Le parquet national financier a demandé le renvoi de l’ex-chef d’Etat devant le tribunal correctionnel pour « corruption, trafic d’influence et recel de violation du secret professionnel. » Voici ce que nous écrivions en 2014 sur cette affaire.
La revanche des ‘’petits pois’’
Un tremblement de terre ! La classe politique toute entière a été secouée par la garde à vue et la mise en examen de l’ancien chef de l’Etat, le 2 juillet 2014, par les juges Patricia Simon et Claire Thépaut. Nicolas Sarkozy est poursuivi pour « corruption active, trafic d’influence actif et recel de violation du secret professionnel. » Des chefs de poursuite habituellement réservés aux voyous. Du jamais vu dans l’histoire de la République.
Si la procédure va à son terme, Nicolas Sarkozy devra s’expliquer, un jour, devant un tribunal correctionnel où il risque jusqu’à dix ans de prison, de fortes amendes et l’inéligibilité. La justice soupçonne l’ancien président d’avoir voulu obtenir des informations auprès de la Cour de cassation à propos de ses agendas saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt. A ses côtés, son avocat historique, Me Thierry Herzog et un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, ont également été placés en garde à vue et mis en examen pour des motifs très proches.
En sortant du bureau des juges, l’ancien chef de l’Etat devait être fou de rage lui qui, pendant son mandat présidentiel, s’était promis de supprimer les juges d’instruction. En octobre 2007, déjà, il reprochait aux magistrats d’être « alignés comme des petits pois » ayant « la même couleur, le même gabarit, la même absence de saveur. »
Une injure qu’aucun d’entre eux n’a oubliée.
L’ex-président et son avocat écoutés
Pour comprendre pourquoi et comment on en est arrivé là, il faut revenir au 19 avril 2013 lorsque deux juges, Serge Tournaire et René Grouman, ouvrent une information judiciaire pour « corruption, trafic d’influence, faux et usage de faux, abus de biens sociaux, blanchiment, complicité et recel de ces délits. » Rien que ça ! Ils enquêtent sur des soupçons de financement illicite de la campagne de Sarkozy en 2007 par une puissance étrangère : la Libye.
Cette information judiciaire fait suite au témoignage de l’intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine et des révélations de Médiapart qui, en mars 2012, affirmait que Kadhafi aurait bien financé la campagne de l’ancien président à hauteur de 50 M€. Le journal s’appuie sur un document provenant d’un ancien responsable des services secrets de Kadhafi. Document dont l’authenticité est contestée.
Pourtant, le magazine Pièces à conviction, de France 3 diffuse une interview audio de Kadhafi dans laquelle le leader libyen déclare : « C’est nous qui lui avons fourni les fonds qui lui ont permis de gagner les élections (…) Il est venu me voir alors qu’il était ministre de l’Intérieur. Il m’a demandé un soutien financier. Et on l’a soutenu… » Propos confirmés par l’un des fils du Guide, Saïf Al-Islam et par plusieurs dignitaires du régime libyen.
Nicolas Sarkozy a fermement démenti ces accusations. Il a déposé plainte contre Médiapart, notamment, pour « publication de fausse nouvelle. » Ce qui n’a pas empêché les juges Tournaire et Grouman de continuer leur travail. Le 3 septembre 2013 ils décident de placer le téléphone de l’ancien président sur écoute. Mais aussi celui des anciens ministres de l’Intérieur Brice Hortefeux et Claude Guéant.
Il faut croire que la pêche a été bonne. Les juges surprennent notamment une conversation entre Nicolas Sarkozy et son avocat à propos des agendas saisis, qui conduit le tout nouveau parquet national financier (PNF) à ouvrir, le 26 février 2014, une information judiciaire pour « trafic d’influence et violation du secret de l’instruction ».
Une affaire dans l’affaire.
Ce nouveau dossier est instruit par les juges Patricia Simon et Claire Thépaut. L’enquête est confiée à l’office de lutte contre la corruption de la police judiciaire.
Il s’agit de savoir si l’ancien président et son avocat ont cherché à s’assurer du soutien discret de Gilbert Azibert, avocat général près la Cour de cassation, pour connaître l’avancement de la procédure concernant les agendas de l’ancien président saisis dans le cadre du volet « abus de faiblesse » de l’affaire Bettencourt. En contrepartie de quoi ? D’une promotion au Conseil d’Etat de Monaco.
Certes, Nicolas Sarkozy a bénéficié d’un non-lieu dans le dossier Bettencourt instruit par le juge bordelais Jean-Michel Gentil. Mais il a maintenu son pourvoi en cassation car il demande que la justice annule la saisie de ses agendas en faisant valoir que, conformément à l’article 67 de la Constitution, le chef de l’Etat « ne peut, durant son mandat (…) faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. »
Que contiennent ces fameux agendas ? Tout simplement les rendez-vous du président durant de longues périodes allant de 2007 à 2012. Ils sont susceptibles d’intéresser la justice dans un autre dossier : celui de l’affaire Tapie/Crédit Lyonnais toujours à l’instruction qui pourrait être très gênante pour l’ancien président.
Les interceptions téléphoniques ont donc commencé en septembre 2013. Trois mois plus tard, la presse révèle que Brice Hortefeux est écouté. Thierry Herzog comprend que son célèbre client est, lui aussi, vraisemblablement ‘’branché’’. Pour déjouer les écoutes, il se rend chez un opérateur, à Nice, et achète deux TOC (téléphone out of control). Il s’agit de deux téléphones mobiles acquis sous une fausse identité, Paul Bismuth. Une astuce bien connue dans le milieu du grand banditisme.
Le 22 février Nicolas Sarkozy est chez son épouse, Carla Bruni, au Cap Nègre. Il a une conversation avec son avocat. Soudain, les deux hommes décident de ne plus se parler avec leur téléphone officiel mais de se rappeler « dans dix minutes ». Les policiers comprennent que les deux hommes vont poursuivre la conversation grâce à d’autres téléphones. Les deux TOC sont vite identifiés et la conversation est enregistrée. Les suivantes aussi.
Le 4 mars, des perquisitions sont effectuées à Paris et en Province aux domiciles et dans les locaux professionnels de Thierry Herzog et Gilbert Azibert.
La séparation des pouvoirs
L’affaire, connue le 7 mars, déclenche aussitôt un tollé qui va ébranler l’institution judiciaire. « C’est un scandale d’Etat » tonne Me Herzog. « Les conversations entre un avocat et son client ne peuvent être écoutées, enregistrées et retranscrites pour fonder l’ouverture d’une information (…) C’est une violation monumentale des droits de la défense. »
L’avocat de Nicolas Sarkozy reconnaît qu’il a acheté deux TOC pour parler plus librement avec son client car, dit-il, « j’ai pensé qu’il y avait des écoutes sauvages, on était prêt à tout pour déstabiliser Sarkozy (…) je démontrerai, le moment venu, qu’il s’agit d’une affaire politique montée de toute pièce. »
Les avocats montent aussitôt au créneau pour défendre leur confrère. Ils signent une pétition pour « alerter les pouvoirs publics sur le danger de telles dérives pour la démocratie et l’impérieuse nécessité de protéger le secret professionnel, pilier de la profession d’avocat sans lequel aucune défense ne peut s’exercer. »
Le bâtonnier de Paris, Me Pierre-Olivier Sur, dénonce « une dérive procédurale. » Il demande au Juge des Libertés de rendre son téléphone à Me Herzog car, dit-il, « c’est un outil de travail indispensable. »
Le Conseil national des barreaux (CNB) rappelle qu’aucune écoute d’un avocat ne peut être ordonnée « à titre préventif » pour rechercher d’éventuelles infractions pénales. Son président Jean-Marie Burguburu tient à exprimer la solidarité des 60.000 avocats de France avec leur confrère Me Herzog.
Une telle fronde des avocats est unique dans les annales judiciaires. Pour calmer le jeu, le président de la République, François Hollande, reçoit la représentation nationale de la profession d’avocat, le 20 mars 2014.
De leur côté, les syndicats de magistrats viennent au secours de leurs collègues, Claire Thépaut et Patricia Simon. Ils rappellent que la loi est la même pour tous. Nicolas Sarkozy étant devenu un justiciable comme les autres, il ne bénéficie d’aucune immunité particulière.
Le président de l’Union syndicale des magistrats (USM) Christophe Régnard demande pour sa part au président de la République de rappeler à tous le principe de la séparation des pouvoirs. Il indique au passage que le placement sur écoute de Nicolas Sarkozy était parfaitement légal.
D’autres magistrats viendront dire haut et fort que la France est un Etat de droit avec des juges indépendants et des recours toujours possibles lorsqu’un justiciable estime que ses droits ont été bafoués.
Les faux pas de Taubira
C’est très exactement ce que soutient la garde des Sceaux, Christiane Taubira lorsqu’elle affirme: « Les procédures valent pour tous… Il y a des recours possibles sur les procédures ou sur le fond de l’affaire. Il y a des instances pour corriger et annuler (…) Il faut comprendre que depuis deux ans nous avons changé d’époque. On est sorti de l’intrusion politique dans le judiciaire, nous ne donnons pas d’instruction. On a changé de culture, nous voulons que la magistrature soit indépendante. »
Elle ajoute cette pique : « Je ne peux pas défendre l’idée d’assurer l’impunité à un citoyen parce qu’il exerce une profession. »
L’opposition s’étrangle, crie au complot politique. Le Canard Enchaîné affirme que Christiane Taubira et Manuel Valls, le ministre de l’Intérieur savaient depuis le 26 février, date de l’ouverture de la deuxième information judiciaire pour « trafic d’influence et violation du secret de l’instruction ». Les écoutes auraient été transmises au procureur général de Paris qui aurait adressé, le jour-même, une synthèse à la direction des Affaires criminelles et des grâces (DACG) de la Chancellerie.
Dès lors, l’affaire embrase la classe politique.
Lundi, 10 mars, la garde des Sceaux affirme sur le plateau de TF1 qu’elle n’avait « pas d’information » avant les révélations du journal Le Monde trois jours plus tôt. « Je ne dispose pas du contenu des procédures » dit-elle.
Premier faux-pas.
La droite parle « d’espionnage politique » et soupçonne l’exécutif de ne pas dire la vérité.
Mardi 11 mars, Jean-Marc Ayrault joue les pompiers de service à France2 pour tenter d’éteindre l’incendie. Le Premier ministre reconnaît que l’exécutif avait connaissance des écoutes de Sarkozy et de son avocat dès le 26 février mais sans en connaître le contenu. En voulant clarifier la situation, Jean-Marc Ayrault désavoue publiquement la garde des Sceaux et crée la confusion.
Mercredi 12 mars. La droite s’offusque des mensonges de la ministre de la Justice et de la cacophonie au sein du gouvernement. Jean-François Copé, encore lui, demande la démission de Christiane Taubira au cours d’une conférence de presse. « Nous sommes face à une équipe de fieffés menteurs » s’égosille au micro de RMC Christian Jacob, chef de file des députés UMP à l’Assemblée. « Que la vérité soit faite. Je demande qu’il y ait une réunion d’urgence du Parlement. Je veux que le gouvernement s’explique ! »
Face à ces attaques au canon le PS fait bloc autour de la ministre et parle « de stratégie d’enfumage » selon l’expression de Bruno Le Roux, président du groupe socialiste à l’Assemblée.
Ce mercredi 12 mars, Christiane Taubira s’invite à la conférence de presse de l’Elysée en sortant du Conseil des ministres. « Non, je n’ai pas menti. Non, je ne démissionne pas » lance-t-elle en brandissant deux documents de deux pages dont elle explique qu’il s’agit d’une information qu’elle a reçue sur les écoutes qui ne contiennent, dit-elle devant micros et caméras, ni synthèse du contenu des écoutes, ni dates. « Non, je n’ai pas d’informations concernant la date, la durée, le contenu des interceptions judicaires. »
Deuxième faux-pas.
A la chancellerie, on ne comprend pas l’attitude de la ministre qui s’enferre dans le mensonge. Car, les documents exhibés devant les caméras contredisent ses propos. Les appareils photos haute définition permettent une lecture assez facile des documents même si certains passages sont cachés par les mains de la ministre.
Premier document. Il s’agit d’une lettre d’Eliane Houlette, procureur de la République financier, adressée le 26 février au procureur général près la cour d’appel de Paris. On lit :
« Objet : ouverture d’une information pour des faits susceptibles d’être qualifiés de violation du secret de l’instruction, trafic d’influence passif par une personne exerçant une (…) publique, trafic d’influence passif par un particulier sur une personne chargée d’une (…) de service public, complicité et recel. »
La procureur financier écrit : « J’ai l’honneur de porter à votre connaissance les faits suivants (…). Les policiers ont intercepté entre le 28 janvier et le 11 février 2014 des conversations téléphoniques entre Monsieur Nicolas Sarkozy utilisant une ligne téléphonique souscrite sous un nom d’emprunt (Paul Bismuth) et M. Thierry Herzog, avocat, se servant d’une ligne téléphonique souscrite le même jour et au même endroit que la première (…). Révélé, d’une part, que Monsieur Thierry Herzog aurait pu être renseigné (…) tant sur la surveillance des téléphones de Nicolas Sarkozy que sur la (…) d’une perquisition dans le cadre de l’information en cours et, d’autre part (…) est entré en relation, à de nombreuses reprises, avec un magistrat du parquet général de la Cour de cassation dont le nom figure dans la procédure, lequel aurait (…) avant une audience relative à l’examen d’un pourvoi concernant une ouverture d’information suivie à Bordeaux, les documents internes à la Cour de cassation (…). Ces communications mettent également en évidence que ce magistrat aurait fait part à Thierry Herzog de son souhait d’être nommé conseiller au tour extérieur au Conseil d’Etat de Monaco et que Nicolas Sarkozy aurait assuré qu’il l’aiderait dans ce projet (…).
La procureur poursuit : « Certes, les conversations interceptées sont celles d’un avocat avec son client, ce qui pourrait constituer un obstacle à l’ouverture d’une information. Mais elles ont eu lieu à travers une ligne téléphonique ouverte sous un faux nom et au surplus sont de nature à faire présumer la participation de l’avocat concerné à une infraction.
Au vu de ces éléments, j’ai requis ce jour l’ouverture d’une information contre X pour ces faits.
Je vous tiendrai informé des développements de cette procédure. »
Deuxième document. Il s’agit d’une lettre de Philippe Lagauche, avocat général près la cour d’appel de Paris adressée à Christiane Taubira le 26 février 2014. On lit :
« Objet. Ouverture d’une information contre X des chefs de violation du secret de l’instruction, trafic d’influence actif et passif, complicité et recel relatif à des faits nouveaux mis en évidence dans le cadre de la retranscription d’écoutes téléphoniques ordonnées dans le dossier dit ‘’des financements libyens’’ de la campagne présidentielle de 2007.
J’ai l’honneur de vous prier de bien vouloir trouver sous ce pli un rapport du procureur de la République financier me rendant compte de l’ouverture, ce jour, d’une information (…) personne non dénommée des chefs de violation du secret de l’instruction, de trafic d’influence actif et passif et de complicité et recel de ces infractions.
Le juge d’instruction saisi du dossier dit ‘’des fiancements libyens’’ de la campagne présidentielle de 2007 (dont il vous est régulièrement rendu compte sous la référence AS/13/2352/FIN) a en effet par ordonnance du 17 janvier 2014 transmis au procureur de la République financier des procès-verbaux transcrivant des écoutes téléphoniques et des (…) d’appels téléphoniques dont il résulterait des suspicions de commission de ces infractions. »
Le procureur général rappelle les conditions dans lesquelles l’avocat et son client ont tenté de déjouer les écoutes, souligne la mise en cause d’un magistrat du parquet général de la Cour de cassation et s’interroge enfin sur la légalité de la mise sur écoute d’un avocat.
« Après examen de la jurisprudence relative à l’interception de conversations entre une personne et son avocat, il apparaît que la validité de celles-ci, même si elle peut donner lieu à contestation, peut se soutenir, le contenu des conversations et l’usage d’une ligne ouverte sous une identité d’emprunt étant de nature à faire présumer la participation de cet avocat à des faits constitutifs d’une infraction au sens de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 1er octobre 2003. (…)
Je ne manquerai pas de vous tenir informée des suites de cette procédure. »
On le voit, on est loin des affirmations de Christiane Taubira qui jure la main sur le cœur : « Non, je n’ai pas d’informations concernant la date, la durée, le contenu des interceptions judicaires ». La garde des Sceaux s’est mise elle-même dans une situation politique intenable.
Pourtant, contre toute attente, elle sera reconduite dans ses fonctions de ministre de la Justice du gouvernement de Manuel Valls.
« Les bâtards de Bordeaux »
Que contiennent ces écoutes[1] ? Le 29 janvier, Thierry Herzog s’entretien avec Nicolas Sarkozy et parle de Gilbert Azibert : « Il a bossé, hein ! Et surtout, ce qu’il a fait, c’est le truc à l’intérieur, quoi… » Comprendre : ‘’à l’intérieur de la Cour de cassation’’. En effet Gilbert Azibert est affecté à la chambre civile alors que l’affaire des agendas est traitée par la chambre criminelle. Voilà pourquoi il va se rapprocher de son collègue, Patrick Assoust. Ce dernier informe le 19 janvier Gilbert Azibert par mail : « le dossier B » sera audiencé le 11 mars. Deux jours plus tard, il consulte le dossier sur le site intranet de la Cour de cassation. Des rencontres ont lieu entre les deux hauts magistrats.
Le 30 janvier, Thierry Herzog est plutôt optimiste. Il lâche : « Ca va faire du travail à ces bâtards de Bordeaux » en référence aux juges qui ont mis son client en examen.
Le 1er février, Nicolas Sarkozy affirme avoir été informé que ses bureaux pourraient être perquisitionnés. Le 5 février, l’ancien président confirme qu’il peut aider Gilbert Azibert à obtenir un poste à Monaco. « Je l’aiderai » affirme Sarkozy au téléphone. Appelle-le aujourd’hui en disant que je m’en occuperai parce que je vais à Monaco et je verrai le prince… »
Le 24 février : « Tu peux lui dire que je vais faire la démarche auprès du ministre d’Etat demain ou après-demain. » Le 25 février : « OK. Tu peux lui dire que je…à midi, je ferai la démarche puis je t’appellerai pour te dire ce qu’il en est. »
Le lendemain, 26 février, les deux hommes se parlent, cette fois sur leurs téléphones habituels. Changement de ton et de stratégie. Nicolas Sarkozy annonce qu’il a bien vu le secrétaire d’Etat de Monaco mais qu’il n’est pas intervenu en faveur de Gilbert Azibert. Il dira la même chose sur le téléphone au nom de Paul Bismuth. Les policiers comprennent que l’avocat et son client ont appris, ce 25 février, qu’ils étaient aussi écoutés sur la ligne clandestine. Ce qui veut dire qu’ils ont une taupe au sein de l’appareil d’Etat. Voilà pourquoi, estiment les policiers, les deux interlocuteurs ont « adapté » leur discours. Et peut-être leurs actes en s’abstenant, pour l’ancien président, de parler de Gilbert Azibert au ministre monégasque.
Le 30 juin 2014, Thierry Herzog, Gilbert Azibert et Patrick Sassoust, sont interpellés et placés en garde à vue. Seuls les deux premiers seront présentés aux juges et mis en examen pour « corruption passive, trafic d’influence passif, recel de violation du secret professionnel » pour le magistrat. Et pour « corruption active, trafic d’influence actif, violation et recel du secret professionnel » pour l’avocat. Du lourd.
Le lendemain, Nicolas Sarkozy se présente à la PJ à Nanterre. Il en sortira quinze heures plus tard après être passé dans le bureau des « deux dames ». Pour avoir promis un avantage à une personne dépositaire de l’autorité publique, l’infraction de corruption active est bel et bien constituée et retenue contre lui. Pour avoir tenté de peser sur la procédure de la Cour de cassation, le délit de trafic d’influence actif est retenu contre l’ancien président. Enfin, pour avoir obtenu des informations sur les écoutes et les perquisitions, il est poursuivi pour recel de violation du secret professionnel.
« Ces faits ne reposent que sur des écoutes que nous contestons et dont la légalité sera fortement combattue » annonce Me Paul-Albert Iweins, l’avocat de Thierry Herzog. Quant au nouvel avocat de Nicolas Sarkozy, Me Pierre Haïk, c’est un excellent pénaliste dont on sait qu’il va s’employer à torpiller la procédure des juges.
La contre-attaque
Le soir-même, Nicolas Sarkozy s’explique dans un entretien télévisé. Interrogé par Gilles Bouleau (TF1) et Jean-Pierre Elkabbach (Europe 1), l’ancien président contient difficilement sa colère. « Jamais, je n’ai commis un acte contraire aux principes républicains…. Je suis choqué. Il y a eu une volonté de m’humilier. Tout est fait pour donner une image qui n’est pas conforme à la vérité… »
Il s’en prend aux juges qu’il appelle les ‘’deux dames’’ : « Est-il normal qu’on choisisse un magistrat qui appartient au Syndicat de la Magistrature et dont l’obsession politique est de détruire la personne contre qui il doit instruire à charge et à décharge ? » Les chefs d’accusation ? « Grotesques ». Le trafic d’influence ? « Il existe une écoute qui n’a pas fuité dans la presse où je dis à Thierry Herzog non, je ne ferai pas cette intervention pour nommer M. Azibert à Monaco. Où est le trafic d’influence ? Où est la corruption ? » L’ancien président voit dans sa mise en examen une affaire politique : « Il y a des choses qui sont en train d’être organisées. Les Français doivent les connaître… il y a une instrumentalisation de la justice. »
La mise en cause professionnelle des magistrats est inacceptable. Le lendemain, Chantal Arens, la discrète présidente du TGI de Paris, rappelle : « L’indépendance juridictionnelle des juges est une condition essentielle de la démocratie. » Alain Juppé ajoute que « vilipender l’institution judiciaire n’est pas une bonne méthode. »
Propos inacceptables pour Henri Guaino qui dénonce « l’arrogance » du maire de Bordeaux et va jusqu’à demander, avec quelques autres, l’interdiction de se syndiquer pour les magistrats.
Les « petits pois » prendraient-ils leur revanche ? Si tel est le cas, l’ancien locataire de l’Elysée va leur donner du travail. Son nom est cité dans de nombreuses procédures : l’affaire Karachi , le financement libyen de sa campagne de 2007, l’arbitrage suspect en faveur de Bernard Tapie, les sondages de l’Elysée, Bygmalion, les comptes de campagne 2012 (pour laquelle il est déjà renvoyé en correctionnelle), le meeting de Toulon pour lequel une enquête a été ouverte en octobre 2013 pour détournement de fonds publics puisque ce meeting n’a pas été inscrit sur les comptes de campagne.
Et maintenant, corruption et trafic d’influence actifs. Cela fait beaucoup, non ?
Marcel GAY
[1] Au mois de mars, Médiapart publie sept écoutes judiciaires entre Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog, complétées par Le Monde du 14 juillet.