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Les élections américaines seront-elles truquées ?

Jean-Eric Branaa, Université Panthéon-Assas

élections américaines
Qui va gagner les élections? (wikimedia.org • CC BY-SA 3.0)

Début août, Donald Trump intervenait sur la chaîne Fox News. À la surprise de Bill O’Reilly, qui l’interrogeait, il a évoqué ses inquiétudes concernant une élection « truquée ». Il a alors affirmé que son adversaire, Hillary Clinton, était sur le point d’organiser une fraude généralisée.

On se souvient qu’il avait déjà utilisé l’argument de la fraude pendant les primaires, expliquant qu’il était le seul à pouvoir l’emporter et que ses adversaires – et, en particulier, les cadres du Parti républicain – ne pouvaient gagner que par des procédés déloyaux. « Cette élection sera entachée de fraude, on va nous voler la victoire », a-t-il déclaré dans ses derniers meetings. Dans un rassemblement à Columbus (Ohio), il a encore insisté là-dessus, voici quelques jours, faisant aussitôt monter la suspicion à l’égard du système : « Je me dois d’être honnête avec vous. J’ai peur que l’élection ne soit truquée ».

En février, déjà, Trump réfutait les résultats du caucus de l’Iowa dans une série de tweets très virulents : « Ted Cruz n’a pas gagné l’Iowa, il l’a volé. C’est pour ça que les sondages se sont tellement trompés, et c’est pour ça qu’il a eu beaucoup plus de voix qu’anticipé. Moche. »

La « fraude » était alors contestable puisqu’elle se résumait à une déclaration de Ted Cruz qui, selon Trump, avait faussement affirmé, juste avant le scrutin, que Ben Carson, autre candidat républicain, quittait la course, et invité les électeurs « à voter pour Cruz ». Selon lui, « beaucoup de gens ont alors voté pour Cruz plutôt que Carson à cause de cette fraude de Cruz ». Trump a ensuite lancé d’autres accusations de fraude après la victoire de Ted Cruz dans le Wisconsin, en avril.

Serait-il donc mauvais perdant ou un peu paranoïaque ? C’est ce que semble penser Barack Obama, qui lui a répondu sur le ton de la raillerie, le 4 août, lors d’une conférence de presse :

« Bien sûr, il n’y aura pas de fraude. C’est ridicule, personne ne va prendre ça au sérieux ! Je crois que chacun d’entre nous dans sa vie, en faisant du sport, dans la cour ou dans le bac à sable, nous avons vu des gars perdre et se mettre à crier à la triche. Mais c’est la première fois que je vois quelqu’un se plaindre avant la fin de la partie ! Mon conseil serait : arrête de te plaindre et fait ce qu’il faut pour gagner l’élection. »

Des élections plutôt compliquées

Toutes ces accusations, lancées sans preuve, alimentent les soupçons vis-à-vis d’un système électoral qui est loin d’être parfait, et qui peut se terminer dans la confusion, comme ce fut le cas lors de l’élection de 2000 entre George W. Bush et Al Gore. Il y eut alors un mois de batailles acharnées entre les deux camps, arbitrées par des juridictions et finalement stoppées par la Cour suprême qui entendait bien faire respecter une condition constitutionnelle de l’élection : il faut que tous les États réunissent leur Collège électoral en même temps et il fallait donc arrêter la liste des Grands Électeurs de Floride. À ce moment-là, George W. Bush gagnait dans le décompte et c’est donc ce résultat qui a été validé, pour en finir avec d’interminables recomptages.

Al Gore, le rival malheureux de George W. Bush lors de la présidentielle de 2000.
Center for American Progress Action Fund/Flickr, CC BY-ND

Pas de fraude, donc, ici non plus. Tout au plus un brouillage médiatique dû à un système qui s’accommode parfois de bizarreries qui seraient intolérables de ce côté-ci de l’Atlantique. Ainsi, les résultats électoraux sont parfois obtenus par des méthodes très étonnantes aux États-Unis, qui seraient incontestablement qualifiés de fraude en France.

Souvenons-nous que le dernier caucus de l’Iowa a été gagné, côté démocrates, par Hillary Clinton, mais avec une marge si serrée (49,8 % contre 49,6 %) que son adversaire Bernie Sanders n’a jamais officiellement concédé sa défaite. Pendant longtemps, il a même songé à contester le résultat, avant de renoncer. Mais qui aurait pu l’en blâmer ? Il faut dire que, dans six cas au moins, la décision finale pour attribuer des délégués à Hillary Clinton ou Bernie Sanders a été décidée à pile ou face, en lançant une pièce de monnaie !

Tout s’organise au niveau des États

On n’est donc pas très étonné que de moins en moins d’électeurs disent faire confiance aux résultats des élections. Selon le Pew Research Center, en 2004, 48 % des Américains avaient une grande confiance dans le système électoral. En 2012, ils n’étaient plus que 31 %. Une réforme nationale a été lancée en 2002, mais l’harmonisation est quasiment impossible car les élections sont de la compétence des États : il y a véritablement 50 systèmes électoraux alors que nous pensons qu’il n’y en a qu’un, vu d’Europe.

Pourtant rien n’a été laissé au hasard pour tenter d’améliorer les choses : des expériences de votes électroniques ont été menées, sans succès, car les hackers sont à chaque fois entrés dans les systèmes informatiques. Dans la plupart des cas, les États ont opté pour des machines à voter qui sont censés apporter le plus de sécurité. Pour éviter les situations confuses, la tendance est depuis dix ans au retour aux bulletins de vote en papier. Cette année, selon Pamela Smith, présidente de l’organisation indépendante Verified Voting, au moins trois-quarts des électeurs voteront avec un bulletin en papier ou avec des machines qui impriment un reçu papier. Il a également été décidé d’abandonner le vote par poinçon, qui a créé tant de problèmes en 2000.

Les préoccupations concernant le vote sont aujourd’hui d’un autre ordre : elles concernent le redécoupage électoral, qui est un moyen de redessiner des circonscriptions sur mesure pour certains candidats ou un parti et donc anti-démocratiques. Il y a aussi l’éventuelle création d’un jour férié, car on vote un mardi aux États-Unis et que ce jour n’est pas chômé. Difficile de voter lorsqu’on travaille loin, par exemple. Enfin, il y a le problème de la justification d’identité. C’est là-dessus que portent les attaques de Donald Trump et, plus largement des républicains, et alimentent le sentiment d’illégitimité du système.

Polémique sur les pièces d’identité

Les soupçons de fraude, pourtant, existent bel et bien. Mais pas forcément là où on les attend. Une polémique enfle en effet depuis le début du processus des primaires à propos de la possibilité qui est refusée à certains de voter s’ils ne peuvent pas prouver leur identité. Comme d’autres, Trump a fait état de craintes quant à des électeurs sans pièce d’identité, « qui iront peut-être voter dix fois ». En réalité, c’est un moyen qu’ont trouvé certains États très conservateurs pour limiter le vote des Afro-Américains, qui leur est très défavorable.

Hillary Clinton, à la descente de son avion, le 25 août, sur l’aéroport de Reno (Nevada).
Justin Sullivan/AFP

C’est vrai qu’il n’existe pas de carte d’identité aux États-Unis, un pays qui s’est protégé d’un trop grand contrôle par l’État et a toujours refusé la mise en place d’un système généralisé. En réalité, un tel système existe dans les faits, et c’est le plus souvent le permis de conduire qui fait office de document officiel pour attester d’une identité. Lorsque la personne n’a pas le permis, elle présente son passeport. Oui, mais que faire pour ceux qui n’ont ni permis, ni passeport ?

En mars dernier, dans la primaire du Nevada, l’absence de pièce d’identité aurait généré un trouble d’après certains observateurs, car les fraudes auraient été nombreuses, si on en croit des candidats qui se sont dits lésés, comme Marco Rubio. Les membres de son équipe avaient alors rapporté que les bénévoles laissaient les électeurs opérer sans vérifier leurs papiers d’identité, leur permettant de voter plusieurs fois.

500 observateurs de l’OSCE

Le danger est donc inverse par rapport à celui qui est mis en avant par le candidat milliardaire. Les associations de défense des droits de l’homme et celles pour les droits civiques estiment que de nombreux électeurs risquent de se retrouver face à des préjugés liés à leur origine ethnique et qu’ils pourraient être écartés des bureaux de vote. En effet, en s’appuyant sur l’annulation d’une partie de la grande loi de 1965 sur le droit de vote et la lutte contre les discriminations plusieurs États ont décidé d’exiger une pièce d’identité avec photo pour autoriser le vote.

C’est une des raisons pour laquelle l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) a annoncé qu’elle allait envoyer 500 observateurs internationaux pour l’élection présidentielle du 8 novembre, soit dix fois plus qu’en 2012. Ce chiffre semble important : il reste toutefois totalement anecdotique quand on sait qu’il y a 50 États à couvrir, des centaines de grandes villes et des territoires immenses. De plus, le vote ne se fait pas uniquement à la mairie, mais dans tous les endroits où des bénévoles veulent bien installer un bureau : école, travail, cantine, ils peuvent fleurir partout – ce qui rend encore plus difficile le contrôle.

Les inspecteurs de l’OSCE se concentreront donc sur quelques États, principalement dans le Sud, où les problèmes seront plus importants en Pennsylvanie et en Caroline du Nord, où le vote sera serré, ou encore dans le Wisconsin où une loi particulièrement sévère a été adoptée. Nul besoin de tomber dans la paranoïa totale à ce sujet, cependant : même si le climat politique est particulièrement dur, voire malsain, cette année, on n’a jamais observé de fraude électorale dans les scrutins récents aux États-Unis. L’université de droit Loyola, en Californie, travaille sur la fraude électorale depuis 15 ans. Et selon son étude, sur un milliard de bulletins déposés dans les urnes, la tricherie est infinitésimale : elle n’a pu mettre que 31 cas en évidence et après vérification, la fraude n’est pas toujours avérée.

Reste à remarquer que les alertes à la fraude de Donald Trump coïncident curieusement avec sa chute dans les sondages qui donnent Hillary Clinton devant le milliardaire d’une dizaine de points, au plan national pour la présidentielle de novembre. Chercherait-il déjà à justifier un éventuel échec ?

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Jean-Eric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines, Université Panthéon-Assas

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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