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Lettre d’octobre 2022 d’Aurore Kepler à Gaïa

Notre planète Terre, Gaïa chez les Grecs, considérée comme un être vivant, correspond régulièrement avec une autre planète de l’univers, Aurore Kepler 452 B dans la constellation du Cygne. Gilles Voydeville nous fait découvrir cette magnifique correspondance interstellaire.

Dr Gilles Voydeville
Dr Gilles Voydeville (DR)

Lettre du mois des froidures stellaires sur Kepler

Lettre d’octobre 2022 sur Gaïa

Ma chère Gaïa

Je te remercie pour tes dernières nouvelles qui malheureusement ne me réjouissent pas. Mon monde est si calme quand je le compare au tien. Il est incroyable de constater qu’un autocrate peut détruire ta terre grâce à la puissance que ses prédécesseurs ont accumulée !
Une pensée me vient : si nous ne voyons passer personne dans notre voisinage – ces petits hommes verts que tes Charmants voyaient tantôt partout atterrir en soucoupes volantes sur ton globe – ça n’est pas la preuve que la vie peut exceptionnellement jaillir de la soupe primordiale de molécules qui sont répandues partout dans l’univers ; mais cela doit plutôt tenir au fait qu’une civilisation avancée a les moyens de s’autodétruire. Ton petit être charmant doit avoir mis 3 ou 4 millions de cycles autour de ton astre pour acquérir la technologie du champignon géant et, s’il commence à s’en servir, il va disparaître en seulement quelques années.

Ceci explique sans doute notre vaine attente de la manifestation d’autres vies que la nôtre, extra galactique dirions-nous.

La durée entre l’acquisition par une civilisation d’une technologie de communication puissante, virtuelle ou matérielle, et sa capacité d’autodestruction peut être très courte ce qui expliquerait la vacuité du ciel. Dans ton cas, ma chère Gaïa, je dirais même que tes Charmants n’ont pas encore acquis des techniques de projection lointaines, mais qu’ils sont déjà capables de s’éliminer. Il faut que tu leur expliques qu’avec un tel comportement, leur espoir de laisser une trace dans l’univers se réduit comme peau de chagrin, fameux talisman fait de peau d’âne qui selon ton Balzac exauce les vœux mais se réduit à chaque usage ; tout comme la vie de l’exaucé se raccourcit.

Ce champignon maléfique est un moyen de régulation un peu trop radical pour faire de toi une planète heureuse. Mais d’un autre côté, la croissance infinie de ta population charmante doit bien trouver un point d’orgue ; car compter sur tes Charmants pour se réguler est illusoire. Je sais que chez toi en ce moment, beaucoup d’espèces de la faune disparaissent par la faute de ton petit humanoïde, alors que lui croît et se multiplie de manière inquiétante.

Ma chère Gaïa, je crois que ton vrai problème, c’est la croissance.

C’est un mantra qui n’est guère remis en question par quiconque. Un exemple : tes hommes politiques se distinguent les uns des autres en prenant chacun le contrepied de ce que propose le concurrent, mais ils s’accordent quasiment tous sur la nécessaire croissance qui permettra aux pauvres de survivre et contentera les plus riches d’un surplus indispensable à leur ego. La croissance, c’est le mot magique qui fera oublier les fins de mois compliquées, adoucira les peines de cœur et calmera les angoisses de la finitude. C’est la quête du Graal, le projet de chaque Charmant tout comme de chacun de ses peuples. Au point que celui qui ne la désire pas est qualifié de dépressif.

Ici sur Kepler, aucun peuple ne veut croître infiniment.

Il n’en a pas l’utilité. Être plus nombreux n’a d’autre raison que fournir plus de chair aux canons de tes conflits. Ce doit être pour cela que l’étendard de la croissance flotte dans le ciel de toutes tes nations. Chez moi il n’y a pas d’encouragement à procréer alors que chez toi, les guerres étant encore nombreuses, il faut bien trouver un moyen d’augmenter la population pour survivre et pour vaincre. Ton problème est que plus les femmes sont éduquées, moins elles font d’enfants. Donc tu m’as déjà expliqué que dans tes nations dites avancées, on a trouvé un moyen pour inciter un certain nombre de femmes à procréer : on leur donne de l’argent pour chaque enfant, beaucoup plus au-delà de deux et encore plus si elles les élèvent seules.

Donc les enfants naissent en batterie et les époux disparaissent pour améliorer les revenus du ménage.

Cela te pose des problèmes de société car celles-là qui procréent sont les plus pauvres et les moins instruites. Avec les conséquences que l’on peut s’imaginer sur la capacité de leurs enfants à trouver une bonne place dans ta société. Cela pousse tes Charmants les plus démunis à enfanter, non pour le désir d’élever, mais pour subsister. Le résultat n’est pas fabuleux car il met au monde de petits Charmants qui sont là plus pour le confort matériel qu’ils procureront à leur parenté que pour la joliesse de leur sourire.

Il y a certainement encore une autre raison à ce désir de croissance. Sur Kepler, chaque Ovoïde trait son pouloïde pour se nourrir, alors que chez toi les plus vieux doivent leur subsistance au travail des plus jeunes qui leur versent leurs retraites. Cela explique sans doute pourquoi tes Charmants sont obsédés par le nombre global de rejetons à fournir.

Car les vieux ont peur de ne pas manger s’il n’y a pas assez de jeunes pour les nourrir.

Ici sur Kepler, très peu d’Ovoïdes travaillent mais chez toi c’est l’inverse et celui qui ne travaille pas dépend de celui qui travaille. Donc je te suggère de retarder l’âge de la mise à la retraite ou plus astucieusement de leur faire prendre une retraite progressive et plus tardive. Ceci permettra d’utiliser le savoir des anciens et leur gardera une place de mentor dans les équipes tout en ménageant leurs forces. Il faudra simplement épargner les plus rudement abîmés par les travaux pénibles. Ainsi ils seront plus nombreux pour nourrir les vieillards, s’ennuieront moins, feront moins de dépression ou de maladies liées à l’oisiveté. Ils ne seront plus astreints à une obligation de remplacement d’un nombre équivalent d’êtres nouveaux ; cela réduira ton nombre d’habitants à nourrir, loger, chauffer.

Ta planète y gagnera en pollution.

Bref, ma chère Gaïa, tu n’es pas au bout de tes peines car diminuer les allocations procréatrices va non seulement diminuer l’intérêt pour la fornication qui est une pacificatrice, mais aussi déclencher l’ire des nombreuses associations de défense des choses établies qui ne cherchent pas toujours l’intérêt général sur le long terme, mais plutôt à s’attirer les suffrages de leurs électeurs pour, pour elle aussi croître…

Ma petite Utula qui admire le sourire énigmatique de l’oncle Xi, subissait également jusqu’à présent le charme glacé de celui de l’ours de l’Oural. Elle voyait dans ses yeux pâles et sans fond les reflets de la mer de la duplicité. Elle entendait dans ses envolées martiales sonner sur les mornes plaines les trompettes qui saluent les auteurs des grandes hécatombes. Elle appréciait dans ses exhibitions et ses gestes virils la manifestation d’une domination à laquelle elle était fort sensible et aurait pu céder si elle avait vécu sur ta terre.

Eh bien, elle a changé d’avis.

Elle a compris que cette invasion n’avait d’autre mobile que l’accaparement des terres à blé des vastes plaines de l’Ukraine. Non pas qu’elle en récusât le motif tout à fait valable à ses yeux. Mais elle a été déçue parce que le vrai motif en avait été trop grossièrement déguisé. Qui peut croire aujourd’hui que le charmant peuple ukrainien est soumis à un gouvernement nazi, que ses élections sont truquées par les interférences de la CIA, qu’il menace au nord un pays réputé pour la force de son armée, alors qu’il délaisse en paix ces petits états limitrophes de l’ouest et du sud ? La fable que l’ours nous a racontée est grossière et n’a pas la finesse ni le charme de celle de ton agneau qui trouble le breuvage du carnassier. C’est une fable soviétique, brutale, délicate comme la chenille d’un char passant sur un massif de fleurs, ciselée dans un béton morcelé par les bombes, assénée et répétée en boucle pour s’imprimer dans des cerveaux avachis par des vérités qui n’ont jamais existées. Sa fable est un arbre en contrevérités qui cache une forêt de mensonges ; une épique saga pour perpétuer la quête d’Yvan le Terrible ; une incitation à la défloraison des agnelles pour s’accaparer la descendance et couvrir les vices d’une armée frustrée par un demi millénaire de tyrannie.

Non, Utula ne l’aime plus.

Pour elle, il n’est pas assez imaginatif.
Il aurait pu par exemple apporter les preuves d’une origine ovine de la pandémie de ton virus préféré, et de sa mise en culture dans des bergeries sacrifiée pour contaminer les plaines de l’ursidé.
Il aurait pu exhiber un traître bélier jaune avouant publiquement avoir disséminé ton petit organisme couronné de diadème dans les eaux de la Volga, avant de le doter d’une datcha sur les bords de la mer Noire et d’agnelles bonnes à tout faire. Ces déclarations auraient expliqué le fort taux de mortalité effectivement constaté dans ses territoires et présenté un casus belli acceptable contre une infâme vermine moutonnante.
Il aurait pu faire croire que le dénommé Nalvany est un mouton déguisé par l’abominable bélier Zelensky, produire sa fiche de paie et son numéro de matricule du gang des Moutons Noirs, et prouver que sa tentative d’abatage avait été fomentée par le bélier qui le savait presque démasqué par les services vétérinaires de l’ours de l’Oural…

Bref Utula aime les bons scenarii et celui proposé par l’ours est trop minable pour qu’elle lui garde son admiration. Si personne ne croit à une histoire, excepté celui qui n’a pas le choix, il faut renvoyer le scénariste étudier l’art dramatique à l’École des Bâtards, lui acheter un manuel des bonnes manières, le faire suivre par un psychiatre pour atténuer son complexe d’infériorité, lui confectionner une barboteuse assortie à un bonnet brodé de dentelles et lui donner un hochet : tout cela pour jouer dans une pièce où l’actrice aux seins abondants pourra lui redonner ce premier contact avec la chair humaine qui lui a sûrement manqué pour qu’il la maltraite à ce point.

Et puis Utula aime les vainqueurs.

Et la déroute des armées de l’ursidé ne la séduit franchement pas. Quand un chef aime la guerre, il pense qu’elle est nécessaire au monde qui pourrirait sans elle, et il la gagne. Ceci était la doctrine du Generalfeldmarschall Helmut Von Moltke qui, commandant les armées prussiennes, voulait empêcher la pourriture de gangréner ses peuples voisins… Et pour gagner, il avait mis au point une tactique dont furent victimes les Duchés allemands en 1864, l’Autriche à Sadowa en 1866 et la France en 1870 : utiliser le rail pour déplacer ses troupes, favoriser l’entraide des bataillons par de bonnes transmissions, et enfin le must du must, dissimuler la progression des unités séquencée dans le temps pour masquer la convergence et la frappe finale. En appliquant en plus les préceptes d’unité du gouvernement de l’armée et du peuple de Clausewitz dont il était proche, ce Prussien fit avec Bismarck et von Roon l’unité allemande. Et Utula a compris que l’ours très mal léché n’a pas lu ni compris grand-chose à l’art de la guerre et que les généraux qu’il a choisis ont fait l’École de la Guerre des Boutons, voire des Pustules ou des Anthrax.

Ma chère Gaïa, il faut que je m’en retourne surveiller les agitations du pays des Deux Lunes. Je ne voudrais pas subir le cercle infernal des conflits et des défaites qui alimentent les revanches. Je te souhaite bien du courage car ton cas est plus préoccupant que le mien. Je t’enlace de mes rubans d’aurores boréales, je t’embrasse de la bouche de mes fleuves et je te bénis du fond de mon cœur.

Ton Aurore

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