Samy Mansouri, Université Paris Dauphine – PSL
Un quart des recherches sur le web sont des requêtes à caractère pornographique. Chaque seconde, 372 personnes recherchent des contenus pour adultes sur les moteurs de recherche, 28 258 internautes en visionnent et 3 075 dollars y sont ainsi dépensés.
L’origine étymologique de la pornographie provient du grec pornographos (porne, prostituée, et graphein, écrire). Le mot pornographie est apparu pour la première fois dans l’Oxford English Dictionary en 1857, la même année où l’Angleterre a adopté une loi interdisant la vente et la distribution de contenus sexuels considérés comme obscènes. Même s’il n’existe pas de définition universellement acceptée de la pornographie chez les universitaires, la plupart des chercheurs et des chercheuses convergent vers une certaine approche de la pornographie qui serait un ensemble de contenus qui tend à représenter plus ou moins explicitement des relations sexuelles avec l’intention d’éveiller et d’exciter sexuellement les spectateur·rice·s.
Une industrie lucrative en forte croissance
L’industrie du sexe représente aujourd’hui un marché mondial de 100 milliards de dollars alors qu’elle était estimée à 60 milliards de dollars en 2015. Comme dans de nombreux secteurs d’activité, la pornographie « s’ubérise ». Le marché du sexe se décentralise et se précarise avec la concurrence des acteur·rice·s porno qui travaillent au cachet dans des conditions moins avantageuses en termes de protection, de rémunération et de contrôle de l’image.
De plus le marché des webcams « hot » s’est développé où les acteur·rice·s, souvent amateur·rice·s, peuvent opérer depuis leurs domiciles en diffusant des contenus audiovisuels en direct via des plates-formes spécialisées telles que Livejasmin. Cette plate-forme propose plus de 2 000 modèles en ligne pour 32 millions de visiteurs uniques mensuel générant un total de 350 millions de chiffre d’affaires annuel. De plus, ubérisation oblige, ces plates-formes n’emploient pas leurs modèles et sont souvent basées dans des paradis fiscaux. Livejasmin opère depuis le Luxembourg, tout comme le conglomérat Mindgeek propriétaire d’une vingtaine de sites pornographiques dont trois leaders du marché : Pornhub, Redtube et Youporn.
Un business-model basé sur l’addiction
Il est prouvé que le visionnage de contenus pornographiques génère de l’addiction tout comme les drogues en activant les mêmes zones du cerveau. En utilisant le levier du désir sexuel, les sites pour adultes génèrent de l’addiction via un modèle freemium dans le but de convertir les utilisateur·rice·s utilisant la version gratuite en client·e·s addicts, beaucoup plus rémunérateur·rice·s. Par exemple, les premières minutes d’un show de webcam « hot » sont souvent gratuites mais il faut payer pour continuer le visionnage.
Ces sites segmentent leur offre en créant plusieurs propositions de valeur pour leur clientèle. Ainsi, les prix peuvent aller de 1 à 4 euros la minute en fonction de l’exclusivité du « show » et des outils de communication disponibles avec le modèle. Cette même technique est appliquée sur les sites de vidéos pornographiques où les internautes devront opter pour un abonnement Premium afin d’accéder à un contenu plus riche (plus de catégories) et de qualité (haute définition et 4K par exemple). Des sites tels que NoFap ou FightTheNewDrug ont ainsi vu le jour pour aider les porno-dépendants à gérer leur addiction.
Une consommation décriée encore taboue
La pornographie a longtemps été décriée par les associations conservatrices qui la désignent comme origine de tous les maux liés à la sexualité des individus. Les contenus pornographiques sont souvent présentés comme cause des viols, de la pédophilie et des déviances sexuelles diverses, sur fond de morale et les diktats religieux. D’ailleurs, ce méli-mélo lie insidieusement crimes et délits punis par la loi avec les paraphilies qui ont été déclassifiées des troubles mentaux dans la 5e version du « Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » (DSM), ou manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. Ainsi, l’exhibitionnisme, le voyeurisme, le sadisme ou le masochisme sexuel ne sont plus considérés comme des troubles mentaux lorsque les pratiques sont légales et consenties. Elles sont qualifiées de troubles mentaux paraphiliques uniquement lorsqu’elles altèrent le fonctionnement social et génèrent des souffrances cliniquement significatives.
Cependant, selon une étude de l’IFOP de 2014, les mentalités évoluent notamment chez les couples où la consommation de contenus pornographiques est de moins en moins taboue, 55 % des couples interrogés dans l’étude assumant visionner de la pornographie ensemble. De plus cette consommation n’est plus uniquement passive, ainsi près de la moitié des répondants affirme avoir essayé de reproduire une scène ou des positions vues dans des films pornographiques.
Les effets de la pornographie sur les croyances et attitudes : des études contradictoires
L’influence de la consommation de contenus pornographiques sur la psychologie et les comportements qui en découlent ont été largement étudiés depuis les années 1970. Les résultats de recherches ne sont pas unanimes quant à la relation de cause à effet entre la consommation de contenus à caractère pornographique et les comportements sexuels « déviants » au sens légal et social du terme (harcèlement sexuel, agression sexuelle, viol et outrage à la pudeur). Cette divergence d’opinions se retrouve aussi bien dans les études scientifiques qualitatives qui analysent le discours de répondants sélectionnés que dans les études scientifiques quantitatives qui se penchent sur les comportements et attitudes des individus.
Pour le cas des adultes, certaines recherches affirment que la consommation de contenus pornographique augmente le risque des comportements sexuels déviants répréhsensibles mais la relation pourrait être modérée c’est-à-dire accentuée ou atténuée par le type de pornographie et le degré de brutalité sexuelle représentée. Plusieurs concepts tentent d’expliquer cette relation dont le modèle de confluence.
En effet, la plupart des contenus pornographiques sont encore basés sur la déshumanisation et l’objectification des relations sexuelles et dans la majeure partie des cas sur la coercition des femmes. Même si des segments spécifiques de la production pornographique mettent en scène la domination féminine sur le sexe masculin ou simplement des relations égalitaires et dans lesquelles les jeux de domination sont partagés, dans la majeure partie des films les femmes apparaissent soumises. Cela est d’autant plus appuyé par des témoignages (inscrits dans le script) avant la scène – où les actrices se languissent du futur rapport sexuel – puis témoignent, après l’acte, de leur « contentement ».
Ainsi, les individus prédisposés à des comportements sexuels répréhensibles seraient plus impactés par la pornographie qui désinhiberait leurs pulsions et rendrait le passage à l’acte à des comportements sexuels déviants moins psychologiquement contraignant. Cela par confluence, par indifférenciation entre le monde mis en scène dans ces films où toutes les actrices semblent prendre plaisir aux relations sexuelles souvent brutales et le monde réel où ces pratiques sont très faiblement répandues. Le consentement des partenaires sexuels est une des lignes rouges qui permet de départager pratiques sexuelles saines et violences sexuelles répréhensibles.
Le parallèle peut être fait avec les jeux vidéo violents accusés d’impacter les comportements des individus en créant un manque de discernement, une confluence entre la fiction et la réalité, comme cela fut dit suite au massacre de Columbine aux États-Unis où deux lycéens tuèrent dix élèves et un professeur avant de se donner la mort le 20 avril 1999. Cependant, le lien de cause à effet n’est pas scientifiquement prouvé et les profils psychologiques des individus concernés fournissent des pistes de réflexion quant aux prédispositions de ces individus. Ainsi les jeux vidéo comme la pornographie ne seraient que des déclencheurs de comportements violents déjà latents.
D’autres chercheurs sont plus rassurants et présentent des résultats où la causalité entre la consommation pornographique et les comportements sexuels déviants n’est pas prouvée. En effet, la plupart des adultes qui visionnent régulièrement de la pornographie n’ont pas de comportements sexuels répréhensibles, de même que ceux qui se livrent à des actes de violence sexuelle n’ont pas forcément d’antécédents de consommation pornographique régulière. En raison de la divergence des recherches scientifiques, les chercheurs et les chercheuses recommandent de ne pas supposer de la causalité entre consommation pornographique et comportements sexuels déviants.
Cependant, l’exposition accrue à la pornographie semble impacter les attitudes sexuelles des individus et plus spécifiquement des adolescents qui adoptent des comportements plus risqués comme l’absence de moyens de protection aux maladies sexuellement transmissibles. En effet, même si la pornographie n’est pas récente, les nouvelles générations y sont beaucoup exposées en partie à cause d’une sexualisation croissante de la culture moderne par le biais des principaux médias et par la facilité d’accès et l’absence de contrôle de ces contenus pornographique en ligne.
Le principal danger réside dans la jeunesse des primo-visiteurs, moins sexuellement éduqués et donc plus vulnérables aux contenus pornographiques. Selon une étude de l’IFOP de 2017, la moitié des adolescents âgés de 15 à 17 ans ont déjà surfé sur des sites pornographiques. Cette immersion précoce, sans éducation sexuelle préalable et sans barrières inquiète fortement l’opinion publique dans la mesure où les jeunes peuvent prendre les pratiques représentées dans les scènes pornographiques comme exemples à suivre. Face à cela, de nouvelles réalisatrices telles que la Suédoise Erika Lust ou la Française Lucie Blush qui se revendiquent féministes, réalisent des contenus plus éthiques et moins caricaturaux en prônant une pornographie égalitairement respectueuse.
Samy Mansouri, Enseignant-chercheur, Université Paris Dauphine – PSL
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.