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Saint-Dié-des-Vosges, la capitale des géographes

Julien Gingembre, Université de Lorraine and Jean-Pierre Husson, Université de Lorraine

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bar.wikipedia.org • CC BY-SA 3.0

Le Festival international de géographie (FIG) de Saint-Dié accueille ce vendredi, comme chaque premier week-end d’octobre depuis 1990, écrivains, géographes et curieux pour trois jours entièrement consacrés à cette discipline. Une occasion de revenir sur le succès de cet événement qui rayonne bien au-delà du territoire vosgien.

Au début du XVIe siècle, le chapitre de Saint-Dié abritait un cercle d’érudits humanistes : le Gymnase vosgien. Animé par la personnalité de Vautrin Lud, le Gymnase est placé sous la protection du duc de Lorraine René II, qui lui confia le récit de l’explorateur Amerigo Vespucci.

Le planisphère de Waldseemüller

Dans le sillage de Christophe Colomb, Vespucci a participé à quatre expéditions vers ces nouvelles terres, sous les bannières espagnole puis portugaise. Il fut le premier à reconnaître l’existence d’un nouveau continent dont il dresse les contours.

Autour du cartographe Martin Waldseemüller, les savants déodatiens éditèrent alors un planisphère, une continuité moderne des travaux de Ptolémée. Ils y intégrèrent ces nouvelles terres et nommèrent ce continent « America » en l’honneur de l’explorateur. Accompagnés d’un livret contenant un traité de géographie, ces travaux feront autorité dans le monde entier.

Publié en 1507, le « Cosmographiae Introductio » est un traité de géographie qui accompagne le planisphère de Waldseemüller.
J. Gingembre

En mémoire de ce passé et avec le soutien d’amis géographes acquis à ce projet, Christian Pierret, élu à la mairie de Saint-Dié en 1989, a l’idée d’associer cet événement vieux de cinq siècles à la promotion de la géographie. Ainsi naquit le FIG, qui se tient depuis 1990 à Saint-Dié. Une manifestation scientifique ouverte au grand public qui mobilise géographes et écrivains.

Petit territoire, grande manifestation

Le FIG constitue un espace d’échanges et de découvertes adossé à la légitimité de Saint-Dié, « marraine de l’Amérique ». Cette création était audacieuse, le pari de sa réussite n’était pas gagné d’avance, mais le succès vint vite.

Cette année, le classement de l’usine textile Duval – construite en 1951 par Le Corbusier – au patrimoine mondial de l’Unesco donne un lustre particulier au FIG.

Lors de la manifestation, nombre de sujets seront abordés, comme le changement climatique ou les effets de la mondialisation. Toutes ces questions émergentes seront croisées et évaluées de façon globale, les géographes montrant ici leur rôle de passeur de frontières dans un « village planétaire » de plus en plus complexe. Le festival met également à l’honneur un territoire, ce sera pour cette 27e édition la Belgique.

La cathédrale de Saint-Dié, le quartier canonial reconstruit après guerre.
J.-P. Husson (2015).

L’accélération des temporalités

Si la géographie a pour objet d’étudier la dimension spatiale des sociétés, elle s’empare également de l’épaisseur du temps ; la preuve avec le thème de cette 27e édition du FIG : « Un monde qui va plus vite ? »

La vitesse est devenue l’un des fondements des sociétés contemporaines. Les déplacements, les communications et les activités sont précipités, conduisant à une contraction des territoires. Parallèlement, les temps du politique sont bouleversés par la distanciation croissante entre les rythmes médiatiques et ceux de l’action sur long terme.

Pourtant, la vitesse n’est pas une donnée ubiquiste : elle n’atteint pas de la même façon toutes les composantes du territoire et de la société. Certains, par choix ou par contrainte, y opposent des modes et rythmes de vie ralentis. Parfois par réaction, une contre-culture reposant sur la lenteur émerge (slow cities, slow food, slow science).

Le thème du FIG 2016 questionne donc autant l’émergence de la vitesse au sein de la société que ses conséquences et les moyens d’adaptation à cette problématique.

Cafés géographiques, projections, rencontres…

Dans des dosages variés, l’assemblage des manifestations fait la pérennité du succès de l’événement. Les conférences et les débats accueillent des témoins de premier plan. Autour de problématiques géographiques, ces échanges sont l’occasion de faire dialoguer chercheurs, élus et citoyens.

Les cafés géographiques, organisés dans toute la Déodatie, sont suivis par un public curieux et réceptif. Les exposés sortent les intervenants de leurs lieux ordinaires et peuvent se faire dans des endroits originaux ou insolites (cathédrale, temple, prison). La densité est telle qu’il est presque impossible d’assister à l’ensemble des manifestations !

Moment fort du week-end, un salon de la géomatique accueille une dizaine d’exposants (laboratoires, entreprises, collectivités) autour des outils de la cartographie et de la collecte des données géolocalisées.

Les expositions scientifiques présentent par ailleurs les travaux de chercheurs sous la forme de posters portant sur le thème ou le pays mis à l’honneur. Elles s’adressent à tous les publics, notamment les scolaires, et sont autant de moments de rencontres avec les concepteurs de ces travaux.

Des mots et des saveurs

Le FIG est aussi l’occasion de décerner des prix littéraires et scientifiques qui reconnaissent le talent d’écrivains et chercheurs faisant rayonner la géographie.

Au moment de la rentrée littéraire, le prix Amerigo Vespucci récompense les ouvrages de fiction ou de création dédiés à l’aventure et aux voyages. Le prix Ptolémée met en valeur la vulgarisation de la géographie. Chaque année, il prime un texte qui diffuse les connaissances et concepts de la discipline auprès d’un large public. Le prix Vautrin Lud, considéré comme le « prix Nobel de géographie », couronne l’œuvre de recherche d’un géographe de renommée internationale.

Outre la littérature et la science, le FIG accorde une place centrale à la gastronomie des terroirs. Ce sera l’occasion de goûter la « bière des géographes », brassée en Belgique pour l’occasion. Et en écho au thème de la vitesse, le salon se veut ouvertement anti fast-food et y oppose le concept de « slow gastronomie ».

Fêter, commémorer, s’instruire : autant de leviers pour valoriser et porter un éclairage positif sur un territoire et ainsi combler le déficit d’image qu’il a pu rencontrer dans son histoire. C’est le cas de Saint-Dié, détruite à deux reprises (incendie en 1757 et destruction en 1944) et malmenée dès les années soixante par l’érosion de l’emploi textile. Attendu à date fixe, le FIG, certes éphémère, nourrit le territoire et donne du souffle à la Déodatie.

The Conversation

Julien Gingembre, Doctorant en géographie, Université de Lorraine and Jean-Pierre Husson, Professeur de géographie, président de l’Académie de Stanislas, Université de Lorraine

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