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Histoire et géographie des « Mizrahim »

Michale Boganim évoque dans un documentaire utile et passionnant « les oubliés de la Terre Promise », le destin des Juifs « Orientaux » discriminés en Israël.

Ce documentaire évoque les illusions perdues, la nostalgie des exilés, et le déni de tout un pays.

Michale Boganim, qui avait notamment tourné « La terre outragée » en Ukraine (dans la zone interdite de Tchernobyl), est retournée sur les traces de ses parents, et sur les siennes, puisqu’elle est née en Haïfa, en Israël. Ce pays où ses parents venus du Maroc avaient choisi d’émigrer. Comme tant d’autres Juifs, venus d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui chantaient sur le bateau qui les emmenait vers la « Terre Promise », ils déchantèrent vite une fois débarqués. C’est aux « Mizrahim, les oubliés de la Terre Promise » que Michale Boganim consacre un film (sortie le 8 juin), ces migrants venus des pays arabes, Juifs « Orientaux » surnommés les « Mizrahim », traités de « criminels », de « basanés », de « racaille » par le bon peuple d’Israël.

Exilés d’un désert à un autre désert, ils avaient naïvement cru à la propagande et tout abandonné pour venir participer à la construction d’une nation, ce pays nouveau, avec le rêve d’une société juste et égalitaire. Un rêve très vite brisé : c’est d’abord dans des camps de transit que furent abrités des familles entières de Marocains, Tunisiens, Algériens, Yéménites… dans l’après-guerre, les années 60. Emigrés pleins d’espoir, ils ne seront que citoyens de seconde zone, déconsidérés, contrairement aux Juifs venant d’Europe, les Ashkénazes, la culture dominante.

La vie de ces « oubliés » est faite de discriminations, d’oppression, d’inégalités, de mépris, de racisme dès l’école, où l’on construit des murs dans les cours pour séparer les ethnies. Attachée aux lieux, Michale Boganim relate ainsi l’histoire et la géographie des « Mizrahim », rassemblés dans des villes nouvelles, des « villes de développement », territoires pauvres à la périphérie du pays, ou mis à l’écart dans les quartiers arabes et banlieues des grandes métropoles.

Le déni de tout un pays

Combinant des images d’archives et des témoignages, la documentariste fait le voyage avec sa fille de ville en ville, où un habitant monologue à chaque étape, apportant sa pierre à ce récit, ce sujet quasiment jamais évoqué au cinéma. Dans les années 70, comme en Europe ou aux Etats-Unis, il y eut un mouvement de colère, de révolte ; des militants dont le père de la réalisatrice, Charlie Boganim, prirent exemple sur les Black Panthers américains. Dépité et découragé, Charlie Boganim fera plus tard le choix de quitter Israël pour la France.

Faisant le constat que si peu de choses ont changé, ce documentaire utile et passionnant évoque les illusions perdues, les identités bouleversées, la nostalgie des exilés, et le déni de tout un pays. Il se fait même déchirant lorsque de vieilles femmes racontent les disparitions et enlèvement d’enfants, de bébés. Les générations d’après souffrant toujours du rejet, de la différence, d’un accès inégal à l’éducation et à la réussite sociale, « Mizrahim » évoque également une histoire contemporaine, la fameuse Terre n’ayant pas tenu ses promesses pour tous.

Patrick TARDIT

« Mizrahim, les oubliés de la terre promise », un film de Michale Boganim (sortie le 8 juin).

Un mouvement de révolte a émergé dans les années 70, des militants dont le père de la réalisatrice, Charlie Boganim, prenant exemple sur les Black Panthers américains.
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