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Côte d’Ivoire, Guinée-Conakry : les mauvais signaux envoyés à l’Afrique

Peter Fitzgerald, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
Peter Fitzgerald, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons

Point-de-vue- Les élections présidentielles de Côte d’Ivoire et de Guinée ont entériné la faillite des institutions et du droit. Pourtant ces scrutins ont été reconnus par l’Union africaine, la Cedeao, et quelques autres États. Des précédents qui pèseront lourd dans les consultations à venir sur le continent.

Leslie Varenne
Leslie Varenne

Par Leslie Varenne*

En cette fin d’année 2020, la Côte d’Ivoire et la Guinée Conakry ont inauguré une série d’élections présidentielles qui vont se dérouler Afrique de l’Ouest et centrale au dernier trimestre 2020 et au premier de 2021. C’est dire combien, dans toute l’Afrique subsaharienne francophone, les événements guinéens et ivoiriens ont été importants et suivis de près à la fois par les Présidents sortants et par les opinions publiques.

Scénario à la congolaise

En Côte d’Ivoire, l’élection a été boycottée et/ou empêchée par l’opposition. Comme le note Le Figaro, « ce scrutin tronqué a été dénoncé par les observateurs internationaux indépendants. Le taux de participation de 54% revendiqué par le pouvoir serait inférieur à 10% ». La Cour constitutionnelle a néanmoins consacré Alassane Ouattara vainqueur avec 94,27% des suffrages. Même scénario en Guinée Conakry où l’opposant Cellou Dalein Diallo, qui revendiquait la victoire, a été renvoyé dans les cordes, ses recours ayant été refusés par la plus haute cour, Alpha Condé a été réélu au premier tour avec 59% des suffrages.

Après avoir vécu une crise préélectorale, ces deux pays sont entrés dans une phase de crise postélectorale, les opposants ne reconnaissant pas les Présidents proclamés. En Guinée, Cellou Dalein Diallo appelle à « dégager Alpha Condé » sans toutefois définir de stratégie claire. En Côte d’Ivoire, tous les partis réunis autour de l’ex-Président Henri Konan Bédié exhortent à la désobéissance civile. Après s’être emparés du précédent congolais pour modifier leurs Constitutions respectives afin de se représenter à un troisième mandat, Alassane Ouattara et Alpha Condé ont appliqué les recettes en vogue à Brazzaville pour faire taire les contestations. Ces méthodes ont été éprouvées avec succès par Denis Sassou Nguesso après son élection vivement critiquée de 2016 : arrestations et/ou encerclement des domiciles des opposants, répression et instrumentalisation des questions communautaires. Quatre ans et demi plus tard, le chef de l’État congolais est toujours en place et s’apprête à briguer un nouveau mandat en avril 2021 alors que son challenger de 2016, le général Jean-Marie Michel Mokoko, croupit en prison.

Victimes et bourreaux

Ces crises ont aussi engendré des pertes humaines. En Guinée Conakry, l’opposition évoque le nombre de 92 tués avant l’élection et depuis, le bilan s’est encore alourdi tandis qu’en Côte d’Ivoire, les chiffres officiels font état de 85 décès et 458 blessés. Dans ce pays, le 9 novembre dernier, des scènes cauchemardesques ont eu lieu. À Daoukro, un jeune homme a été décapité et ses bourreaux ont joué au foot avec sa tête. Les images ont profondément choqué les Ivoiriens, cette scène restera inscrite dans les mémoires comme un seuil dans l’horreur franchie lors de cette élection de 2020. Ce même jour, à M’Batto, des affrontements qui ont été décrits par la presse comme communautaires ont éclaté. Le nombre de 34 victimes qui circulait a été contesté par les autorités ivoiriennes et les médias français qui déplorent, eux, six décès. En réalité, selon les sources de l’auteure de ces lignes, il n’y a pas eu d’affrontements communautaires entre Agnis et Malinkés, mais entre des villageois Agnis et un groupe d’hommes non identifiés extérieur à M’Batto. Par ailleurs, le bilan serait de très loin supérieur au décompte officiel. Minimiser les violences ne les rend pas plus acceptables et seule une enquête indépendante pourra établir la vérité sur ces faits.

Jurisprudence Ouattara/Condé

Dans ces deux pays, les institutions ont été bafouées en écartant des candidats et en validant des scrutins non sincères. La démocratie a été bafouée avec des commissions et des fichiers électoraux contestés. Le droit a été bafoué en procédant à des arrestations arbitraires, notamment de députés. Les droits humains ont été bafoués, des crimes ont été commis. Pourtant, la Cedeao a reconnu les victoires d’Alassane Ouattara et d’Alpha Condé et leur a présenté « ses chaleureuses félicitations ». S’agissant du chef de l’État ivoirien, l’organisation sous-régionale a été plus loin en lui souhaitant « ses vœux sincères de succès dans la conduite de la mission que lui a confiée le peuple souverain »! Moussa Faki Mahamat, le président de la Commission de l’Union africaine (UA), a félicité plus sobrement les deux Présidents et a appelé au dialogue entre toutes les parties. Néanmoins, ces petits bémols ne sont que de pure forme: dans les faits, l’organisation reconnaît ces chefs d’État comme légitimement élus. Par conséquent, elle adoube de fait le calamiteux processus électoral et les pittoresques résultats des urnes.

Quant à la France – qui au passage avait, en cette année 2020, une responsabilité historique en Côte d’Ivoire puisqu’avec les États-Unis et les Nations unies, elle avait installé militairement Alassane Ouattara au pouvoir –, elle a reconnu le scrutin de la manière la plus désastreuse qui soit : en catimini. Le dimanche 15 novembre au matin, une dépêche de l’Agence ivoirienne de presse annonçait qu’Emmanuel Macron félicitait le Président Ouattara pour sa réélection. Pendant toute la journée a circulé une lettre du chef de l’État français datant du 11 novembre et se terminant par ces phrases manuscrites rajoutées à la fin du texte : « Merci pour l’échange que nous avons eu dès le dimanche de ta réélection et le travail de réconciliation et renouvellement que tu vas mener. Avec toute mon amitié. » Ce courrier n’avait fait l’objet d’aucune officialisation avant que RFI ne contacte l’Élysée qui a confirmé que cette missive, probablement fuitée par les bons soins de la présidence ivoirienne, n’était pas une fausse nouvelle. Ainsi, pendant cinq jours, Français et Ivoiriens ont été tenus dans l’ignorance d’une information capitale en ces circonstances. Cette reconnaissance, deux jours après les événements de Daoukro et M’Batto, est confondante et sidérante sur la forme comme sur le fond. Emmanuel Macron a, au même titre que l’UA et la Cedeao, avalisé le scénario à la congolaise et entériné la jurisprudence Ouattara/Condé.

À qui le tour ?

Alpha Condé n’a toujours rien reçu de la part de l’Élysée, comment honorer l’un sans l’autre ? Et qu’en sera-t-il pour les élections à venir ? Si d’aventure, Roch Marc Christian Kaboré, Président du Burkina Faso, se déclarait vainqueur au premier tour du scrutin de ce dimanche 22 novembre alors que compte tenu du paysage politique cela paraît mathématiquement impossible, que se passera-t-il ? Ce « coup K.O. » risquerait de faire entrer le Burkina Faso de plain-pied dans une crise postélectorale longue.

Au Niger, le 14 novembre, la Cour constitutionnelle a invalidé la candidature de l’opposant Hama Amadou et validé celle du dauphin du Président sortant Mohamed Bazoum, déclenchant une vague de mécontentement. La coalition CAP 21, qui regroupe l’opposition, n’a pas encore fait connaître ses positions mais certains, comparant les stratégies ivoirienne et guinéenne, réfléchissent déjà à un possible boycott du scrutin. Le Niger se dirige-t-il vers une crise préélectorale ? Pourtant, lors de son voyage à Niamey le 6 novembre dernier, Jean-Yves le Drian, le chef de la diplomatie française, a usé de l’une de ses petites phrases qui lui sont si chères : « Les prochaines élections au Niger seront une référence pour l’Afrique » ! Dont acte.

Et si, en plus des crises guinéenne et ivoirienne, le Niger et le Burkina Faso s’enflammaient ? Ces États, tous deux membres du G5 Sahel, sont en proie à de graves conflits sécuritaires. Or, « la démocratie et la lutte contre le terrorisme vont de pair. Ces deux combats ne sont pas séparables. Et seuls la démocratie, la justice, l’État de droit et le développement ramèneront une paix durable au Sahel », disait Emmanuel Macron le 20 septembre dernier à la tribune des Nations unies.

La France, l’UA, la Cedeao, les Nations unies, l’Union européenne devraient d’ores et déjà s’apprêter à éteindre les incendies.

En attendant, le spectacle donné en Afrique de l’Ouest doit rassurer Idriss Déby et Sassou Nguesso, les élèves ont fait aussi bien que leurs maîtres, ils peuvent se préparer à briguer un énième mandat en 2021…

*Leslie Varenne est directrice de l’Institut de veille et d’études des relations internationales et stratégiques (IVERIS).

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