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Images sans paroles

Dans un documentaire émouvant, Raphaël Pillosio recherchent « Les mots qu’elles eurent un jour », ces militantes algériennes filmées en 1962 à leur sortie de prison en France.

A l’origine de ce documentaire, un film muet, en noir-et-blanc, de moins de quarante minutes, tourné en 1962.

Pour son documentaire « Algérie, d’autres regards » (2004), Raphaël Pillosio avait rencontré des réalisateurs français, auteurs de films contre la Guerre d’Algérie. Parmi eux, Yann Le Masson, qui lui a confié plus tard un document en noir-et-blanc, de moins de quarante minutes, tourné en 1962, un film muet, la bande son ayant disparue, perdue à jamais. Sur les boites des bobines, la mention « militantes FLN libérées ». Sur les images, une vingtaine de femmes, des Algériennes tout juste libérées de la prison de Rennes.

C’est avec cette « matière de cinéma » que Raphaël Pillosio a composé un documentaire, « Les mots qu’elles eurent un jour » (sortie le 11 juin), qui avait été présenté en avant-première aux Rencontres du Cinéma de Gérardmer. Militantes actives, agentes de liaison, poseuses de bombes… ces femmes avaient été arrêtées en Algérie, transférées en France, elles avaient connu la torture et la prison. Coiffures, vêtements, ce sont des jeunes femmes des années 60, « très modernes », qui participent à une interview collective, de gros plans sur les visages les montrent « belles, pleines de vie, et décidées à se battre », on les sent proches, solidaires.

Des espérances trahies

Tout juste libérées de la prison de Rennes, une vingtaine d’Algériennes participent à une interview collective, dont le son a malheureusement disparu.

Avec ces images sans paroles, Raphaël Pillosio essaie de reconstituer « Les mots qu’elles eurent un jour », ce qu’elles ont bien pu dire ce jour-là, jusqu’à demander l’aide de spécialistes sachant lire sur les lèvres. Dans sa tentative de reconstruction de la parole, il mène également l’enquête en Algérie, tente de retrouver certaines de ces femmes, cinquante ans après, en rencontre quelques-unes, Malika, Fatouma, Salima, Zhora… Passée la joie de se revoir jeunes, d’évoquer des souvenirs, c’est souvent l’amertume qui apparait, celle des espoirs déçus, des espérances trahies après l’indépendance de l’Algérie.

Engagées jeunes dans la lutte politique, certaines de ces « anciennes combattantes » ont continué à militer, se sont consacrées à une activité culturelle, associative, plusieurs se sont mariées à des militants du FLN, d’autres se sont désintéressées de la politique ; elles ont connu des sorts divers mais, passée l’euphorie de l’indépendance, la plupart ont été exclues, reléguées, rejetées des instances, se sont heurtées au barrage des hommes, l’égalité homme-femme restant du domaine de l’utopie.

Si les 40 minutes filmées en 1962 forment « un document très important » pour l’histoire, immortalisant des figures de la libération algérienne, le film de Raphaël Pillosio est un document particulièrement émouvant. Privée des « mots qu’elles eurent un jour », la mise en perspective de ces images marquantes ont du sens. Dans sa volonté de redonner la parole à ces femmes, le réalisateur nous donne l’impression forte de les entendre.

Patrick TARDIT

« Les mots qu’elles eurent un jour », un documentaire de Raphaël Pillosio (sortie le 11 juin).

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