau social dépendent des us du pays. Ainsi en Italie, l’utilisation de Twitter représente la politique du pays. En effet, les Italiens utilisent beaucoup de mots-dièse et participent ainsi très activement au fonctionnement du réseau social. Paradoxalement, c’est aussi en Italie que l’on retrouve la plus forte proportion de comptes « parasitaires » ou « déclaratifs ». De même, la majorité des partis politiques de ces catégories est italienne.
La France et le Royaume-Uni ont, quant à eux, des résultats plus « conformes » aux moyennes de l’étude. À savoir que les retweets sont utilisés en grand nombre et les tweets « résiduels » ou « parasites » sont très peu utilisés. Les Français et les Britanniques ont quelques tendances divergentes. Au Royaume-Uni, par exemple, les partis politiques interagissent plus avec les autres utilisateurs de Twitter. Alors que les Français utilisent massivement les retweets et donc la parole d’autrui.
Cependant, on sait bien que les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes et ne peuvent suffire à décrire finement des usages… Là sont atteintes les limites d’une telle étude. Il serait nécessaire, pour compléter un tel travail, d’avoir des données empiriques et des explications des partis politiques sur leur manière d’utiliser ce réseau social. Sans compter que Twitter n’est pas le réseau social le plus utilisé par les internautes.
Il est donc nécessaire de lire ces résultats avec ces éléments à l’esprit. Notamment le fait que ce n’est pas l’utilisation de Twitter qui influence les résultats électoraux…
Loïc Ballarini, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.