Europe
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

L’accueil des réfugiés en France au XIXᵉ siècle

File 20171015 3537 1tawoxc.jpg?ixlib=rb 1.1
Honoré Daumier, « Le réfugié politique ».
Fine Arts Museum of San Francisco

Delphine Diaz, Université de Reims Champagne-Ardenne

Nous vous proposons cet article en partenariat avec RetroNews, le site de presse de la Bibliothèque nationale de France.


Alors que la crise de l’asile occupe aujourd’hui les unes des journaux européens et s’impose comme un sujet politique et médiatique de premier ordre, le détour par la presse du XIXe siècle montre que l’accueil de réfugiés étrangers n’est pas sans avoir suscité l’intérêt des journaux de l’époque.

La France a accueilli entre le printemps 1813 et la fin de l’année 1814 plus de 10 000 réfugiés espagnols, ceux qu’on appelait les « joséphins » en référence à leur engagement en faveur du régime de Joseph Bonaparte. Ils ont reçu à leur arrivée en France des secours qui ont été distribués pour la première fois à l’été 1813. Il en est fait mention dans le Journal des débats et des décrets du 11 octobre 1814 :

« […] il sera donné aux réfugiés espagnols non militaires, y compris les femmes et les enfants, des secours comme aux Espagnols militaires réfugiés. Pour les obtenir, ils sont tenus de se faire inscrire chez les commandants d’armes des lieux où ils habitent, ou chez le commandant qui est le plus à proximité de leur résidence. »« 

Mais l’attribution de cette aide financière a rapidement fait l’objet de critiques sous le régime de la Restauration, comme le montrent les débats à la Chambre des députés retranscrits dans le Journal des débats politiques et littéraires en 1817.

« M. Cornet d’Incourt : Je me suis servi de l’expression de traitement d’inactivité, parce qu’il résulte des discussions qui ont eu lieu, que les réfugiés espagnols ne reçoivent pas uniquement des secours alimentaires, mais des traitements ou des pensions (comme vous voudrez les appeler) proportionnés à leurs grades et aux emplois qu’ils occupaient dans le gouvernement de Joseph Buonaparte. »

Massification et diversification

Au cours des années 1820, l’accueil d’exilés politiques s’est poursuivi, rythmé par l’arrivée aux frontières d’exilés espagnols, italiens et portugais engagés en faveur du libéralisme. Mais à partir de la monarchie de Juillet, la France a dû faire face tout à la fois à une massification et à une diversification géographique des émigrations politiques.

Si le « soleil de Juillet » dont parlait Heinrich Heine a exercé son attrait sur les patriotes allemands, italiens et espagnols, les plus nombreux à arriver en France à partir de l’hiver 1831-1832 sont les Polonais de la « Grande Émigration », dont plus de 4 000 d’entre eux ont reçu des secours de l’État dès leur arrivée et ont suscité des manifestations de solidarité au sein de la société civile, comme on peut le lire dans Le Constitutionnel du 28 janvier 1832 :

« – Les élèves du collège royal d’Orléans ont ouvert entr’eux une souscription au profit des réfugiés polonais. […]

– Le premier convoi des ctz, il est composé d’envirolonnes de Polonais qui arrivent en France par Forbach, a dû faire son entrée le 25 à Meon 70 officiers […]. »

« La réunion était embellie par un grand nombre de dames qui ont fait une quête pour les Polonais réfugiés. La collecte a produit une somme assez considérable, qui sera versée au comité central, présidé par le général Lafayette. »

Au cours de cette décennie, les étrangers accueillis en France pour des motifs politiques n’étaient cependant pas tous inspirés par le libéralisme comme les Polonais, ceux qu’on appelait alors les « Français du Nord ». La première guerre carliste espagnole (1833-1839) s’est soldée par l’exil de milliers de partisans légitimistes du prétendant Don Carlos vers la France.

Les révolutions de 1848-1849 et les phénomènes de répression qui les ont accompagnées ont incité de nouveaux opposants européens, libéraux et démocrates, à prendre le chemin de l’exil jusqu’à la France, qu’ils fussent Lombards ou Vénitiens, Allemands ou Hongrois.

En mai 1848, Le Constitutionnel relate le passage à Strasbourg de colonnes d’Allemands qui « doivent être traités comme réfugiés politiques » et se voient disséminés dans les départements français.

« Nous lisons dans le Courrier du Bas-Rhin :

« Une décision ministérielle parvenue à Strasbourg porte que les Allemands qui peuvent se trouver réunis sur le territoire français seront internés dans différents départements, parmi lesquels seront désignés à leur choix ceux du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône, des Ardennes, etc. Ils doivent être traités comme réfugiés politiques et recevront des passeports avec secours de route.

Une première colonne d’une soixantaine d’hommes est revenue du Haut-Rhin à Strasbourg dans la journée de vendredi ; une seconde colonne est arrivée samedi. Les citoyens de Strasbourg ont continué, avec un généreux empressement, à pourvoir à la subsistance de ces réfugiés. Si la politique adoptée par le Gouvernement français l’oblige à s’opposer au séjour prolongé de ces étrangers dans les départements du Rhin, la sympathie de la population de Strasbourg pour ces défenseurs de la cause républicaine en Allemagne ne conserve pas le moins le droit d’adoucir, autant que possible, la pénible position dans laquelle ils se trouvent en ce moment. »

La construction du « réfugié »

C’est aussi au cours de la première moitié du XIXe siècle, époque où les migrations politiques vers la France se sont intensifiées, que s’est parallèlement construite, de manière à la fois juridique et empirique, la catégorie administrative du « réfugié ». Elle est circonscrite dans de nouvelles lois qui adoptent ce terme dans leur intitulé, en premier lieu celle du 21 avril 1832, précédée de débats houleux à la Chambre dont se fait l’écho Le Figaro du 10 avril 1832.

« Pareille loi, on le comprend d’avance, ne pouvait passer sans qu’elle soulevât une chaude et opiniâtre opposition. Ainsi il en a été.

Nous avons eu des discours comme aux plus beaux temps de la ferveur parlementaire. Nous avons eu, comme alors, des interruptions et des cris, des attaques violentes et des rappels à l’ordre. Le drame avec toutes ses scènes a été complet.

M. Lafayette, généreux avocat de tous les patriotes du genre humain, vénérable citoyen cosmopolite des deux-mondes, a plaidé avec cette onction qu’on lui sait la cause des étrangers victimes des malheurs politiques de leur patrie, et surtout la victorieuse tyrannie de l’autocrate. »

Grâce à cet appareil législatif, grâce à la réglementation et aux expérimentations qui l’ont accompagné et précisé, les réfugiés ont été progressivement définis comme des individus coupés de tout lien avec leur pays d’origine, venus en France pour des motifs exclusivement politiques, et devant compter sur l’aide du gouvernement pour subsister.

Néanmoins, après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, l’exil n’est plus seulement un phénomène auquel l’opinion de gauche française assiste avec sympathie, tandis que l’administration renâcle pour des raisons à la fois économiques et politiques ; il devient aussi un triste article d’exportation. Les proscrits républicains français, qui ont sans doute représenté un effectif de plus de 10 000 personnes, se sont dispersés dans plusieurs pays d’accueil tels que la Belgique et la Grande-Bretagne.

The ConversationDans le même temps, c’est le statut à la fois administratif et symbolique d’une France terre d’asile qui s’est trouvé compromis par un régime suspicieux à l’égard des exilés étrangers, ne manifestant plus de compassion pour ceux qui étaient considérés comme des fauteurs de troubles et des ennemis politiques en puissance.

Delphine Diaz, Maîtresse de conférences en histoire, Université de Reims Champagne-Ardenne

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

The Conversation

Europe