Marc Bidan, Université de Nantes
Pourquoi le géant de l’édition de logiciels Microsoft a-t-il cassé sa tirelire et mis sur la table quelques 26,2 milliards de dollars en cash pour s’offrir le géant des serious network qu’est LinkedIn ? En fait, ce mariage de raison est l’histoire d’un coming-out spectaculaire de l’éditeur de Redmond.
Microsoft clarifie sa stratégie
Du coté de l’offreur – Microsoft le gentil prédateur – l’idée est d’en finir avec une stratégie embrouillée qui était devenue à la fois inopportune et inefficace.
Inopportune, car les GAFA et autres NATU commençaient à se partager les fruits de la croissance du monde numérique en s’accommodant plutôt bien de la discrétion de Microsoft. Ce profil bas s’expliquait notamment par ses déboires avec la commission européenne (position dominante) et ses acquisitions peu lisibles stratégiquement (Nokia, Yammer, Mojang, Skype…).
Inefficace, car l’éditeur, géant incontournable du numérique grand public via son système d’exploitation Windows et son pack Office, mais aussi sa Xbox ou son moteur de recherche Bing, restait désespérément un nain du numérique professionnel. En effet, ses solutions intéressantes et largement déployées comme Dynamics pour les progiciels de gestion (ERP, CRM…) ou encore Microsoft Office 365 pour ses solutions de dématérialisation via le cloud (OneDrive, Azure…) restaient assez peu médiatisées.
Le marché-clé des entreprises
Il lui fallait donc amorcer sa transformation organisationnelle et redorer son blason de « perdant magnifique ». Microsoft se devait de sortir du bois et d’aller affronter les géants de l’édition dédiée aux entreprises comme SAP, Oracle, Cisco ou encore Infor et Sage sur leur propre terrain.
À court terme, ce terrain est encore et toujours celui des systèmes d’entreprise (ERP) et à moyen terme celui de l’intelligence conversationnelle. À ce titre, l’achat récent de la start-up Wand Labs – bots informatiques, intelligence artificielle et intégration de services pour les messageries instantanées – est en totale cohérence avec un nouvel affichage stratégique de connexion de l’intelligence humaine avec une intelligence artificielle.
LikendIn, réseau des grands comptes
Du coté de la demande – LinkedIn la proie consentante et opéable à hauteur de 53 dollars environ par compte utilisateur – l’idée est de valoriser le premier réseau social à vocation professionnelle dans le monde. Ce réseau se targue de réunir des millions de talents, de décideurs et d’entreprises autour de la mise en musique de leur expérience professionnelle.
LinkendIn est désormais positionné très loin devant le groupe français Viadeo, ex pépite qui traverse quelques difficultés. Il compte quelques 433 millions de comptes c’est-à-dire bien plus que les 65 millions d’inscrits sur Viadeo. LinkedIn est surtout privilégié par les grands comptes (un tiers des utilisateurs au sein d’entreprises ayant entre 1 000 et 10 000 salariés) alors que Viadeo est très présent chez les PME-PMI et les utilisateurs en recherche d’emploi.
L’idée de ce type de réseaux professionnels est d’offrir via un compte gratuit ou payant (premium) une offre de services, d’informations, de contacts, de profils, d’expérience, etc. Ils peuvent également proposer des réponses filtrées et classées correspondant aux recherches des utilisateurs professionnels – demandeurs ou offreurs – en toute efficacité et confidentialité.
L’eldorado de l’intelligence conversationnelle
Du côté du marché, ce mariage Microsoft-Linkedin annonce clairement que la hache de guerre est déterrée. La firme créée en 1975 à Albuquerque et dirigée par Sattya Nadela revient donc sur le devant de la scène. Elle annonce ainsi que l’intelligence conversationnelle (ou encore Conversation as a Platform) sera le prochain eldorado des postes de travail numériques. Elle ambitionne via ce mariage de se positionner en acteur majeur sur ce marché que les géants du numérique ne peuvent pas se permettre de laisser passer.
Les acquisitions récentes et spectaculaires des géants de l’Internet et de l’édition corroborent cette quête vers des écosystèmes au sein desquels les utilisateurs, grand public et/ou professionnels, seraient à la fois satisfaits de l’expérience de navigation proposée et captifs au sein des frontières suggérées.
Nous pouvons simplement citer par ordre chronologique les acquisitions spectaculaires de YouTube par Google (2006, 1,6 MDS USD), Skype par Microsoft (2011, 8,65 MDS USD), Instagram par Facebook (2012, 1MDS USD), WhatsApp par Facebook (2014, 19 MDS USD), Mojang par Microsoft (2014, 2,5 MDS USD) et enfin LinkedIn par Microsoft (2016, 26,2 MSD USD). Gageons que cette dernière acquisition – fortement couplée à celle de Wand Labs centrée sur l intelligence artificielle – permettra à Microsoft d’avoir une longueur d’avance dans les interfaces conversationnelles mises à disposition sur le lieu de travail.
Une revanche de Microsoft sur Apple
Le pari de Microsoft n’est-il pas de devenir la plateforme de référence pour l’utilisateur au travail ? Tout un écosystème permet déjà à ce dernier d’accéder aisément à l’intégralité des informations et des services auxquels il aspire tout simplement pour…travailler. Cette plateformisationde l’environnement numérique de travail, inéluctable et inquiétante par certains côtés (traçabilité, individualisation), est désormais bien intégrée par le géant de Redmond. Il est temps de cesser de fragmenter son offre pour communiquer au grand jour auprès des décideurs sur la plateforme incontournable qu’est devenue MS.
Il lui apparaît donc tout à fait logique de proposer aux utilisateurs en entreprise des outils pour aujourd’hui, des contacts pour demain et un job pour après-demain. Concrètement, il leur suffira pour mettre en musique leur expérience au travail via cette plateforme, d’utiliser à la fois les solutions Microsoft comme Dynamics ou Office 365 (contenu) et les réseaux Microsoft comme LinkedIn (contenant). De plus, ce terrain de l’entreprise, du business et des écosystèmes d’affaires est l’un des seuls sur lequel son meilleur ennemi, Apple, reste durablement et étonnamment en retrait.
Cette revanche de Microsoft sur Apple, après l’échec cuisant de WindowsPhone face à iOS et du Lumia sur l’iPhonedans la téléphonie mobile, constitue aussi l’une des satisfactions de la corbeille de la mariée.
Marc Bidan, Professeur des Universités, Management des Systèmes d’Information (MSI), Université de Nantes
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.