Pour cause de grève, acteurs et scénaristes hollywoodiens sont absents du Festival du Cinéma Américain, forcément solidaire du mouvement, mais où « l’essentiel demeure les œuvres ».
C’est en musique qu’a été ouvert le 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, avec Kyle Eastwood, musicien de jazz et fils de Clint. Le contrebassiste, qui a composé des musiques de films de son père, a notamment joué un extrait de la B.O. de « Gran Torino », et participera ce mardi à une rencontre publique aux Franciscaines, désormais superbe lieu culturel de la cité normande. Mais c’est une autre musique, lancinante, qui résonne au Festival en cette « drôle d’année » pour le cinéma, une « période troublée » alors que le 7ème art est « en pleine mutation », marqué par l’actuel mouvement de grève à Hollywood, d’abord des scénaristes depuis quatre mois rejoints par actrices et acteurs depuis le 14 juillet.
Forcément solidaire, le Festival de Deauville a cependant dû s’adapter et revoir l’organisation des hommages prévus : Jude Law, Natalie Portman, Peter Dinklage, Joseph Gordon-Levitt ont annulé leur venue en Normandie, puisque la grève empêche les acteurs de participer aux événements promotionnels. Seule la Mère des Dragons, l’actrice britannique Emilia Clarke (qui incarne Daenerys dans « Game of Thrones »), avait une dérogation pour venir recevoir dimanche le Prix du Nouvel Hollywood. Président du jury, Guillaume Canet a aussi pu rendre un touchant hommage à son « père spirituel », le cinéaste, scénariste, photographe Jerry Schatzberg, (« L’Epouvantail » Palme d’Or en 1973, « Panique à Needle Park »), donnant le bras jusqu’à la scène à ce monsieur de 96 ans. « Cet homme représente tellement le cinéma indépendant américain », assure le comédien français, qui avait vécu un tournage « magique » avec ce metteur-en-scène « extraordinaire », dans le Bronx à New York, pour « The day the ponies come back ».
Le Festival normand a aussi su s’adapter à la situation en organisant samedi une table ronde intitulée « Grève à Hollywood : les mutations du cinéma ». « Nous partageons les préoccupations des grévistes », affirmait Bruno Barde, directeur du Festival. « L’ensemble de l’industrie du cinéma est derrière, on a l’impression que tout le monde est pour cette grève hormis les six présidents des gafa », constate Laurent Carpentier, journaliste au Monde. « Cette grève ressemble étrangement à celle de 1960, au moment où apparait la télévision aux Etats-Unis, et qui avait duré presque six mois », estime Xavier Lardoux (jusqu’alors au CNC avant de présider prochainement l’Adami, société pour les droits des artistes).
« Les algorithmes sont un miroir de nous-mêmes »
Si les scénaristes s’opposent aux dirigeants des plateformes audiovisuelles sur la redistribution des droits liés à la diffusion de leurs œuvres, un autre danger menace tous les artistes du cinéma : le grand remplacement de l’homme par des machines dotées de l’intelligence artificielle, l’« I.A. » n’étant plus un film de science-fiction de Steven Spielberg (2001) mais une réalité. « Il n’y a pas de solution et ça va durer très longtemps, c’est surtout Netflix qui bloque, c’est paralysé », estime Sophie Barthes, vêtue d’un t-shirt « Writers Guild Strike ». « Ce qui bloque sur l’intelligence artificielle, c’est que les studios entretiennent une sorte d’hypocrisie, ils veulent utiliser les machines avec des scénarios écrits par des humains », ajoute la cinéaste française qui travaille aux Etats-Unis, réalisatrice de « The Pod Generation », film de science-fiction présenté dimanche à Deauville, et qui prépare actuellement une série sur l’intelligence artificielle.
« La technologie est en marche et est faite par des apprentis-sorciers, ce sont des savants fous », estime Alexandre Pachulski, spécialiste de l’intelligence artificielle, « La technologie est en train de mettre en danger l’industrie de la créativité, les intelligences artificielles sont en train de supplanter les humains dans tous les secteurs (…) Elles peuvent faire tout ce que font les artistes, la création était le dernier bastion humain et il semblerait qu’on va nous en priver ». « Il y a une forme de piraterie, de vol à l’étalage », dit Alexandre Pachulski, dénonçant « l’ultra financiarisation du cinéma» : « C’est une crise sociétale, il y a une responsabilité de tous (…) Les algorithmes ne font que reproduire nos comportements, c’est un miroir de nous-mêmes, on ne sortira pas de cette crise sans une vraie conscience individuelle ».
« La seule réponse est politique et démocratique à cet état de fait », estime pour sa part Xavier Lardoux, « Je crois en la régulation en Europe (…) C’est une des premières régions avec la Chine à essayer de réguler l’I.A., et notamment de créer une obligation de transparence », dit-il, se félicitant de l’obligation à laquelle sont soumises les plateformes en France, celle de réinvestir dans des œuvres françaises 20% de leurs recettes réalisées dans le pays : « Quand on a une volonté politique forte de réguler un secteur, on peut le faire ».
« Le cinéma français vit beaucoup des montants prélevés sur les entrées des films américains », rappelle la productrice et distributrice Michèle Halberstadt, prenant l’exemple de « Barbie », dont « le budget de promotion est aussi important que le budget de production ». Privés d’artistes pour faire la promotion de leurs films, les grands studios américains décident ainsi de retarder les sorties, préférant attendre la fin de la grève.
Luc Besson, Judith Godrèche : le retour !
Mais à Deauville, on répète que « l’essentiel demeure les œuvres », le Festival ayant maintenu sa programmation de 80 films, dont une quinzaine en compétition, tous issus du cinéma indépendant américain et présentés pour la plupart par leurs réalisateurs et réalisatrices, mais aussi des avant-premières, une sélection du Festival de Cannes, une « fenêtre » sur le cinéma français, des documentaires…
Ce week-end, les festivaliers ont également pu assister à deux come-back, dont celui de Luc Besson, le cinéaste s’étant fait discret ces dernières années avec les accusations d’agression sexuelle par la comédienne Sand Van Roy. Considérant l’affaire désormais « close », la justice l’ayant dit-il « déclaré par quatre fois non coupable », Besson revient au grand jour avec un nouveau film, « Dogman », projeté au Festival de Venise deux jours avant sa présentation en Normandie. C’est en famille que Luc Besson est apparu samedi soir à Deauville, entouré de son épouse et productrice Virginie Besson-Silla, de leurs enfants, de son ami le musicien Eric Serra, et accompagné de l’acteur principal de son film, Caleb Landry Jones. Le comédien est spectaculaire dans la peau de ce « Dogman » (sortie le 27 septembre), un ancien enfant martyr devenu un psychopathe handicapé et transformiste, préférant définitivement la compagnie des chiens à celle des humains.
Autre retour, celui de l’actrice Judith Godrèche, venue présenter la série qu’elle a écrit, joué et réalisé pour Arte, « Icon of French Cinema », elle aussi entourée de ses enfants, sa fille Tess Barthélémy, comédienne, et son fils Noé Boon, musicien, tous deux présents dans la série. Elle y raconte avec auto-dérision son difficile retour en France après avoir vécu près d’une décennie aux Etats-Unis : « J’avais perdu mon statut », confie Judith Godrèche, qui évoque en six épisodes ses efforts pour retrouver une place dans le cinéma français.
Patrick TARDIT
49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, jusqu’au 10 septembre, festival-deauville.com