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« Mademoiselle de Joncquières » et les liaisons dangereuses

« Être féministe c’est un effort de tous les moments », estime Emmanuel Mouret, qui a tourné un film en costumes, « une histoire de vengeance », avec Cécile de France et Edouard Baer.

Cécile de France incarne Madame de Pommeray, charmante veuve que courtise assidûment l'inconstant Marquis des Arcis (Edouard Baer).
Cécile de France incarne Madame de Pommeray, charmante veuve que courtise assidûment l’inconstant Marquis des Arcis (Edouard Baer).

Un personnage aime trop et l’autre pas assez. « C’est l’histoire d’une vengeance », dit Emmanuel Mouret de son film « Mademoiselle de Joncquières », avec Cécile de France et Edouard Baer (sortie le 12 septembre). C’est le premier film en costumes du cinéaste, qui a souvent évoqué dans ses films les soubresauts de l’amour et « la quête du plaisir comme source de nos tourments » (« Caprice », « Un baiser s’il vous plaît », « Vénus et Fleur »…).

Ce spécialiste du marivaudage s’est librement inspiré d’un récit de Diderot, dans « Jacques le fataliste », et nous téléporte au XVIIIème siècle. « C’est une époque assez passionnante et très proche de la nôtre, où les esprits sont agités, comme les nôtres, entre le sacré, le profane, un certain puritanisme et en même temps une liberté de pensée. Le mot libertin vient de cette idée de liberté de penser, de s’affranchir. C’est une époque dure, terrible, injuste », précise le réalisateur, « L’intérêt c’est qu’on puisse ressentir le récit avec évidence aujourd’hui, il y a beaucoup de choses qu’on peut projeter. Ce qui m’intéressait, c’est d’avoir cette distance avec notre actualité pour que le film colle plus immédiatement ».

Cécile de France incarne une charmante veuve, madame de La Pommeraie, assidûment courtisée par le marquis des Arcis (Edouard Baer), « libertin notoire ». Madame la marquise finira par lui céder ; mais on ne se refait pas, l’inconstant don Juan se lassera et ira séduire ailleurs. Allant jusqu’à feindre le désamour pour lui faire avouer le sien, la femme abandonnée met en scène une vengeance, tend un piège féminin, avec la plus jolie des appâts, Mademoiselle de Joncquières, jouée par la douce Alice Isaaz, dans un rôle presque muet. Longtemps, elle n’est qu’une fugitive silhouette, insaisissable : « C’était un pari de créer la curiosité chez le spectateur pendant tout ce temps, créer ce mystère. Tout est dans le regard, l’attitude, le maintien. Elle représente la pureté, l’innocence, la sincérité », dit Alice Isaaz.

Mademoiselle de Joncquières est incarnée par la douce et jolie Alice Isaaz.
Mademoiselle de Joncquières est incarnée par la douce et jolie Alice Isaaz.

« L’amour, la chose la plus belle, mais aussi la plus diabolique »

Un homme inconsistant et une femme manipulatrice, ce pourrait être un cliché. « Hitchcock disait mieux vaut partir du cliché que d’y arriver », estime Emmanuel Mouret, « Le film interroge l’amour, la chose la plus belle, la plus délicate, mais aussi la plus diabolique ». Qu’une femme veuille se venger des hommes est un propos actuel : « C’est une époque où l’on parle beaucoup de féminisme. Comme dans Les liaisons dangereuses, il s’agit de mettre en avant un personnage féminin intelligent, elle est diabolique mais elle est intelligente, elle est rayonnante, et en effet elle a des propos qui peuvent avoir des connotations féministes. Aujourd’hui, tout le monde se réclame du féminisme, alors qu’être féministe c’est plutôt une attention, un effort de tous les moments, plutôt que de s’attribuer une vertu », estime le réalisateur.

La campagne est jolie et les femmes aussi dans ce « Mademoiselle de Joncquières » à la très belle image, et d’aussi beaux décors et costumes. Cécile de France a de l’allure et de la prestance, et Edouard Baer, « C’est un marquis », ainsi que le dit Emmanuel Mouret. Ce film est un bel objet bien propre, un exercice de style théâtral et bavard, même si c’est un beau texte, mais dont on se désintéresse progressivement du propos, de la vie amoureuse et liaisons dangereuses de ces nobles personnages.

P.T.

Cécile de France : « On aime les gens qui aiment »

Cécile de France : "C'est une femme libérée qui s'est emprisonnée dans sa machination".
Cécile de France : « C’est une femme libérée qui s’est emprisonnée dans sa machination ».

Dans ce film, vous portez des toilettes vraiment superbes…

Cécile de France : Magnifiques, j’ai eu beaucoup de chance, j’étais très heureuse c’était vraiment un rêve de petite fille qui se réalisait. Toute mon enfance, je nourrissais mon imaginaire de tous ces films d’époque, vraiment j’étais aux anges. Pierre-Jean Larroque, qui est un très grand couturier-costumier, les a fait vraiment sur mesure, chaque couleur est en fonction de ma carnation de peau, de cheveux… Et puis, ça m’a permis de rentrer petit à petit dans cette époque, dans ce personnage, c’était formidable de collaborer avec lui, les robes sont vraiment réussies, elles ont quelque chose de lumineux, d’épuré. Emmanuel voulait montrer que c’est une époque pleine de vitalité, d’invention, d’innovation, il fallait quelque chose de neuf, de frais, de pur.

Est-ce que, ainsi que veut le faire votre personnage, une femme seule peut venger toutes les femmes ?

Non, c’est un être blessé, abîmé, qui s’est enfermé dans sa douleur. Autant elle se libère de la catégorisation en tant que femme noble et veuve, elle est indépendante, elle s’affranchit aussi des scénarios que lui avait imposé la société, le fait qu’elle décide de vivre cet amour avec le marquis, elle s’affranchit d’une programmation. Après, elle refuse d’être victime, c’est une deuxième programmation de sa condition, puisqu’à l’époque il y avait ou les femmes raisonnables ou les dépravées, les frivoles. Elle s’autorise deux libertés. C’était très dur pour moi parce que j’ai toujours beaucoup d’affection pour mes personnages, mais se venger sans cesse, corriger les hommes, ce n’est pas évident, il n’y a pas de jugement, le film ne met pas les personnages dans les cases. Dans le cinéma d’Emmanuel Mouret, il y a une empathie, même s’il y a cette trahison, ces mensonges, c’est atroce ce qu’elle fait, ça n’excuse rien du tout, mais dans la fiction, la littérature, le cinéma, on aime quand même les gens qui aiment.

Est-ce que corriger les hommes rendrait vraiment la société meilleure ?

Les corriger de cette manière, sûrement pas. Corriger les hommes, c’est horrible comme phrase, c’est tellement réducteur. Mais je ne crois pas que ce soit aux femmes de faire leur propre loi, c’est à la société de le faire.

Comment vous êtes-vous préparée à jouer ce personnage ?

On s’est vus beaucoup avec Emmanuel Mouret, j’ai pu m’imprégner de ce qu’il avait envie de faire. Il ne faut pas imposer la psychologie des personnages, c’est tentant un personnage comme ça qui passe par tous les états, elle passe de la femme raisonnable à la femme très très amoureuse, à la femme tellement blessée, et à la fin elle est presque folle, de douleur, elle a des conflits intérieurs, des sentiments, très forts. Il faut laisser le spectateur faire son cheminement de pensée. On me propose plutôt des rôles de filles sympas, donc je savourais le plaisir de pouvoir interpréter un personnage qui manipule les gens, et qui est d’une cruauté absolue. En même temps, je la comprends aussi quelque part. C’est une femme libérée qui s’est emprisonnée dans sa machination.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

Edouard Baer : « La vengeance comme moteur, ça m’est étranger »

Edouard Baer : "C'est complètement fou de faire profession de s'aimer".
Edouard Baer : « C’est complètement fou de faire profession de s’aimer ».

Vous vous êtes facilement glissé dans le costume, la peau, du marquis ?

Edouard Baer : Il faut se méfier du joli, le côté costumes, le côté marquis, tout ça, ça ne m’intéressait pas tellement, c’est juste des carcans de comportement, des obligations. Quand vous étiez aristocrate à l’époque, vous aviez tous les avantages, en revanche les codes sont incroyables, c’est étonnant ce rapport d’autorité, de soumission, tout le temps. Ce qui me touchait, ce sont des personnages qui ont beaucoup de temps pour s’interroger, ils ont l’intelligence sentimentale à temps plein, c’est extraordinaire ces gens qui sont des professionnels de leur vie amoureuse. A l’idée qu’il puisse faire autre chose que l’aimer, elle en est jalouse, elle trouve ça inacceptable, c’est complètement fou, de faire profession de s’aimer, c’est très étonnant, l’intelligence au service de son désir et de son sentiment.

Au-delà des costumes et des décors, ce qui en fait un film d’époque c’est cette morale de la noblesse ?

Ce qu’ils appellent la morale, c’est le qu’en dira-t-on, le sens de l’honneur à l’époque c’est la réputation, ce qu’on dit de vous. Il y a une morale du paraître qui est incroyable, à l’époque. Ce qui est stupéfiant, c’est qu’il pense qu’on peut acheter ce qu’on aime, l’idée qu’il n’y a aucune limite à ses désirs, à ses plaisirs, il ne se pose aucune question, il trouve ça normal. J’aime beaucoup le sujet de quelqu’un qui décide de vivre en accord avec une morale qui est la sienne, et pas suivant ce que la société lui dicte. A l’époque, c’est encore plus difficile qu’aujourd’hui, on est plus tolérant.

Ces femmes qui se vengent des hommes, c’est un sujet contemporain ?

Il y a beaucoup de gens qui, en sortant du film, trouve qu’elle a raison. Il y a des gens qui ont consacré leur vie à une vengeance, c’est abominable, c’est du roman policier, c’est du Simenon, c’est ce qu’on appelle des passions tristes, toute sa vie, tout son plaisir, c’est son malheur. La vengeance comme moteur ça m’est étranger, mais on voit bien que dans la vie ça existe, des gens qui ont consacré toute leur vie à se construire contre quelque chose, à se venger d’un milieu, de sa famille… Là, elle l’aurait brisé, aurait-elle été plus heureuse, je ne crois pas non plus.

Vous avez souffert pour apprendre les longues tirades du marquis ?

On ne sait jamais assez le texte, c’est un texte qu’il faut savoir comme à la centième d’une pièce. Souvent au théâtre, les premières vous êtes trop près, au début c’est une prison et après c’est merveilleux, avant de se l’approprier c’est dur. Je me suis enfermé en thalasso, la chose la plus ennuyeuse de ma vie, avec un copain qui me faisait apprendre mon texte. Cécile m’a aussi beaucoup fait répéter, pendant le tournage, elle savait beaucoup mieux son texte que moi, heureusement qu’elle était là.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Mademoiselle de Joncquières », un film de Emmanuel Mouret, avec Cécile de France, Edouard Baer, et Alice Isaaz (sortie le 12 septembre).

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