Jori Breslawski, University of Maryland
À Rio de Janeiro, les favelas représentent un terrain propice à la contamination. Les rues sont étroites et exiguës, le système de santé pratiquement inexistant et l’accès à l’eau potable si restreint que les habitants ne peuvent même pas se laver les mains correctement.
Dans ces conditions très favorables à la propagation du coronavirus, un couvre-feu a été imposé. Non pas par le gouvernement brésilien, qui n’a toujours pas décrété le confinement, mais par les gangs qui font la loi dans ces quartiers.
Dans ces zones, les membres des gangs ont lancé un message clair aux habitants : « Nous imposons un couvre-feu parce que personne ne prend la situation au sérieux. Toute personne qui sortira dans la rue malgré le couvre-feu receva un châtiment exemplaire. »
Ce qui se passe à Rio n’est pas un cas isolé. Dans le monde entier, des groupes criminels, des mouvements insurgés et des organisations terroristes luttent activement contre la pandémie.
Quelles sont leurs méthodes d’action ?
Au Liban, le Hezbollah a mobilisé plus de 1 500 médecins, 3 000 infirmières et travailleurs paramédicaux, et a mis 20 000 de ses militants à contribution.
« C’est une véritable guerre ; nous nous devons donc de la livrer avec la même détermination que celle qui prévaut sur un champ de bataille », a déclaré à Reuters Sayyed Hashem Safieddine, le chef du conseil exécutif de Hezbollah. Le groupe gère plusieurs hôpitaux qui dispensent gratuitement des tests et des traitements pour le Covid-19. En outre, il a transformé plusieurs hôtels en centres de quarantaine.
En Afghanistan, les talibans se sont chargés de diffuser des vidéos expliquant comment se désinfecter correctement et ont chargé leurs combattants de distribuer du savon et des masques chirurgicaux. En Libye, les forces rebelles ont imposé un couvre-feu de 18 heures à 6 heures du matin afin d’endiguer la diffusion du virus.
Le mouvement islamiste Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, est en passe d’y édifier deux gigantesques centres de quarantaine. De son côté, l’État islamique a relayé un certain nombre d’instructions pour répondre à la crise dans un récent bulletin d’information.
Pourquoi se préoccupent-ils autant de cette crise sanitaire ?
En tant que spécialiste du comportement des organisations armées, je n’ai pas été surpris de les voir agir ainsi. Dans la plupart de ces régions, les gangs, les forces rebelles et les groupes terroristes contrôlent des zones où le gouvernement a perdu tout pouvoir.
Certains de ces groupes fournissent déjà aux populations qui se trouvent sous leur contrôle des prestations sociales comme l’accès aux soins médicaux et à l’éducation, ainsi que des procédures de résolution des conflits qui font office de système judiciaire rudimentaire.
Là où les gouvernements ne font rien ou pas assez pour endiguer l’épidémie du coronavirus, les groupes armés entrent en scène pour gagner en légitimité auprès de la population afin d’obtenir son soutien ainsi que celui d’éventuels partisans à l’étranger. Certains de ces groupes possèdent leur propre drapeau et leur propre monnaie, et leurs efforts en matière de lutte contre le coronavirus s’inscrivent dans cette stratégie de légitimation.
Même si l’intention de ces organisations à caractère violent n’est pas toujours d’obtenir le pouvoir absolu, elles dépendent toujours de la population locale à qui elles soutirent de l’argent ou des informations en échange d’une protection contre les forces armées rivales. Quand les habitants souffrent, leur soutien aux groupes violents peut s’affaiblir ou disparaître ; si ceux-ci cherchent à protéger la population, c’est avant tout parce que c’est là leur intérêt.
En outre, bon nombre des membres de ces groupes opèrent dans des zones où vivent leur famille et leurs amis – ils veulent donc naturellement contribuer à la sécurité et à la santé de leurs proches.
Comment cette aide se met-elle en place ?
Si les zones contrôlées par les organisations armées sont souvent hors d’atteinte pour les gouvernements, elles ne sont en revanche pas protégées contre le coronavirus. Et le risque de la propagation du virus est si grand que la réponse ne doit pas être parasitée par les conflits entre les autorités légitimes et ces groupes. Afin de sauver le plus de vies possible, les divisions sectaires et politiques doivent être mises de côté. Toute organisation ayant la capacité et la volonté de combattre l’épidémie doit être mise à contribution.
Les organisations humanitaires comme la Croix-Rouge et Médecins sans frontières travaillent depuis longtemps avec les organisations armées et voient en elles des partenaires incontournables pour que les populations vivant sous leurs contrôle aient accès aux soins.
Les talibans, ainsi que d’autres groupes armés, obligent les organisations humanitaires à se déclarer auprès d’eux, mais les laissent tout de même opérer sur leur territoire. Un porte-parole des talibans a récemment déclaré : « Si, qu’à Dieu ne plaise, l’épidémie se propage dans une zone que nous contrôlons, alors nous arrêterons les combats dans cette zone. » Le groupe a également garanti la sécurité à tout organisme humanitaire agissant pour empêcher la propagation de l’épidémie et pour aider les personnes victimes du virus.
Mais les relations entre les organisations humanitaires et les groupes armés sont parfois très difficiles. Il arrive que les gouvernements empêchent les humanitaires d’accéder aux territoires des forces rebelles ; il arrive aussi que ces groupes armés n’assurent pas la protection des travailleurs humanitaires, ou n’utilisent pas les aides reçues comme ils s’étaient engagés à le faire.
Malgré tout, le fait que tant de groupes se mobilisent pour protéger « leurs » populations face à l’épidémie reflète l’ampleur de la menace et souligne à quel point il est urgent de mettre en œuvre une collaboration efficace entre les gouvernements, les organisations humanitaires et les groupes armés, surtout dans les zones dont les États sont totalement absents.
Jori Breslawski, Ph.D. Candidate in Political Science, University of Maryland
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.