Olivier Weinberg, pouvez-vous nous raconter votre parcours de lorrain jusqu’au graal des studios Jacques Martin à Bruxelles ? Votre formation ? Vos aspirations ?
Vastes questions ! Je vais essayer de résumer ! Je suis né à Créhange et j’ai passé toute ma jeunesse à Saint-Avold. Pour autant que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé la Bande Dessinée. Enfant déjà je lisais Tintin, Blake et Mortimer… Adolescent, je recopiais des planches de Tintin, je dessinais des petites histoires. L’idée de faire carrière dans le dessin commençait à germer en moi. Mais une carrière artistique semblait un peu incertaine à mes parents. Sans me décourager, ils me conseillèrent tout de même de faire des études « classiques » pour avoir un métier ! J’ai donc fait des études de Lettres et de Linguistiques à Metz, dans l’objectif d’être professeur en France ou à l’étranger. Après ma licence de Lettres Modernes et ma Maîtrise FLE (Français Langue Etrangère), je me suis inscrit en Arts Plastiques pour garder le contact avec le dessin ! Durant ces années d’études, j’ai eu la chance de rencontrer Bob De Moor, assistant d’Hergé. Nous avons eu de nombreux échanges épistolaires… Ce dernier m’a toujours encouragé à poursuivre dans le dessin et à ne rien lâcher…
En 1998 un new-yorkais a créé un studio de dessin animé à Metz ! J’ai postulé et j’ai été pris !
J’ai alors lâché mon cursus universitaire pour me lancer entièrement dans le dessin ! Depuis, j’ai participé à de nombreuses productions de dessins animés : des séries pour la télévision (TF1, France3, M6, Disney Channel…) et des productions pour le cinéma, notamment « Ernest et Célestine » (César du meilleur film d’animation et nommé aux Oscar en 2013), « Le Chant de la Mer » (nommé aux Oscar en 2015). En 2005 j’ai dessiné une histoire à suivre sur 42 semaines dans le journal « La Semaine », une course-poursuite à travers la grande région…
Mais Jacques Martin tient une place particulière dans mon cœur et dans mon esprit. Ma mère étant d’origine alsacienne, avec toute la famille, nous avions l’habitude d’aller régulièrement en Alsace voir les amis, les oncles et tantes…Vers l’âge de quinze ans, j’ai découvert un jour à Colmar, une BD qui parlait de « ma » région: « La Grande Menace » ! J’étais si heureux de voir les lieux qui m’étaient si familiers et que j’adorais ! J’ai ensuite lu tous les albums de Jacques Martin et j’avoue que j’ai une préférence pour ceux qui se situent en Alsace !
Ma première rencontre fut en 1992, lors d’une séance de dédicace. Mais je ne lui avais pas trop parlé, j’étais intimidé ! En 2006 je lui ai envoyé quelques dessins et une lettre exprimant mon souhait de travailler avec lui. Il m’encouragea à envoyer d’autres dessins. C’est début 2008 que son directeur de collection, Jimmy Van Den Hautte, m’a contacté pour me proposer de travailler sur « Les Reportages de Lefranc ». J’ai ensuite rencontré Jacques Martin pour discuter du projet.
Racontez-nous les studios Jacques Martin et tous ses auteurs qui travaillent sur Alix, Alix Senator, Jhen, Lefranc
Il n’existe pas à proprement parler de bureaux « Studios Jacques Martin ». Cependant, il existe un comité, créé du vivant de Jacques Martin. Le maître avait mis en place une charte graphique et scénaristique que chaque auteur devait suivre. Le comité a pour rôle de faire respecter ces chartes par les différents adaptateurs. Aujourd’hui il est composé de Frédérique et Bruno Martin, Simon Casterman et Jimmy Van Den Hautte, le directeur de collection. En général, ils se réunissent tous les quinze jours pour suivre l’évolution de chaque projet, demandant parfois des corrections, des ajouts etc.
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup de contacts avec Jimmy. Il a travaillé avec Jacques Martin durant vingt ans. Il connait donc parfaitement bien son univers. Il a toujours des idées, des suggestions… des encouragements… il n’arrête pas de cogiter !
Je vois rarement les auteurs des autres séries. Les seules occasions sont pendant les festivals de BD. Nous discutons alors de nos projets, nos expériences… ou tout simplement nous faisons connaissance !
Je vois de temps en temps Marc Jailloux, dessinateur d’Alix, Régric, dessinateur de Lefranc. J’ai croisé Jean Pleyers, dessinateur de Jhen, Christophe Alvès… Je n’ai pas encore eu l’occasion de rencontrer les auteurs d’Alix Senator.
Pourquoi cet attrait particulier pour cette période historique que constitue la seconde Guerre mondiale ?
C’est un hasard total ! Lorsque Jimmy Van Den Hautte m’a contacté pour travailler sur la collection des « Reportages de Lefranc », Jacques Martin et le comité avaient décidé de faire un album sur la construction du « mur de l’Atlantique », construit par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Je suis arrivé au moment où le projet se montait. Avant de faire le moindre croquis et n’étant pas spécialiste de cette période, j’ai dû lire des dizaines de livres. Je me suis également rendu sur la côte atlantique française où j’ai visité la quasi-totalité des musées, bunkers et casemates ! Ces recherches m’ont pris à peu près six mois. Mais j’avoue qu’au fur et à mesure des albums, je me suis fortement intéressé à cette période de l’histoire contemporaine au point d’en être féru aujourd’hui.
Comme tout un chacun vous avez voulu vivre votre rêve non pas en montant à Paris mais en vous rendant à Angoulême, pourquoi ? Comment ? Que s’est-il passé ?
Là aussi c’est presque un hasard. En 2001, le studio de dessin animé créé à Metz ferme ses portes. Toutefois, un repreneur décide de continuer l’aventure, mais en délocalisant le studio à Angoulême. Le nouveau directeur me propose de le suivre avec quelques anciens collaborateurs. J’ai accepté tout de suite !
Angoulême était certes devenu une capitale importante de la BD en France avec son fameux festival, mais elle devenait une sorte de « Silicone Valley » pour les studios de dessins animés. De nombreuses sociétés de productions parisiennes ouvraient leurs studios de création à Angoulême, grâce à des aides conséquentes de la région.
J’y ai vécu trois ans. J’ai eu la chance de travailler avec des dessinateurs au talent incroyable ! Notamment Jean-Luc Serrano, qui a travaillé dix ans chez Dreamworks ; Yannick Barbaud, qui fut entre autre coréalisateur de la série TV « Blake et Mortimer ». J’ai beaucoup appris à leur contact…
Finalement, vous êtes revenu en Moselle d’où vous êtes originaire, pourquoi ? L’appel des racines, la richesse des sujets à traiter ?
Après trois à Angoulême, c’est vrai que j’avais fait un peu le tour de la ville… je m’ennuyais un peu.. Durant cette période, j’ai rencontré ma future épouse qui est originaire de Moselle également. Je faisais souvent l’aller-retour Metz-Angoulême. Cela devenait pénible à la longue. J’ai donc décidé de revenir définitivement en Moselle.
Comment vous retrouvez-vous au centre de cette année dédiée à Jack Kirby en Moselle ?
C’est un ami libraire qui m’a présenté à Jean-François Patricola, conseiller et responsable de l’année Jack Kirby au département de la Moselle. Après quelques discussions, il m’a proposé de participer à cet hommage en réalisant un ouvrage sur les batailles de Moselle, incluant la bataille de Corny-Dornot, bataille à laquelle Jack Kirby a participé ! Au fur et à mesure du travail de recherche, des discussions, Jean-François m’a présenté en détail le programme de cette année commémorative. J’étais impressionné par le nombre d’idées qu’il avait ! J’ai tout naturellement proposé mon aide pour quelques projets, notamment pour le premier festival de Bandes Dessinées au château de Malbrouck, qui aura lieu les 03, 04 et 05 juin 2017. Travailler avec Jean-François est très stimulant ! Il est rigoureux, réactif et très inventif ! J’espère que nombre de ses projets vont voir le jour !
Du dessin animé aux vignettes inanimées, quel est le point commun, votre ligne de conduite, votre regard sur le genre 9e Art et l’animation ?
Je ne vais pas entrer dans les détails techniques, mais selon moi, il y a quelques points communs entre la BD et le dessin animé, mais ce sont tout de même deux langages différents.
Dans l’animation, en général, la narration est « continue », fluide, inscrite dans le temps. Prenons par exemple un personnage qui court. Dans l’animation, nous pourrions voir le personnage au départ, prendre son élan puis courir… et cela sans coupure.
Dans la bande dessinée en revanche, nous pourrions avoir une case pour le départ, une ou plusieurs cases pour la course… le dessin a un rôle symbolique. Le cerveau fait alors le lien entre les différentes cases et crée des « cases fantômes » pour lier toutes les cases entres elles et créer ainsi de la fluidité, renforcer la logique et le sens…
La grammaire est cependant la même : on utilise dans le dessin animé et la BD des champs, contre-champs, plan large, plan rapproché etc.
Pour moi, dans la BD, il s’agit de trouver le meilleur dessin qui symbolise une action, une idée… il faut synthétiser…
Pourquoi certains auteurs de BD sont-ils considérés comme des maîtres en la matière ? Parce qu’ils ont réussi à synthétiser leur narration, à donner vie en très peu de cases ! Jack Kirby fut un grand maître, il a réussi à dynamiser et insuffler une énergie incroyable en quelques poses… Tout comme Hergé, Franquin…
J’essaye donc de me rapprocher de cette ligne narrative… c’est beaucoup de travail, beaucoup de dessins, de croquis, d’observations…
Vous sentez-vous plus investi par votre prochaine bande dessinée qui traite de votre territoire, de votre région ou traitez-vous la commande éditoriale avec la même approche ?
Je la traite comme n’importe quel album. Je suis toujours très rigoureux en ce qui concerne les recherches historiques. J’aime avoir un maximum d’informations : les uniformes évidemment, les véhicules, la météo…
Je suis allé au musée de Gravelotte, pour la période de 1870, j’ai rencontré des personnes de l’association « Thanks GIs » pour la période 1939-1945… Il est important d’être en contact avec des historiens et des spécialistes. Le but étant de faire un ouvrage historiquement juste ! Cela dit, je pense qu’inconsciemment je me suis mis une pression supplémentaire ! Je l’ai remarqué parce qu’en allant au bord de la Moselle, à Corny, je voulais savoir quelle était la végétation exacte des bords de la rivière et si tel ou tel arbre était déjà là en 1944 !
Et puis justement, en parlant d’approche, quelle est-elle ? Comment travaillez-vous ? Vous documentez-vous ?
Comme je vous l’ai expliqué, avant de faire le moindre croquis, je me documente un maximum auprès des musées et des spécialistes… Je recherche beaucoup de photos, de peintures, de témoignages. Je regarde également des documentaires.
Cette période de prospection varie selon le sujet et le planning de publication.
Je sais que le temps de réalisation est assez court, puisque l’album sur les Batailles de Moselle doit paraître en fin d’année 2017. Mon temps de recherche est donc limité ! Mais Jean-François Patricola, conseiller au département de la Moselle, m’aide beaucoup ! Il arrive à me trouver des documents assez rapidement !
C’est une approche éditoriale originale que de mêler trois époques, trois guerres, comment l’abordez-vous ? Est-ce plus aliénant ? Plus restrictif au point de vue de la création ?
C’est très peu 56 pages pour raconter trois époques : 1870, 1914-1918 et 1944 ! C’est très frustrant ! Il faut vraiment choisir les batailles ! Là aussi Jean-François Patricola est d’une grande aide. C’est lui qui rédige les textes de l’ouvrage. Je me base donc sur ses documents et textes pour pouvoir créer mes dessins. Nous travaillons en étroite collaboration : j’émets des idées, il me propose des sujets d’illustrations et nous travaillons ensuite avec le comité Jacques Martin sur la composition de l’album. C’est une discussion permanente entre le comité, Jean-François et moi.
Quels sont vos autres projets à venir ? Allez-vous quitter la période de la Seconde Guerre mondiale ou y demeurer avec d’autres projets ?
Il y a quelques projets en discussion, mais rien n’est décidé encore…..
Quels sont vos maîtres en bande dessinée ? Vos références ?
Je suis un passionné de la ligne claire : Hergé, Jacques Martin, Bob De Moor, Edgar P. Jacobs… Mais j’aime également Franquin… Je lis très peu d’auteurs actuels… manque de temps…
Quelle a été votre dernière émotion artistique ?
J’adore Bernard Buffet. J’espère avoir le temps d’aller à la rétrospective de Paris… J’aime beaucoup ce peintre. Et tant pis s’il est souvent critiqué, considéré comme populiste ou systématique… Moi j’aime.