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Comment la littérature change votre cerveau (et votre rapport aux autres)

Êtes-vous comme Montesquieu, qui assurait n’avoir « jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé » ?
Kaboompics

Frédéric Bernard, Université de Strasbourg

Nos motivations à lire sont diverses. Nous lisons des fictions populaires pour nous distraire, des fictions littéraires pour l’esthétique de leurs tournures, des textes documentaires pour enrichir nos connaissances, qu’elles soient académiques ou techniques, ou des ouvrages de développement personnel, dans un but explicitement énoncé par leur désignation même…

Une chose est sûre : si l’on en croit la 3e édition du baromètre « Les Français et la lecture », publiée le 13 mars par le Centre National du Livre, la France aime lire : 88 % de ses habitants se déclarent lecteurs, avec une nette prédilection pour le roman.

Pourtant, si de nombreuses études scientifiques se sont penchées sur les effets, à plus ou moins long terme, de la pratique de la méditation ou de la musique sur le cerveau, on connaît mal ceux de la lecture. Étonnamment, ils n’ont pas fait l’objet de beaucoup de recherches. La plupart des travaux existants se sont en effet attachés à décrire ce qui se passe dans le cerveau au moment où on lit, ou à identifier les structures cérébrales nécessaires à la lecture.

Il a toutefois été clairement démontré que la lecture procure des bienfaits considérables, en particulier sur la pensée, même si à ce titre, toutes les catégories d’ouvrages ne se valent pas. Retour sur quelques enseignements marquants des rares études existantes.

Mieux « lire » les autres grâce à la littérature

Le résultat le plus stupéfiant est celui obtenu par David Comer Kidd et Emanuele Castano, publié dans la prestigieuse revue Science en 2013, puis reproduit par une autre équipe en 2018.

Kidd et Castano ont montré que le simple fait de lire un extrait d’une fiction littéraire (autrement dit, un ouvrage récompensé par un prix et/ou écrit par un auteur de référence, comme Patrick Modiano ou Jean‑Marie Gustave Le Clézio), permet d’obtenir par la suite de meilleures performances en « théorie de l’esprit » que le fait de lire un passage tiré d’une fiction populaire (tel qu’un ouvrage faisant partie des meilleures ventes).

La théorie de l’esprit se définit comme la capacité à attribuer à autrui des pensées, des intentions, des émotions, et être ainsi à même de comprendre et de prédire le comportement des autres. Durant leurs travaux, Kidd et Castano ont évalué cette aptitude grâce au test d’interprétation du regard qui consiste à sélectionner le mot qui correspond à la pensée, à l’intention ou à l’émotion exprimée par le regard d’un individu.

La littérature permet de mieux comprendre les émotions d’autrui.
iam Se7en/Unsplash

En plus de cet effet à court terme de la lecture, les auteurs ont montré qu’il existait une corrélation positive entre l’expérience de la lecture chez les sujets, mesurée à partir d’un test de reconnaissance d’auteurs, et la performance au test d’interprétation du regard, ce qui suggère cette fois-ci un effet à long terme de la pratique de la lecture sur la théorie de l’esprit.

Il est donc clair que la lecture d’une œuvre littéraire a des conséquences positives, mais comment ces dernières s’expliquent-elles du point de vue neurologique ?

La littérature modifie les connexions cérébrales

Diverses études ont exploré les bases cérébrales de la théorie de l’esprit. Ces travaux consistaient à faire lire aux participants des textes visant à mobiliser cette capacité, tout en observant l’activité de leur cerveau par neuroimagerie fonctionnelle. Les scientifiques ont ainsi mis en évidence l’implication de deux régions cérébrales spécifiques : le cortex préfrontal médian et la jonction temporo-pariétale. Toutes deux jouent notamment un rôle dans la compréhension des intentions d’autrui.

Ces résultats sont intéressants, mais ne renseignent pas vraiment sur les effets de la lecture de textes littéraires sur le cerveau. À ce jour, une seule étude a exploré cet aspect : celle de Berns et de ses collègues, publiée en 2013 dans la revue Brain connectivity. Les auteurs ont demandé à un groupe de sujets sains, des étudiants de l’université Emory, où travaillaient les chercheurs, de lire chaque soir pendant neuf jours 30 pages du roman Pompeii : A Novel, de Robert Harris. Leur activité cérébrale au repos était ensuite systématiquement mesurée le lendemain matin. Ce protocole visait à déterminer si l’impact de la lecture sur le cerveau durait dans le temps.

Les résultats montrent que, pendant cette période de lecture de neuf jours, la connectivité fonctionnelle entre le cortex préfrontal médian et la jonction temporo-pariétale avait augmenté. La communication améliorée entre ces deux régions (impliquées, comme nous l’avons vu, dans la théorie de l’esprit) pourrait expliquer pourquoi les compétences des lecteurs de romans augmentent au regard de cette fonction.

Les modifications cérébrales qui résultent de la lecture perdurent même une fois le livre refermé.
Tuấn Vỹ/Unsplash

Aller plus loin, pour optimiser les bienfaits de la lecture

La lecture semble donc capable d’améliorer certaines capacités cognitives importantes pour la vie en société. Ces résultats très intéressants restent toutefois encore parcellaires, et appellent des recherches complémentaires.

Une étude idéale associerait des mesures cognitives de la théorie de l’esprit à des mesures cérébrales fonctionnelles et anatomiques. Celle-ci viserait à mettre en évidence les effets à court et à long terme de la lecture sur la théorie de l’esprit, ainsi qu’à mieux définir la signature cérébrale associée.

La littérature a déjà été intégrée dans des programmes destinés à renforcer le lien social, comme ceux visant à promouvoir l’empathie chez les médecins, ou à développer les aptitudes des détenus.

Mieux comprendre les mécanismes cérébraux qui sous-tendent les effets bénéfiques de la lecture sur le cerveau permettrait de rendre ces approches plus efficaces, voire d’en inventer de nouvelles.The Conversation

Frédéric Bernard, Maître de conférence en neuropsychologie, Université de Strasbourg

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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