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« Leave no trace » : la famille invisible

Avec l’histoire touchante d’un père et sa fille qui vivent dans la forêt, Debra Granik propose un cinéma avec « plus d’humanité et plus de fraternité ».

Un film profondément optimiste, inspiré d'une histoire vraie.
Un film profondément optimiste, inspiré d’une histoire vraie.

Et de trois : la cinéaste Debra Granik venait pour la troisième fois au Festival du Cinéma Américain de Deauville, où elle présentait cette année « Leave no trace » (sortie le 19 septembre). Sélectionnée avec son premier film, « Down to the bone », la réalisatrice américaine y avait reçu ensuite le Prix du Jury en 2010 avec « Winter’s Bone » (qui avait révélé l’actrice Jennifer Lawrence). « Je parle de choses qui me sont personnelles, et c’est formidable que les films soient sélectionnés et récompensés ; quand on est réalisateur et scénariste, c’est très important, ça booste l’estime de soi », confiait Debra Granik, lors de la conférence de presse au Festival de Deauville.

Sélectionné également au Festival de Sundance et à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, « Leave no trace » est adapté d’un roman de Peter Rock, « L’abandon », lui-même tiré d’une histoire vraie. Dans la région de Portland, un père et sa jeune fille vivaient dans la forêt, dans une réserve naturelle, en bordure d’une banlieue et de la civilisation. Ben Foster et Thomasin McKenzie jouent cette famille d’invisibles, des êtres humains qui ont fait le choix de rester le plus éloigné possible des autres. En fait, c’est le père qui a fait ce choix pour eux deux ; vétéran qui souffre d’un syndrome post-traumatique, il s’est résolu à fuir la société, à échapper au monde moderne.

A 15 ans, Tom a jusqu’alors suivi son père sans broncher, accepté la précarité, le manque de confort, a appris à vivre avec les éléments, s’entraîne à ne pas être vue, à se cacher, et jouer aux échecs… Derrière sa barbe, Ben Foster incarne un imperturbable homme des bois, et la jeune Thomasin McKenzie illumine l’écran de sa grande douceur. « Thom est originaire de Nouvelle-Zélande, j’ai reçu ses vidéos d’audition par mail, et j’ai été surprise par sa facilité de jeu, elle a déjà pas mal d’expérience, elle a grandi dans une famille de comédiens », raconte la réalisatrice, « C’était important de trouver quelqu’un qui avait cette vraie volonté de jouer ce rôle, elle a eu un entraînement presque paramilitaire, c’était une vraie chance de l’avoir ».

Mais les clandestins vont se faire déloger de leur campement, les services sociaux vont leur trouver une maison pour eux deux, un boulot pour le père, l’école pour la fille, une tentative de les resociabiliser, de les réintégrer la société. Trop dur pour le père, inadapté. Ils vont s’enfuir à nouveau, s’enfoncer toujours plus profond dans la forêt, trouver refuge dans un chalet de chasseurs, puis dans une communauté accueillante.

« Proposer une autre vision, un autre discours »

Debra Granik : "C'est formidable que des gens aient la volonté d'aider les autres".
Debra Granik : « C’est formidable que des gens aient la volonté d’aider les autres ».

Car dans leur fuite, Tom et son père ont la chance de tomber sur des gens qui les aident, qui ne les jugent pas, un fermier, un routier, un apiculteur, un toubib, une patronne de camping… « C’est formidable qu’il y ait des gens qui ont la bonté, la volonté d’aider les autres, on a tendance à l’oublier, c’est un thème qui trouve un écho aux Etats-Unis », assure Debra Granik. Non seulement elle a filmé une nature rassurante, superbe, qui n’est jamais hostile, mais elle prouve que l’on peut faire un beau film avec de bons sentiments.

« Leave no trace » est ainsi une histoire profondément optimiste, avec des personnages attachants. « J’ai vraiment envie de faire partie de ce petit pourcentage de créateurs de contenus qui proposent autre chose, une autre vision, un autre discours, plus d’humanité et plus de fraternité », assure la cinéaste, qui rejette cette culture internet qui « permet à n’importe qui de dire n’importe quoi ». « C’est une déconnexion de la réalité assez violente », dit-elle, « Tout nous parvient, les images, les sons, à la vitesse de l’éclair, c’est très violent et ça nous conditionne à recevoir des images violentes, on s’y habitue, on est conditionnés et on en redemande ».

Dans l’industrie du cinéma, Debra Granik est finalement aussi marginale que ses personnages, concevant ses films en dehors du système des grosses productions : « Être dans le système hollywoodien aujourd’hui, c’est être dans le système de la célébrité, alors que je peux faire ce type de films et aller au plus vrai, sans célébrités », estime-t-elle.

Dans les bois, Tom et son père s’efforcent de ne laisser aucune trace, qu’on ne puisse pas les suivre, pas les retrouver. Au contraire, « Leave no trace » s’imprègne profondément dans l’esprit des spectateurs, pour y laisser une belle trace à suivre.

Patrick TARDIT

« Leave no trace », un film de Debra Granik, avec Thomasin McKenzie et Ben Foster (sortie le 19 septembre).

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