Compter les morts : un exercice que l’on pourrait penser être le B-A BA des scientifiques de la Santé Publique : Eh bien non !
Par Jean-Michel Claverie*
Dans un éditorial publié le 9 juin 2022, un éditeur de la prestigieuse revue Nature révèle en détail comment l’équipe de “spécialistes” de la très officielle Organisation Mondiale de la Santé (en anglais “WHO”) a pu se tromper de près de 40% dans le simple calcul de l’excès de mortalité causé par l’épidémie de Covid-19 (de 116/100.000 à 72.7/100.000 pour l’Allemagne, par exemple).
Plus étonnant encore, est que les erreurs les plus importantes (et reconnues par les auteurs de l’étude), concernent des pays comme l’Allemagne et la Suède, qui sont parmi les moins suspects de publier des statistiques peu rigoureuses.
Problème de méthodologie
Non, la cause de ces erreurs (mais il serait plus approprié de parler d’incertitudes, car les valeurs justes ne sont toujours pas connues) réside véritablement dans un problème méthodologique de modélisation qui ne semble toujours pas résolu parmi les “spécialistes”.
Pour le théoricien (à la retraite) que je suis, ces difficultés de modélisation/extrapolation sont vraiment surprenantes, car il s’agit de capturer un phénomène démographique dont les variations sont lentes et de faibles amplitudes (des courbes relativement plates). D’après l’éditorial de Nature, ce sont les méthodes même d’extrapolation qui sont en défaut, et ne font pas consensus au sein de la communauté scientifique. En gros, on ne sait pas très bien calculer ce qui ce qui se serait passé si l’épidémie de Covid-19 n’avait pas eu lieu.
Notons, en passant, qu’il ne s’agit ici que de modéliser un scénario sur deux seules petites années. Du coup, quelle confiance faut-il accorder à ceux qui prétendent prédire le comportement de systèmes beaucoup plus complexes (en écologie, par exemple) sur des décennies ?
« Scientifiques de fauteuils »
Ce genre d’”accident scientifique”, touchant de plus une organisation internationale (l’OMS/WHO) qui se targue de jouer un rôle dominant dans la gestion des futures pandémies, ne peut que renforcer la suspicion grandissante sur la fiabilité des modèles mathématiques globaux en tous genres et la prise de pouvoir (politique) de ceux qui nous en brandissent les résultats souvent très alarmistes. Les épidémiologistes ont été aux premières loges médiatiques ces derniers mois. Mais, c’était sans compter l’émergence (naturelle, mais imprévisible) du gentil variant Omicron, dont la contagiosité extrême, mais aussi (merci à lui !) la beaucoup moins forte pathogénicité, a torpillé les scénarios catastrophes.
L’arrogance des “scientifiques de fauteuils” (« armchair scientists ») modélisateurs de tous poils devient d’autant plus intolérable que leurs “erreurs” peuvent conduire à des politiques publiques (économie, santé, écologie, etc.) dont les conséquences éventuellement catastrophiques (et irréversibles) nous concernent tous.
Il est vraiment temps de redonner à l’activité scientifique toute la rigueur, mais aussi toute l’humilité, qui a fait sa force et son utilité jusqu’ici.
*PU-PH émérite (professeur en Santé Publique & virologue) à l’université d’Aix-Marseille, Jean-Michel Claverie a été cofondateur et ancien vice-président de la Société Française de Virologie.
La pensée dujour : « La prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir. » (Pierre Dac)