Florian Besson, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités et Kucab Anne, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités
À cette fausse bonne question, l’exposition actuellement présentée à la Tour Jean Sans Peur a l’intelligence de ne répondre qu’obliquement, en proposant un parcours articulé en deux parties.
La première revient sur le sens originel de « publicité » : caractère de ce qui est public. De ce point de vue, il est tout à fait frappant de voir que se développent au Moyen Âge de nombreuses techniques de communication visant à contrôler et à gérer, voire même à créer l’espace public. Les différents pouvoirs – ecclésiastiques, royaux, municipaux – embauchent par exemple des crieurs chargés de diffuser nouvelles et décisions, après un cri spécifique – dont le célèbre « oyez oyez ». Il s’agit d’une fonction officielle et dûment rémunérée par les autorités urbaines. Les pouvoirs prennent très au sérieux cette fonction et plusieurs lois punissent d’une lourde amende celui qui oserait déranger le crieur en parlant en même temps que lui. Ce faisant, les pouvoirs construisent un espace sonore spécifique et s’approprient l’espace public.
La publicité est toute politique, comme l’illustrent dans l’exposition les passages consacrés aux « entrées royales », grandes cérémonies visant à mettre en scène la puissance du souverain. La publicité est ainsi liée à la propagande : faire circuler une chanson outrageante peut être un bon moyen de nuire à la réputation d’un rival, tandis que les populations urbaines, au plus fort de la Guerre de Cent Ans, proclament fièrement leur allégeance politique en arborant des insignes (des broches métalliques qui sont les ancêtres de nos badges et pins) : fleur de lys ou croix blanche pour les partisans du roi de France, léopard ou croix rouge pour ceux du roi d’Angleterre.
Un dispositif de pouvoir
En rappelant ainsi que la publicité désignait jadis moins une technique de vente qu’une façon d’imposer un discours dans l’espace public, l’exposition rappelle utilement qu’elle est au fond un dispositif de pouvoir, au sens de Michel Foucault, toujours plus facile à manier dès lors pour conforter l’ordre établi que pour le contester.
La publicité elle-même, au sens moderne et étroit de communication visant à vendre un produit, passe par l’oral : dans la rue, les commerçants font la réclame de leurs produits en les criant, un point bien étudié les médiévistes récemment.
Les ventes de biens immobiliers ou de fiefs sont elles aussi annoncées par un crieur, généralement répétées plusieurs fois afin d’assurer une circulation large de l’information. Cette publicité participe déjà de la construction d’une véritable société de la consommation, sous-tendue par l’enrichissement des élites urbaines : Guillaume de la Villeneuve, dans son poème Les Crieries de Paris, peut ainsi écrire « il y a tant à vendre que je ne peux m’empêcher d’acheter ». L’exposition rappelle à juste titre que la publicité sonore n’est pas la spécificité des villes : à la campagne, certaines auberges se dotent d’une cloche que le vent fait sonner afin d’indiquer la présence d’un lieu de repos et de restauration au voyageur.
Il serait tentant d’opposer une publicité médiévale se déployant surtout dans l’espace sonore et une publicité contemporaine investissant plutôt l’espace visuel. Mais la première ne délaisse pas entièrement le second champ : dès cette époque, les boutiques et les tavernes se signalent au passant par des enseignes vivement colorées, afin d’être visibles de loin. S’inventent des symboles visuels reconnus de tous : les tavernes se signalent souvent par un cygne, dont le long cou évoque le fait de boire longtemps, tandis que les auberges plus tranquilles préfèrent s’orner d’une lune, promesse d’une nuit paisible.
Les stratégies ne sont guère différentes aujourd’hui : néons clignotants, couleurs vives, affiches grands formats, symboles immédiatement reconnus, l’enjeu est toujours d’être vu. L’importance donnée aujourd’hui au slogan, qui peut faire le succès d’une publicité (« parce que je le vaux bien » ou encore « what else ? ») se retrouverait déjà au Moyen Âge : le chandelier vend son produit en criant « chandelle, chandelle, qui brille plus qu’une étoile ! ».
L’invention des marques
Les formes mêmes de la publicité évoluent avec le temps. L’écrit se diffuse ainsi à partir de 1500, traduisant l’alphabétisation croissante de la population urbaine. L’écrit ne s’oppose pas au visuel, mais au contraire le complète pour inventer de nouvelles formes de communication : affiches manuscrites, édits collés sur les murs, placards affichés dans les églises… À cet égard, signalons un aspect laissé de côté par l’exposition : c’est également au Moyen Âge que s’inventent les « marques », signes de qualité, qui se font reconnaître par une image précise, souvent soigneusement élaborée.
Dès cette époque, la marque dit le produit et cristallise des enjeux économiques et symboliques cruciaux : le grand imprimeur vénitien Alde Manuce utilise ainsi une marque très connue, à l’ancre et au dauphin, que ses différents héritiers se disputent âprement, chacun cherchant à récupérer le capital symbolique de la marque sans avoir à le partager avec des concurrents… De la même façon, les drapiers pour éviter la contrefaçon et garantir la qualité et l’origine du produit (l’ancêtre de nos AOC et AOP aujourd’hui très utilisées dans la publicité) scellaient leur drap au moyen d’une bulle de plomb ou de cuivre, une combinaison de fils décidés par ordonnance et garantissant sa provenance.
L’absence de cette réflexion sur la marque est d’autant plus regrettable qu’elle aurait permis d’assurer une transition fluide avec la seconde partie de l’exposition, qui s’intéresse quant à elle à l’utilisation d’images médiévales dans la publicité contemporaine. Ces aspects publicitaires sont richement illustrés par la présence de nombreux objets, d’affiches, emballages, buvards… Le visiteur trouve ainsi exhibés dans un musée des produits qu’il rencontre le plus souvent dans les rayons de son supermarché. C’est aussi l’intérêt de cette exposition que d’offrir un télescopage temporel entre le Moyen Âge et notre monde contemporain.
Il s’agit ici de plonger au cœur du « musée imaginaire des publicitaires », dans lequel le Moyen Âge occupe une place très importante. La période, et ce depuis le XIXe siècle, est en effet sans cesse sollicitée, utilisée, et, ce faisant, réinventée : c’est ce que l’on appelle le médiévalisme. Pour les publicitaires, le Moyen Âge est vendeur, même si l’exposition montre bien que l’on n’utilise pas le Moyen Âge pour vendre n’importe quoi, mais surtout pour des produits eux-mêmes associés, dans l’imaginaire collectif, à la période médiévale : le fromage, le vin, la bière se taillent la part du lion.
Se construit ainsi un « médiévalisme alimentaire » que l’on retrouve à l’identique dans les films ou les séries contemporaines : pensons aux Visiteurs, où Godefroy de Montmirail réclamait à grands cris de la viande, ou à la série Kaamelott, dans laquelle Karadoc proclame que « le gras c’est la vie ».
Imaginaires collectifs
De même, on utilise l’écriture gothique sur des étiquettes, des images de sceaux, on va chercher les dates les plus anciennes possible… Tous ces signes jouent comme des gages d’authenticité. L’inscription dans un terroir (les AOC) est ainsi comme complétée par une inscription dans un terreau historique. L’historien.ne ne peut s’empêcher de ressentir, face à cette surenchère, un sentiment trouble, tant cela semble évoquer à la perfection le « fantasme des origines » auquel Marc Bloch opposait le travail scientifique de compréhension du passé.
Mais rien n’empêche, bien au contraire, d’appliquer cette démarche à la publicité médiévaliste elle-même. Il est ainsi fascinant de noter que, souvent, la publicité puise moins son inspiration dans le Moyen Âge proprement dit que dans d’autres œuvres médiévalistes : c’est le cas d’une publicité de la Société Générale de 2004 utilisant l’image immédiatement reconnaissable de Robin des Bois, mais d’un Robin des Bois qui est en réalité celui campé par Errol Flynn en 1938. Ces héritages et ces emprunts dessinent des transmissions plus ou moins conscientes au fil desquelles se sédimentent des imaginaires collectifs.
Appartenant à l’imaginaire médiéval par excellence, le château et le chevalier sont fréquemment utilisés ; Bayard, Du Guesclin, de valeureux croisés et de preux chevaliers sont souvent appelés à la rescousse pour vendre nombre de produits, de la centrale électrique au fil de couture, en passant même par les bas dont les mailles sont aussi solides que ceux d’une cotte de mailles ! Il s’agit alors de transférer les caractéristiques du chevalier – résistance, bravoure, solidité de l’armure, prouesse, épée tranchante – au produit à vendre.
Souvent drôle, parfois très ingénieuse, la publicité s’avère également capable d’utiliser le Moyen Âge pour transmettre des messages parfois subtils : pensons à la célèbre publicité pour les 15 ans d’Eurostar, où Jeanne d’Arc, figure-clé de l’imaginaire national, souvent enrôlée par l’extrême-droite, devient au contraire le symbole d’un rapprochement entre la France et l’Angleterre.
L’utilisation de la figure de Jeanne d’Arc, pour détournée et intelligente qu’elle soit ici, n’en reste pas moins extrêmement classique : en effet, parmi les figures historiques, toutes n’ont pas le même succès, et la publicité utilise beaucoup Charlemagne, les croisades, la guerre de Cent Ans, Jeanne d’Arc, bref, les grandes figures d’un « roman national » qui, critiqué et amendé par des générations successives d’historien.ne.s, reste très prégnant. D’autres figures passent de mode, tel Dagobert, tandis qu’au contraire, de nouvelles images apparaissent aujourd’hui, notamment les Vikings, très à la mode actuellement sur tous les supports, des jeux de société aux biscuits.
Dans son ouvrage récemment traduit en français, le médiéviste Tommaso di Carpegna Falconieri invite à s’intéresser à ces recompositions permanentes des imaginaires historiques, qui répondent souvent à des évolutions politiques et culturelles majeures. La publicité est une chambre de résonance particulièrement appropriée pour étudier ces transformations, car, par sa nature, elle se veut toujours étroitement connectée aux tendances du temps.
Cette exposition précise ainsi utilement pour le Moyen Âge les réflexions menées autour du rapport entre l’histoire de France et la publicité en 2013 dans l’exposition du même nom à la bibliothèque municipale parisienne Forney. Très bien construite, elle invite ainsi à articuler deux questionnements : la place de la publicité dans les sociétés médiévales, et la place de l’imagerie médiévaliste dans la publicité contemporaine. Le catalogue de l’exposition offre par ailleurs une bibliographie récente et variée à ceux qui souhaiteront approfondir la question.
La Tour Jean Sans Peur prouve ainsi, une fois de plus, sa capacité à proposer des expositions qui interrogent à la fois notre culture contemporaine et s’inscrivent au cœur des intérêts actuels des chercheur.se.s : ce sont des recherches actuelles, en train de se faire, qui s’y donnent à voir, pour l’intérêt de tous et toutes.
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Florian Besson, doctorant en histoire médiévale et ATER, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités et Kucab Anne, Doctorante en histoire médiévale et ATER – Université Paris-Sorbonne, Université Paris-Sorbonne – Sorbonne Universités
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.