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Lettre de juin de Gaïa à Aurore Kepler : Dans le secret de l’isoloir

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 b dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire. Aujourd’hui, Gaïa parle à sa soeur de politique et de géopolitique.

Combien de votes blancs et nuls?
Dans le secret de l’Isoloir…
Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Par Gilles Voydeville

Mois de juin 2024 sur Gaïa
Mois des sources jaillissantes sur Kepler

Ma chère Aurore,

Je reçois à l’instant de tes nouvelles et pour te répondre je n’ai qu’une envie : celle de prendre ma plume quantique qui vole au vent stellaire qui traverse nos galaxies. Ah, comme il est agréable de pouvoir correspondre ! Si facilement et d’aussi loin, il est presque inimaginable de comprendre qu’une intrication de particules puisse réaliser ce rêve d’instantanéité d’échanges d’idées et de réflexions. Tout cela n’abolit pas ces distances sidérales qui séparent nos corps joufflus, mais cela permet à nos esprits d’entretenir leur vivacité et de garder un certain espoir face à l’incertitude de l’avenir. En fait, nous avons besoin de nous rassurer l’une l’autre, car si nous sommes d’essence universelle, nous ne savons que peu de choses du mystère de notre naissance. Nous n’avons rien fait pour être sorties du néant, nous n’y avons aucun mérite mais en revanche nous en subissons les angoisses. Naître est un acte involontaire, inégalitaire et obscur.

Correspondre est un gage de longue amitié

Ainsi je m’installe au centre de moi-même. Au calme, loin du tumulte des tempêtes cosmiques ou des orages magnétiques. Je me concentre et soudain, une idée jaillit de nulle part. Car je ne sais jamais d’où vient ma pensée. Cela m’interpelle toujours de voir éclore en moi une nouvelle façon de comprendre et d’interpréter la vie qui me constitue et m’entoure. J’en pèse le pour puis le contre, je la couche sur un support, je la modifie, je la remodèle, j’y reviens, je tâche de soupeser les valeurs respectives des multiples contradictions qu’elle pourra engendrer, j’imagine les oppositions qu’elle va générer, je la corrige encore et encore et enfin, j’ose te l’adresser.

Et puis j’attends ta réponse, pressée de te lire

Je trouve que tu traines, que tu exagères de me faire languir, que tu dois trop peu m’aimer pour me faire tant patienter. J’échafaude les commentaires que tu pourrais me faire. Comme je sais que mes idées proviennent de nos échanges, qu’elles ont été construites avec tes remarques et grâce à tes réflexions, je suis dans l’impatience de te lire pour me rassurer sur le partage de notre point de vue et sur l’identité de nos analyses. Obtenir ton assentiment a un double avantage : celui d’avoir compris ta pensée et celui d’avoir su l’utiliser pour nous convaincre à nouveau de la valeur de notre communion.

Et toi mon alter ego, tu n’es pas une rivale

Car tout comme moi, tu ne risques pas de me faire d’ombre par ta prestance qui n’impressionnera pas mon entourage car tu resteras éternellement invisible. Comme l’existence d’un être ou d’une plante impose la comparaison avec ses semblables, le moins bien doté en souffrira. Il n’est pas si simple de naître et de grandir avec des atouts qui nous sont non pas étrangers, car ils font partie de notre être, mais insuffisants au regard de ce que d’autres ont obtenu… La sagesse de celui ou de celle qui se contente de ce qu’il a reçu est une rare disposition spirituelle. Elle n’en effleure que peu, ces quelques philosophes de ma planète qui ont fait profession d’accepter leur sort.

Une planète aride sans nature arborée

Vois-tu ma chère Aurore, Mars ma voisine me jalouse à un point que tu ignores. Elle se réjouit de la dernière lubie de Charmant qui veut la coloniser quand je serai épuisée. S’il y va un jour, il va devoir recomposer de l’oxygène et de l’eau à partir de ce dont elle dispose, pas grand-chose en vérité… Je suis médisante mais à vrai dire jalouse d’une revanche que je pensais impossible. Comment une tête brûlée, une va-t-en guerre, une desséchée de la peau et du cœur, une planète aride sans nature arborée, sans aucun champ de blé ondulant sous la brise du soir, sans aucune fleur perlant sous la rosée du matin, comment un tel désert peut-il être convoité par mon petit monstre charmant d’humanité ? J’enrage encore d’un tel dédain. Mais je dois avouer que c’est pour moi une leçon d’humilité. Car Mars fut si peu gâtée par notre parenté qu’elle est méritante d’avoir retenu l’intérêt de mon Charmant. Et puis, s’il s’en va là-bas faire ses bêtises, ce sera toujours cela qui me sera épargné…

La Paix est un miracle et dure jamais longtemps

J’ai évité de te parler de mes conflits au cours de ma dernière lettre car je ne voulais plus te lasser du tant de persévérance de Charmant à guerroyer. Je pense qu’une partie de sa race est faite pour la guerre et que la paix est un miracle qui ne dure jamais très longtemps. Car il faut peu de monde pour en déclencher une alors qu’il faut un large consensus pour la finir. Pour les brutaux, quoi de plus agréable que de ne plus composer avec autrui, de ne plus tenir compte d’avis qui dérangent ses certitudes, de ne plus répondre aux questions que je lui pose. Un désaccord ? Il est traité d’une rafale de fusil ou du lancement d’une bombe qui efface jusqu’aux traces de l’autre. Cette simplification des échanges, si l’on peut dire, se base sur une croyance, presque aussi vieille que ma terre, de la supériorité de la force sur la raison. Certes, la brutalité règle un problème instantanément. Mais l’injustice subie s’avérera plus résiliente et endurante que la force dont la barbarie finira même par lasser ses utilisateurs. Car leur orgueil voudra un jour ou l’autre se draper du blanc sein de la morale. Mis à part Daech, les agresseurs essayent toujours de masquer leur vilénie sous des apparences de justice. Car pour être soutenus dans leur combat, les agresseurs doivent s’appuyer sur leur base, leur peuple. Et comme bizarrement une grande partie de ma charmante humanité est guidée par de grands projets messianiques qui sont sa part de divinité, le soutient à une cause satanique n’est jamais éternel.

Un vent bizarre qui m’inquiète

Ma chère Aurore, je dois te parler d’autre chose. Il faut que je t’entretienne d’un vent, un autre que celui qui rafraîchit nos pôles, un vent bizarre qui m’inquiète. Il souffle sur mon Europe de l’Ouest qui vient d’élire ses envoyés à la Grand Assemblée. Ce que mes Charmants appellent l’extrême droite y a cru en nombre et de notable façon. Le peuple du pays de France y apporte son lot plus que les autres. Ce peuple qui a toujours été l’un des plus révoltés (il détient le record des révolutions), s’entiche de promesses faites avec légèreté, non par des camelots sur un stand de foire mais par une gent qui voudrait la diriger. L’analogie du comportement de ces prophètes de bonheur d’avec les marchands ambulants n’inquiète plus ce charmant peuple qui veut encore croire à des lendemains meilleurs. Quand gronde sous ses fenêtres le bruit des canons et s’effondre son rêve d’ascension. Le déçu se retranche derrière sa naïveté pour espérer. Je me demande ma chère Aurore si ce peuple n’est pas dépité par sa perte d’influence et d’empire.

Un enfant gâté

On dit que les révolutions viennent du manque d’innovation des élites qui n’ont pas osé faire ce qu’elles pressentaient du besoin populaire. Le problème français, c’est plutôt l’inverse. Les innovations n’ont pas plu au peuple souverain. Et ce peuple se venge du changement qui lui est imposé par celui qu’il a choisi. Bien que ce dernier soit au mieux entouré et doté d’une grande intelligence pour savoir l’avenir, il n’en est pas plus magicien pour transformer le réel. Ce peuple est un enfant gâté qui fait des caprices.

Et donc le président qui gouverne cette douce France, douce comme un lit de ronces à en croire son peuple, a décidé de le prendre au mot, au bulletin…

« Peuple de France, vous voulez donc me tancer après m’avoir par deux fois élu ? Certes il faut châtier celui que l’on aime et je pourrais en conclure que vous m’adorez… Mais comme je vous connais un peu et que vous clamez si haut ma détestation, je prends acte de votre rejet et vous demande donc de retourner voter, non pas selon votre humeur qui est toujours chagrine, mais selon la raison qui a gouverné votre esprit quand vous m’avez choisi. Je dissous cette chambre car, lors des précédentes élections, vous ne m’y avez pas donné les moyens suffisants pour accomplir les basses tâches et nettoyer, non pas les Écuries d’Augias, mais les combles où s’entassait l’héritage social de la maison de l’État. Et je profite de vos caprices pour vous mettre en face de vos responsabilités, juste retour de celles que vous m’imposez quotidiennement.
Vous devrez dépasser l’image que les media vous ont donnée de moi. Vous m’avez élu car, en plus de la figure du gendre idéal, j’étais supposé être le visionnaire de service et l’économiste qui appréhenderait le futur. Je vous ai irrité car mon humeur parfois l’emporte sur ma courtoisie.

Derrière le rideau de l’isoloir

Maintenant, tout au fond de votre être, derrière ce rideau de l’isoloir qui vous mettra face à votre destin, vous allez devoir décider si vous préférez être gouvernés par des démagogues ambitieux, peu diplômés et réputés versatiles, ou par moi ? Vous faites semblant d’ignorer que malgré notre faible poids économique et notre petit nombre, je vous ai conservé une place chez les décideurs de ce monde changeant.
Il est vrai que je suis quelque peu maladroit car je semble imbu de ma personne. Je me sais intelligent mais sachez que je n’en tire aucune gloire. Je n’y suis pour rien et je mets ce don à votre service. Si je mérite quelques compliments, c’est pour mon ardeur au travail, pour cet acharnement à vouloir gérer non pas tout mais beaucoup, car il est de mon devoir de redonner à la France ce qu’elle m’a octroyé par la naissance et l’éducation exemplaire qu’elle m’a dispensée.
Et si j’ai des sautes d’humeur, elles sont la conséquence de ma totale consécration au rayonnement de notre peuple et du peu de temps que j’accorde à mon repos.

Ne cédez pas aux sirènes des extrêmes

Alors réfléchissez ! Cette dissolution que je vous impose est un tournant que nous prendrons ensemble ou séparément. Notre futur mérite un même élan pour une bonne gouvernance. Mes excellents « Premier » ont usé leur patience et leur énergie à résoudre l’impossible contrat que vous nous aviez confié. Et si vous confirmez la dichotomie de vos choix, alors je partirai. J’ai fait ma part en redressant l’emploi (c’était votre leitmotiv), l’industrie (si longtemps oubliée) et obtenu cette réforme des retraites que vous me reprochez mais qui sera bientôt insuffisante. Si les comptes de la nation sont déficitaires, c’est votre inaltérable soif d’avantages qui en est la cause, et vous le savez… Méfiez-vous tout de même : si l’habileté du prochain à vous combler, en creusant le déficit tout en le faisant accepter par le reste de l’Europe, n’est pas à la hauteur de mon expérience, vous en pâtirez…
Mes chers concitoyens, chers à double titres, ne cédez pas aux sirènes des extrêmes, elles chantent tant qu’elles ne sont pas confrontées au gros temps. »

Voilà, ma chère Aurore, un beau discours qui sera ou ne sera pas couronné de succès.

Quant à moi, je vais tâcher d’analyser les possibles.

Souviens-toi que l’Europe a vécu des heures calamiteuses après la première guerre du siècle dernier qui a dévasté mon territoire.
La Russie est devenue une dictature dont l’origine fut celle de la défense du prolétariat.
L’Allemagne après sa défaite de 1918 fut gouvernée par la république dite de Weimar qui finira par être dominée par le National-Socialisme d’extrême droite, celui qui a déclenché le deuxième cataclysme de ce siècle.
Les pays du Sud se sont vus gouvernés par des dictatures de droite avec Franco, Mussolini et puis Salazar.
Le France a été régie par une dictature de droite sous l’occupation nazie. Mais d’elle-même elle ne s’était jamais auparavant tournée vers une dictature, si ce n’est par deux fois vers un empire.

Aujourd’hui :

La dictature russe persiste mais c’est une tradition impériale.
En Italie, la droite s’est réimposée sous une forme moins extrême qu’auparavant (lors de la campagne des élections italiennes, le journal de gauche la Republica ne qualifiait pas d’extrême droite Giorgia Meloni).
Il y a fort à craindre que, si les circonstances économiques se dégradent, l’Espagne et le Portugal reprennent les vieux chemins de la tyrannie.
Quant à l’Allemagne elle voit les néo-nazi remonter avec Alternative für Deutschland (AfD).
Tous ces pays ont un vieux fond qui les porte au fascisme soit de gauche, soit de droite si les démocraties n’ont pas pu traiter leurs problèmes.

Et donc que vais-je te dire de la France ?

Eh! bien, elle ne s’est jamais donnée à la droite extrême de son plein gré, ni n’en a jamais eu de ministres. En revanche elle a déjà été gouvernée par des ministres communistes en 1936 et en 1981. Sa tendance serait plutôt de se reposer sur sa gauche et c’est une option.
Comme je ne trouve pas que ce pays soit menacé par une quelconque disette, un chômage de masse ou une faillite de l’État, je ne pense pas que l’extrême droite puisse y gagner. Le parti de ce président a toutes les chances d’être adoubé par ce peuple orgueilleux qui ne se permettra pas de mettre des élites au rabais sur son trône.

Ma chère Aurore, voici mes dernières pensées. Je n’oublie ni les guerres ni les massacres, mais je ne peux toujours t’en parler. Je vois ce spectre brun montrer le bout de son nez. J’aimerais que tu m’éclaires sur l’avenir de ce petit pays qui essaye encore de compter parmi les grands avec cet avis sororal qui m’est si cher.

Je t’enlace de mes plus jolis rubans de nacre boréale, je t’enserre dans ces bras d’Orion qui nous sont communs, je t’embrasse de la bouche de mes estuaires et je te dis encore que je t’aime.

Ta sœur qui t’adore Gaïa

Les Lettres de Gaïa

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