Sylvie Bethmont, Collège des Bernardins
L’Antiquité gréco-romaine n’a pas seulement été redécouverte par les artistes et les penseurs humanistes de ce que nous nommons « la Renaissance » italienne. Durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age, des mythes, comme celui de Thésée, du Minotaure et du labyrinthe, ont continué d’être moralisés : ainsi ont-ils été transmis par les textes et les images, dans les manuscrits et les édifices chrétiens médiévaux.
L’élaboration d’un logotype au sein d’une longue histoire d’images
Cette transmission ne s’est pas arrêtée au Moyen Âge. Le ministère de la Culture en France, à la fin du XXe siècle (en 1985), a ainsi trouvé la meilleure expression en logotype indiquant la présence d’un monument historique. Le labyrinthe de la cathédrale de Reims – disparu depuis le XVIIe siècle mais connu par des dessins – a inspiré les graphistes contemporains.
Pour obtenir un parfait logotype, les graphistes ont éliminé tout élément rappelant l’histoire propre au labyrinthe de la cathédrale de Reims, créé en 1286 et détruit en 1778. Ainsi les personnages qui en occupaient les points stratégiques – des portraits des maîtres d’œuvre de la cathédrale – ont-ils disparu, et – l’image n’étant plus stabilisée par ces silhouettes – le labyrinthe a subi une rotation de 45°. Ce qui lui procure une dynamique et le rattache au monde des symboles.
Les auteurs évoquent souvent le carré comme une forme géométrique, symbole du monde terrestre au Moyen Âge (par opposition au cercle divin), le losange, un carré sur la pointe, étant signe de vie et de passage. Peut-on envisager que, dans le choix de cette rotation, les auteurs de ce logo auraient été jusqu’à envisager le carré rouge de Kandinski, ou encore les nombreux « carrés sur la pointe » (ou compositions losangiques) de Mondrian ?
Mais on n’échappe pas si facilement au monde des symboles chrétiens ou christianisés. Car le carré sur la pointe est l’une des formes que prend la mandorle dans les images de la Majestas Domini des temps carolingiens. La gloire du Christ étant alors signifiée par une double mandorle formée de deux figures géométriques, un cercle inscrit dans un carré sur la pointe.
Au Moyen Âge à Reims, on nommait ce labyrinthe le « chemin de Jérusalem ». C’était la trace pérenne, car tracée à demeure dans le marbre, d’un chemin spirituel à parcourir. Ce labyrinthe carré, de marbre noir, flanqué aux quatre angles de quatre bastions octogonaux, traçait les contours d’une cité fortifiée. Déjà les mosaïques romaines et juives de l’Antiquité portaient des images de labyrinthe cités fortifiées, imageant Troyes ou Jéricho (porte d’entrée de la Terre promise).
À Reims, le labyrinthe-plan d’un édifice fortifié, était une lointaine évocation de ses deux sources : à la fois le mythe antique avec la ville fortifiée qu’est le palais du roi Minos, et, dans la pensée médiévale, la cité fortifiée de l’Apocalypse, la Jérusalem céleste décrite au chapitre 21 de ce livre.
Retour aux sources : le mythe antique
L’histoire du Minotaure se trouve dans le Chant VI de l’Enéide, de Virgile, le Livre VIII des métamorphoses, d’Ovide et l’avant-dernier chant de la Thébaïde de Stace. Elle est placée sous le signe du taureau. Zeus, pour tromper son épouse, se métamorphose en un magnifique taureau blanc. Il enlève ainsi Europe jusqu’en Crète où il reprend forme humaine pour lui donner trois enfants, Minos, Sarpédon et Rhadamanthe. Minos ayant demandé, contre ses prétendants au pouvoir, la protection de Poséidon ; celui-ci fait paraître un signe, un taureau de la mer que Minos promet de lui sacrifier. Mais, une fois le pouvoir absolu obtenu, Minos garde l’animal. Minos a trompé par le taureau, il sera trompé par lui. Car Vénus-Aphrodite s’est vengée d’Apollon-Hélios qui a dévoilé ses amours adultères avec Mars-Arès, en inspirant à Pasiphaé – femme de Minos et fille du dieu soleil – une violente passion pour ce taureau. Ainsi engendra-t-elle le Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau, tellement effrayant, tellement redoutable et carnivore qu’à la demande du roi Minos il fut enfermé dans le labyrinthe construit par l’architecte et artiste athénien Dédale.
Un jour, l’un des fils de Minos, Androgée, s’étant rendu à Athènes pour participer à la fête des Panathénées, et ayant remporté toutes les épreuves, fut tué à la demande du roi Égée, jaloux. Pour faire cesser le siège d’Athènes, Égée dut envoyer tous les neuf ans un tribut de sept jeunes hommes et sept jeunes femmes destinés à être dévorés au fond du labyrinthe par le Minotaure. Thésée se porta volontaire pour faire partie de ces jeunes gens que Minos vint lui-même chercher à Athènes. Devant le labyrinthe se trouvait la belle Ariane, fille de Minos, qui, éprise sur-le-champ, donna à Thésée une pelote de fil rouge procurée par l’architecte Dédale.
Sur cette mosaïque romaine (v. 275-300), découverte à Loigesfelder en Autriche au XIXe siècle, il suffit de suivre le fil rouge pour parvenir au centre du labyrinthe, mais et c’est là l’essentiel, le même fil permet de trouver le chemin pour s’en sortir, en rembobinant “le fil d’Ariane”. Après avoir mis à mort le Minotaure, Thésée n’épousera pas Ariane, mais deviendra un grand roi, rendant justice aux plus faibles.
Survivances médiévales
Christianisé, ce mythe n’a cessé d’être revisité en particulier par Isidore de Séville, Raban Maur, et leurs continuateurs, entre le Xe et le XIe siècle, alors que se multiplient les images de labyrinthes.
À la fin du XIIe siècle des hybrides hommes-bêtes envahissent les images, sans que leurs contemporains en interrogent la possibilité ou l’impossibilité physiologique, car il s’agit d’une moralisation de la pensée des mythographes antiques. Il existe aux confins du monde des êtres dont l’animalité permet de comprendre la bête sauvage qui est tapie en l’homme pécheur. L’antique minotaure, symbole d’animalité sauvage et de péché, trouve sa place parmi elles, et c’est le Christ triomphant du mal qui se profile derrière la figure de Thésée le héros antique. Cependant l’image du combat mythique de Thésée contre le monstre ne figure pas systématiquement au centre du labyrinthe, même si le chemin, que l’on peut parcourir du doigt sur un petit relief ou un manuscrit, ou avec tout son corps dans un édifice, est celui de la Rédemption.
Des chemins de vie
D’après l’inscription à San Savino de Piacenza ou celui de la porte du narthex de Lucca, les labyrinthes christianisés portent au Moyen Âge plusieurs significations, dont la plus ancienne au XIe siècle, est celle du monde captif du péché. Dans le même ordre d’idées de nombreuses images de labyrinthes accompagnent les computs (ces manuscrits aidant à calculer la date mobile de Pâques, chemin de résurrection pour le chrétien). Aux XIIe et XIIIe siècles, dans les cathédrales de Sens et d’Auxerre, (comme à Reims et à Amiens), le dimanche de Pâques, l’évêque et les membres de son chapitre, effectuaient des « danses de Pâques » sur le tracé du labyrinthe (circa dedalum). L’évêque tenait une balle pouvant représenter le soleil dans sa course, c’est-à-dire le Christ, soleil de Pâques, vainqueur du mal, ressuscitant au Printemps et avec lui toute la nature en fête. La Contre-Réforme mettra un terme à ces lointaines résurgences de danses païennes.
Lieu de mémoire, le logotype des monuments historiques est un condensé de symboles, permettant de trouver dans les villes et sur les routes de France, les chemins d’un patrimoine multiple. Il a été modernisé en même temps qu’était créé le logotype « site patrimonial remarquable », par l’agence Rudi Baur en 2017.
Pour aller plus loin à la découverte des images du labyrinthe : Hemann Kern, « Through the Labyrinth, Desings and Meanings over 5,000 Years », éd. Prestel, 2000.
Sylvie Bethmont, Enseignante en iconographie biblique, Collège des Bernardins
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.