Actuelle directrice du FMI, Christine Lagarde est jugée à partir de ce lundi 12 décembre par la Cour de justice de la République (CJR) pour son rôle présumé dans l’affaire Tapie/Crédit-Lyonnais.
Ministre française de l’Économie entre 2007 et 2011, Christine Lagarde est jugée au titre de l’article 432-16 du Code pénal lequel dispose que toute personne dépositaire de l’autorité publique qui aurait, par sa « négligence », permis un détournement de fonds publics, doit rendre des comptes.
L’affaire est assez compliquée. Avec Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin, Pierre Estoup fut l’un des trois juges du tribunal arbitral qui, le 7 juillet 2008, a condamné le CDR (consortium de réalisation) c’est-à-dire l’Etat, à verser 403 M€ à Bernard Tapie, dont 45 M€ de préjudice moral, pour solder le litige opposant l’homme d’affaires marseillais au Crédit Lyonnais dans la vente d’Adidas. Une vieille histoire remontant aux années 80 et 90.
Quelques semaines plus tard, Christine Lagarde, alors ministre des Finances, qui a elle-même lancé la procédure d’arbitrage contre l’avis des juristes de son ministère, ne s’oppose pas, curieusement, à la décision prise par les arbitres. Pire, elle refuse de faire appel de la décision comme le lui demandent instamment ses proches conseillers.
Une violente polémique agite alors la classe politique et la presse mettant en cause, notamment, l’impartialité de l’un des arbitres, en l’occurrence Pierre Estoup et le rôle que l’Elysée aurait pu jouer dans cette affaire.
Différents recours sont déposés. Une information judiciaire est finalement ouverte par le parquet de Paris en septembre 2012 pour « usage abusif de pouvoirs sociaux et recel ». Elle est confiée aux juges Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut du pôle financier. Les juges frappent vite et fort. Ils soupçonnent des ententes entre différentes personnalités. Plusieurs perquisitions sont effectuées, en particulier au domicile des juges-arbitres, de Christine Lagarde mais aussi de Stéphane Richard, alors directeur de cabinet à Bercy, mais aussi de Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée et, enfin, au bureau de Me Maurice Lantourne, avocat de Bernard Tapie.
Les enquêteurs découvrent alors que Pierre Estoup et Bernard Tapie se connaissent un peu plus qu’ils ne l’ont dit. Ils mettent la main sur un livre dédicacé en 1998 par l’homme d’affaires qui adresse au magistrat son « infinie reconnaissance… [et] toute son affection ».
Escroquerie en bande organisée
Les enquêteurs soupçonnent aussi des liens privilégiés et anciens entre Pierre Estoup et Maurice Lantourne. En effet, ils constatent que les deux hommes ont participé à neuf arbitrages communs et qu’ils ont évoqué, ensemble, l’arbitrage Tapie-Adidas dès 2006.
Pierre Estoup a derrière lui une longue carrière de magistrat. Originaire de Haute-Garonne, où il est né en 1926, il commence comme avocat au barreau de Toulouse. Il choisit la carrière judiciaire en 1952. Après un détour par l’Algérie, il est juge en 1959 au tribunal d’Hayange (Moselle) puis vice-président à Sarreguemines et Thionville, conseiller à la cour d’appel de Metz en 1973, président du TGI de Nancy en 1976, où il reviendra comme président en 1981 avant de terminer à la cour d’appel de Versailles entre 1984 et 1991. Depuis, il est magistrat honoraire.
L’ennui pour lui, c’est qu’il a signé une déclaration d’indépendance avant d’accepter d’être l’un des arbitres de l’affaire Tapie. Or, selon une information du Monde, l’ancien magistrat a été « consultant » entre 1997 et 2006 et 42% de ses honoraires provenaient de dossiers dans lesquels apparaissaient les avocats de Bernard Tapie.
En mai 2013 Pierre Estoup a été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », comme Me Lantourne, Stéphane Richard et Bernard Tapie. L’ancien président du CDR, Jean-François Rocchi a été mis en examen pour « usage abusif de pouvoirs sociaux ». Enfin Christine Lagarde a été placée comme témoin assistée par la Cour de Justice de République, seule habilitée à juger les ministres pour des faits relevant de leurs fonctions.
L’ancienne ministre de l’Economie est donc jugée à partir de ce lundi dans le cadre de cette affaire. Elle encourt un an de prison et 15.000 € d’amende. Mais, surtout, si elle était condamnée, sa brillante carrière serait couverte d’opprobre.
M.G.