« Ce qui est bon pour les femmes est bon pour le monde », estime l’actrice et productrice Geena Davis, qui a présenté « Tout peut changer » au Festival du Cinéma Américain Deauville, un documentaire sur la parité au cinéma.
« C’est une actrice qui fait du genre humain le plus beau des genres » : c’est un très bel hommage qu’a prononcé l’actrice Valeria Golino lors de la soirée consacrée à Geena Davis, au 45ème Festival du Cinéma Américain, à Deauville. Pétroleuse en cavale avec Susan Sarandon dans « Thelma et Louise », l’actrice américaine est aussi une femme engagée, à travers sa fondation Geena Davis Institute of Gender in Media (qui a pour mission « d’encourager les créateurs à augmenter la part des personnages féminins et réduire les stéréotypes sexistes »), et par son rôle de productrice.
C’est en robe jaune l’après-midi lors de la conférence presse et en robe mauve le soir pour la cérémonie d’hommage, que la grande actrice au large sourire a ainsi évoqué « Tout peut changer » (sortie en France le 8 janvier 2020), documentaire réalisé par Tom Donahue et dont elle est la productrice, sous-titré « Et si les femmes comptaient à Hollywood ? ». « Ce qui est bon pour les femmes est bon pour le monde », dit Geena Davis dans ce film qui évoque notamment la représentation des femmes au cinéma : belle et sauvée par les hommes dans le meilleur des cas, mais aussi bien souvent négligées, maltraitées, violentées, considérées comme des « citoyennes de seconde classe ».
« Les mouvements Metoo et Time’s up ont eu un véritable impact à Hollywood »
La star hollywoodienne le raconte elle-même : elle a décroché son premier rôle dans « Tootsie », parce qu’elle était mannequin dans le catalogue de lingerie Victoria’s secret. Mais l’actrice a aussi choisi des « personnages féminins agissant », et d’interpréter une joueuse de base-ball (« Une équipe hors du commun ») plutôt que la petite-amie du joueur. « Après Thelma et Louise, les choses ont vraiment changé pour moi, c’était la première fois que je réalisais qu’un rôle avait inspiré les spectatrices, j’ai essayé de choisir de tels rôles, qui pouvaient inspirer les femmes », confie Geena Davis. « Dans le documentaire que je produis », dit-elle, « le sujet qu’on aborde c’est est-ce qu’un film ou un rôle peut changer les choses ? Tous les deux ou trois ans, grâce à un film on se dit que ce sera possible, et il y a toujours quelque chose qui vient interrompre ce mouvement vers l’avenir, il n’y a toujours pas d’amélioration dans le nombre de rôles ».
« Les mouvements Metoo et Time’s up ont eu un véritable impact à Hollywood », assure la comédienne, qui cite l’exemple de Gilian Anderson, co-star de « X-Files », qui a dû batailler pour obtenir le même salaire que David Duchovny. Une seule femme, Kathryn Bigelow, a reçu l’Oscar du « meilleur réalisateur », pour « Démineurs », et malgré un premier mouvement initié dans les années 80, les réalisatrices américaines ne dirigent que 4% des films.
« L’an dernier il y avait encore moins de femmes réalisatrices aux Etats-Unis, alors qu’elles sont la moitié des effectifs dans les écoles de cinéma », râle Geena Davis, « Beaucoup de réalisatrices n’ont fait qu’un seul film, je pense à tous ces artistes qu’on a manqué, qui n’ont jamais pu exprimer leur talent parce qu’elles ont été discriminées à cause de leur sexe ». « Je reste optimiste », dit pourtant la star, dont la fondation a remporté une première victoire avec une meilleure représentation des filles dans les programme jeunesse. Dans « Tout peut changer », on se félicite aussi des vocations féminines suscitées dans la police scientifique grâce aux « Experts », exemple de l’influence des films et des séries télé. Pour une « Wonder Woman » ou une « Rebelle » (imaginée par Disney), une moitié de la population, les femmes, ne se voit pas à l’écran.
En France, 5050 pour 2020
Lors de la conférence de presse, la productrice Sandrine Brauer a rejoint Geena Davis, pour évoquer le rôle du collectif 5050 pour 2020, dont l’objectif est la parité. « Pour faire des propositions, il nous fallait un constat, donc la première bataille qu’on a menée est celle des chiffres, pour savoir de quoi on parle. En France aussi il y a une parité dans les écoles, 24% des films sont réalisés par des femmes, mais les films aux plus petits budgets sont réalisés par des femmes », constate la porte-parole du collectif.
Sandrine Brauer rappelait ce « grand moment de sororité » vécu l’an dernier au Festival de Cannes, 82 femmes sur les marches, une image médiatique puissante qui cache une statistique peu reluisante : 82, c’est le nombre de réalisatrices sélectionnées en compétition sur la Croisette parmi 1000 hommes. En France aussi, les réalisatrices font moins de films et sont moins bien payées, mais la réalisatrice Marie-Castille Mention Schaar (« Bowling », « Le ciel attendra ») pense que la situation est meilleure : « En France ce sont encore les réalisateurs qui proposent leurs projets, alors qu’aux Etats-Unis ils sont engagés par les studios ». Sandrine Brauer évoque cependant les efforts qu’il reste à faire sur les clichés : « Le regard est complètement stéréotypé sur ce qu’on attend d’un rôle féminin ou d’un rôle masculin, c’est une attention sur les stéréotypes qu’il faut avoir, être conscient que la société tend à favoriser un certain regard, une attente sur ce que doit avoir l’air une femme ou un homme, pour les dépasser ».
Des hommes mal aimés, des parias
Sujet de débats, la place des femmes est aussi évoquée à travers des fictions, des films sélectionnés au Festival de Deauville. Tel « American Woman », de Jake Scott, dans lequel Sienna Miller incarne une femme qui se bat, malgré la disparition de sa fille. Ou « Knives and skin », tourné par Jennifer Reeder, dans lequel une autre jeune fille disparait. « La jeune fille disparue est un thème intemporel, traité dans de nombreux films, mais dans la réalité, les filles disparaissent, cela devient tristement banal », rappelle la réalisatrice, « Ce film est une manière de parler de la solidarité entre les femmes ; quand on est une femme, on apprend très vite que le monde ne va pas vous protéger, cette fraternité entre femmes est une stratégie de survie ». Jennifer Reeder aussi garde l’espoir : « Il y a quelque chose de très dur dans le monde depuis quelques années, mais j’aime penser que les choses puissent s’arranger ».
En donnant ainsi la parole aux femmes, le Festival de Deauville n’échappe pourtant pas à un bien curieux paradoxe, car il accueille aussi des hommes montrés du doigt, mal aimés, bannis. En ouverture, a été projeté « Un jour de pluie à New York », le film de Woody Allen qui ne sera pas diffusé aux Etats-Unis (mais le sera en France le 18 septembre), à cause des accusions d’agression sexuelle de sa fille. Le cinéaste Nate Parker a vécu une belle émotion avec la très longue ovation du public après la projection de son film « American Skin », qui dénonce les violences policières contre la communauté noire ; mais le réalisateur est aussi confronté régulièrement à la polémique après avoir été acquitté dans un procès pour viol en 2001. Autre paria du cinéma, Roman Polanski était dans la grande salle du CID à Deauville lorsque la Mostra de Venise lui décernait son Grand Prix pour son nouveau film, « J’accuse », consacré à l’affaire Dreyfus. Autre paradoxe, quelques jours tard, le public deauvillais pouvait découvrir « Charlie says », film de Mary Harron, qui évoque les jeunes femmes endoctrinées par Charles Manson, coupables en 1969 du meurtre sauvage de Sharon Tate, l’épouse de Polanski, et de ses amis. Comme un prolongement au film de Tarantino sorti cet été, « Once upon a time… in Hollywood ».
Patrick TARDIT
45ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, jusqu’au 15 septembre, www.festival-deauville.com