Sandrine Capizzi, Université de Lorraine
Le protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) pour la maladie de Lyme devrait être validé ces jours-ci par la Haute Autorité de santé (HAS) et aussitôt rendu public. Voilà plus d’un an que des médecins et des associations de patients y travaillent, afin de fixer les modalités de prise en charge des patients en France.
Très attendu, ce protocole doit venir actualiser les bonnes pratiques définies dans la dernière conférence de consensus qui remonte à… 2006. Ces consignes arrivent à point nommé, alors que les tiques porteuses de la bactérie vont recommencer à piquer en France à partir du mois de mai.
La tique Ixodes ricinus, vecteur de maladies le plus répandu
Ixodes ricinus est le vecteur de maladies le plus largement répandu en France et en Europe. Cette tique est à l’origine de la maladie de Lyme, causée par des bactéries de la famille borrélie. Elle transmet également des pathologies liées à d’autres agents bactériens, parasitaires et viraux.
Les piqûres de cette tique se produisent principalement en forêt. Cependant, 22 % des signalements réalisés par les citoyens sur leur téléphone mobile via l’application Signalement-Tique concernent des piqûres dans des jardins. La période d’activité de cette tique s’étend de mai à octobre, avec un pic en juillet et août, à l’exception du pourtour méditerranéen où les étés sont trop chauds.
Pour mieux comprendre l’écologie des tiques, les chercheurs disposent non seulement des données obtenues par Signalement-TIQUE, mais aussi de tiques collectées par des citoyens et envoyées à l’équipe CiTique, projet de sciences participatives porté par l’Institut national de recherche agronomique (INRA).
55 000 personnes contaminées en une année par des borrélies
Les dernières estimations publiées par le réseau Sentinelles de Santé Publique France font état de 55 000 personnes contaminées en une année dans notre pays par des borrélies (avec la présence d’un érythème migrant sur la peau ou d’un test sanguin positif). Les données des instances de santé citées dans un précédent article que j’avais publié sur The Conversation indiquaient, pour 2012, le nombre de 27 000 personnes. L’augmentation est plus marquée encore dans certaines régions comme la Lorraine. L’incidence y est ainsi passée, entre 2015 et 2016, de 128 à 332 cas pour 100 000 habitants et par an.
Lyme n’est qu’une partie du problème sanitaire posé par les tiques. Les tiques peuvent transmettre simultanément plusieurs agents pathogènes – et pas seulement des borrélies.
En Allemagne, une autre bactérie, Bartonella, est retrouvée dans 7 % des tiques. En Belgique, 7 % des tiques sont infectées par des rickettsies. Ces contaminations multiples compliquent le diagnostic chez les patients et rendent le traitement plus difficile à choisir.
Une description problématique de la maladie de Lyme
Pour revenir à la maladie de Lyme, la description même de la maladie pose problème. Il est habituellement admis qu’elle se développe en 3 phases. La phase primaire dite de « contamination », se traduit généralement par l’apparition d’une tâche rouge sur la peau, qui grandit, l’érythème migrant. Mais certains malades n’en ont jamais connu. Ils présentent directement les symptômes neurologiques des phases secondaire ou tertiaire. Il peut donc se révéler difficile de catégoriser à coup sûr la phase dans laquelle se trouve un patient donné.
Autre souci, il n’est pas toujours possible de dater la contamination pour des personnes qui ont subi de nombreuses piqûres. De plus, les médecins sont en désaccord sur la terminologie de la dernière phase, qualifiée tour à tour de « tardive », « chronique », « persistante » ou encore de « post-lyme ».
Sans anticiper sur le futur protocole national de diagnostic et de soins (PNDS), il paraît logique d’abandonner le découpage en phases pour parler plutôt de signes cliniques cutanés, articulaires ou neurologiques. Ce sont en effet les symptômes principaux de la maladie de Lyme.
La question épineuse du diagnostic de la maladie de Lyme
Un autre sujet épineux qui doit être abordé dans le futur protocole est celui du diagnostic. Actuellement, celui-ci repose sur deux tests sanguins successifs, selon les recommandations du consensus de 2006. La première étape de criblage, par une technique ELISA, doit être confirmée obligatoirement par une seconde réaction appelée immuno-empreinte ou western-blot. Cette procédure détecte les anticorps produits par le système immunitaire en présence de la bactérie borrélie.
Il est difficile, pour les médecins, d’interpréter les analyses donnant le taux d’anticorps dans le sang du patient. En effet, les anticorps sont souvent non détectables les premiers mois suivant la piqûre. Par ailleurs, ils peuvent persister plusieurs mois même si le traitement se montre efficace. A l’inverse, un traitement antibiotique précoce, lors de la phase primaire de la maladie, peut retarder l’apparition des anticorps et provoquer des résultats faussement négatifs.
De plus, ces tests sont souvent considérés comme peu sensibles. Suivant les recommandations internationales, les réactifs ne sont homologués que lorsque leur sensibilité a été évaluée sur des cas certains, confirmés par un examen clinique. Le problème est que cette confirmation est difficile. Lors de l’évaluation, les témoins positifs sont donc pris dans une population dont les tests biologiques sont déjà positifs, et non dans l’ensemble des malades. Ainsi la sensibilité annoncée des tests est supérieure à ce qu’elle est en réalité.
Autre limite aux tests ELISA et western-blot : parfois, le système immunitaire de la personne contaminée ne réagit pas à la présence de la bactérie… Certaines personnes sont malades, mais leur organisme ne se défend pas, ne produisant pas de réponse immunitaire.
Mesurer les anticorps ne marche pas à tous les coups
Quand les tests mesurent nos anticorps pour dire si la bactérie ennemie est présente, c’est comme si nous comptions les soldats de notre propre armée dans l’idée d’en déduire la puissance de l’adversaire. Ce qui fonctionne pour des maladies comme le sida ou le zona, ne marche pas à tous les coups pour la maladie de Lyme. Aussi, pour éviter la recherche vaine d’anticorps qui peuvent se révéler dans certains cas peu nombreux, il paraît logique de proposer d’autres tests dans le futur. Et en attendant qu’ils arrivent, de se baser sur des signes cliniques pour poser le diagnostic, comme le font couramment les médecins généralistes pour d’autres maladies.
Certains patients, actuellement, croient obtenir plus de fiabilité en réalisant des analyses dans des laboratoires vétérinaires. Mais les techniques par biologie moléculaire (ou PCR) que ces établissements utilisent ne donnent pas de résultats satisfaisants chez l’humain. En effet, les bactéries n’y circulent pas librement dans le sang comme c’est le cas chez les animaux infectés et asymptomatiques, c’est à dire non malades.
On voit aussi fleurir de nombreux tests, en pharmacie et sur internet, qui ne sont prometteurs que sur l’emballage. Attention, les autotests de détection rapide vendus en pharmacie sont des « dispositifs médicaux » qui ne sont pas soumis à l’obligation de résultats, contrairement aux médicaments. Aucune étude scientifique n’a établi leur sensibilité. Ils sont donc à déconseiller.
Donner des antibiotiques dès que les signes cliniques sont présents
Dans quels cas faut-il donner des antibiotiques contre la maladie de Lyme ? Là aussi le sujet fait débat. Le rapport du Haut Conseil en Santé Publique, rendu public en 2014, donne des recommandations qui témoignent du niveau d’incertitude actuel.
Il est en effet indiqué qu’un tel traitement doit être mis en place lorsque des manifestations cliniques existent avec un test sanguin :
- soit positif,
- soit d’interprétation parfois plus difficile mais globalement positive,
- soit négatif, le doute devant bénéficier au patient.
Selon ce rapport, les médecins devraient donner un traitement dès que les signes cliniques pourraient laisser envisager une maladie de Lyme, même avec un test sanguin négatif – dès lors qu’il y aurait eu un contact avec une tique. Les effets bénéfiques ou nuls suite au traitement permettent de conclure ensuite si la pathologie est liée à des borrélies.
Dans les faits, beaucoup de patients se voient refuser un traitement en l’absence de test sanguin positif car ils ne peuvent pas prouver les manifestations cliniques qu’ils ressentent. Une douleur, la fatigue ne se mesurent pas.
Sur le fond, l’absence d’amélioration des symptômes sous antibiotique ne permet pas d’affirmer que l’on s’est trompé de diagnostic et que la bactérie est absente. A l’inverse, une amélioration transitoire ou même définitive de l’état du patient ne constitue pas en soi une preuve qu’il s’agit bien d’une maladie de Lyme. En effet, l’antibiotique peut agir sur d’autres bactéries ou pathogènes que les borrélies. Il peut aussi avoir une activité anti-inflammatoire, un effet placébo ou bien doper tout simplement le système immunitaire. C’est dire si le progrès dans les connaissances scientifiques est attendu sur cette question…
Quand la maladie de Lyme persiste…
Que proposer aux patients donnant tous les signes d’une maladie de Lyme persistante ? Un diagnostic, pour commencer. Il faudrait sans doute le fonder uniquement sur l’examen clinique. En effet, une étude américaine publiée en décembre 2017 a mis en évidence des critères cliniques pour des patients souffrant de formes chroniques.
Les chercheurs ont étudié la qualité de vie de 26 personnes saines et 61 malades de Lyme ayant bénéficié d’un traitement antibiotique standard, souffrant toujours de la maladie de Lyme ou d’un syndrome post-traitement (Post-treament Lyme disease syndrome ou PTLDS). Leur état a été évalué en laboratoire par des examens respiratoires, neurologiques, cardiaques, hépatiques, sanguins, et des questionnaires listant 36 critères ou symptômes.
Les patients atteints de syndrome post-traitement présentaient des niveaux de fatigue, des douleurs musculo-squelettiques, des troubles du sommeil et une dépression qui étaient à la fois cliniquement significatifs et statistiquement plus élevés que les témoins sains. Cette étude montre que le PTLDS peut être identifié en utilisant une approche systématique pour le repérage et la quantification des symptômes. Il y a donc un besoin de formation des professionnelles de santé pour qu’ils puissent identifier et prendre en charge plus efficacement les PTLDS.
Ainsi, le futur protocole devra inclure une meilleure formation des médecins aux différents types de maladie de Lyme. Cependant, étant donné la complexité de cette pathologie, des services « Lyme » devront être créés dans les hôpitaux ou des centres de soins spécialisés. En cancérologie, les malades sont suivis par des cancérologues. De même en infectiologie, les malades ont besoin de spécialistes pour détecter des signes polymorphes, fréquents et persistants. Ce sont des spécialistes aussi qui, dans les formes persistantes ou chroniques, résistantes aux traitements conventionnels, sont en mesure de proposer une prise en charge globale.
Sandrine Capizzi, Maître de conférences en parasitologie à la faculté de pharmacie de Nancy, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.