Le documentariste Kazuhiro Soda applique sa méthode de simplicité pour filmer « Professeur Yamamoto part à la retraite ». D’abord passionnant, le film se fait mélancolique.
La simplicité est un mode de fabrication pour le documentariste Kazuhiro Soda, qui s’impose des règles de tournage (il tient seul la caméra, pas de scénario, pas de musique…). Sa méthode, pour tourner « des films d’observation », consiste à « observer, écouter, regarder, et accepter le réel ». En décembre, il est venu présenter son travail à Paris, où une rétrospective de ses films était organisée à la Maison du Japon, lors du Festival Kinotayo. Le premier d’entre eux à être diffusé en France, « Professeur Yamamoto part à la retraite » (sortie le 4 janvier), est consacré à un pionnier des soins psychiatriques au Japon, qui figurait dans un précédent documentaire, « Mental » (2008).
Dans une première partie passionnante, on retrouve donc le Professeur Yamamoto à Okayama, en tête-à-tête avec ses patients assis dans un vieux fauteuil usé, dans la petite salle de consultations. C’est un sage dont la parole est écoutée, respectée, un psy dévoué, compassionnel, qui pratique une médecine « humaine ». Ses patients, il reçoit certains depuis des dizaines d’années, sont désemparés par l’annonce de son prochain départ à la retraite. Inquiets, ils voudraient qu’il continue, qu’il s’occupe encore d’eux : « Est-ce qu’on se reverra ? ». Le médecin s’efforce de les rassurer, de leur conseiller un autre thérapeute, assure qu’il restera joignable par téléphone : « Je sais que je cause du tort ». Les prépare à des adieux : « On va devoir se quitter, c’est la vie ».
Une épouse « sacrifiée », au rôle invisible
« Vous avez enrichi ma vie », répète le professeur Yamamoto, affirmant que durant toutes ces années c’est lui qui a appris de ses patients, admiratif de leur résilience. S’ils sont accrochés à lui, il admet de son côté sa propre addiction au travail. Le psy conseille à l’un de ses malades de « se réduire à zéro », mais lui aussi va devoir apprendre désormais à « se réduire à zéro ». Il y a des pleurs et des rires lors de son discours de départ, il y évoque sa propre dépression après un souci de santé. A 82 ans, c’est un vieil homme fatigué, vulnérable, essoufflé à chaque effort, qui lui aussi a besoin d’aide et de soutien, ainsi qu’on le constate dans la seconde partie du documentaire.
S’il y avait de l’inquiétude et de la tristesse dans ses rendez-vous avec ses patients, c’est une mélancolie pathétique qui domine alors qu’on le suit dans son intimité avec Yoshiko, son épouse malade. Cela frôle même le malaise lorsque celle-ci est filmée dans ses incapacités (elle ne sait plus ouvrir une porte), ses gestes, ces frottements de mains, typiques de la maladie d’Alzheimer. Au cours d’une visite, une bavarde ancienne amie (?) de madame balance sur toute la famille, notamment le professeur qui n’a pas été si présent pour les siens, pour sa femme, même lorsqu’il l’a su malade, a consacré sa vie à ses patients qu’il recueillait parfois chez eux, tandis que Yoshiko était « sacrifiée », tenant un rôle invisible dans l’ombre du professeur.
Au final, on les accompagne jusqu’à un cimetière, où le professeur vient nettoyer la tombe de ses parents et grands-parents. Puis la caméra les suit de dos, ils s’en vont ensemble, marchant à petits pas, main dans la main. On repense alors à ce que disait le professeur Yamamoto à ses patients : « On va devoir se quitter, c’est la vie ».
Patrick TARDIT
« Professeur Yamamoto part à la retraite », un film de Kazuhiro Soda (sortie le 4 janvier).