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Internet des objets : une dépendance aux métaux rares source de grande vulnérabilité

La Chine a pris le contrôle sur l’extraction des terres rares indispensables à la fabrication des appareils électroniques.
Humphery / Shutterstock

Karine Samuel, Université Grenoble Alpes et Thierry Baron, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Le 20 mars 2019, la Chine a annoncé mettre en place les premiers quotas sur la production de terres rares et de tungstène, ceci dans le but de freiner la dégradation de l’environnement inhérente à l’exploitation de ces minerais. Cette annonce, sans doute passée inaperçue aux yeux du plus grand nombre, annonce-t-elle la fin d’une ère pendant laquelle nous avons consommé sans compter les ressources minérales issues de la terre, sans penser que nous augmentions notre vulnérabilité ? Plus que jamais, ces questions deviennent centrales et s’imposent à tous les niveaux de décision, dès les phases les plus amont de la recherche.

Dans le secteur de la microélectronique, principal pourvoyeur d’objets connectés, la complexité technologique des composants s’est accrue au fil des années pour augmenter leur performance, et la variété des métaux assemblés se combine avec une augmentation rapide de la consommation d’objets connectés qui répondent aux enjeux de digitalisation de nos sociétés. Dans ce contexte, comment appréhender les risques qui pèsent sur les approvisionnements en matières minérales qui deviennent critiques ? Et comment caractériser et réduire la vulnérabilité des entreprises qui centrent leur développement sur la digitalisation de leurs activités, de leurs produits ?

Des enjeux peu intégrés

Plusieurs technologies se combinent pour développer les dispositifs qui soutiennent l’Internet des objets : logique, spintronique, capteurs, optoélectronique, mémoires, etc. Elles se déploient à partir de matériaux qui comptent parmi les plus rares au monde : tantale, platine, ruthénium, sont quelques exemples de métaux indispensables pour produire des capteurs ou des écrans. Avec d’autres métaux semi-nobles comme le nickel ou le cobalt, ces matières sont désormais communément qualifiées de critiques, au sens où elles sont devenues indispensables au développement des technologies numériques, mais surtout parce que leur disponibilité est incertaine.

Cette criticité commence à devenir un sujet de préoccupation majeure pour les entreprises, car les risques de rupture dans leurs supply chains (chaînes logistiques) s’accroissent. Cependant, ces enjeux sont encore peu intégrés dans les protocoles de recherche et développement coûteux et complexes qui sous-tendent la conception des objets connectés. Dans les laboratoires, les chercheurs en microélectronique orientent le plus souvent leurs travaux sur des dispositifs toujours plus performants, sans se soucier de la nature critique des éléments qu’ils utilisent.

Sans matériaux rares, pas d’objets connectés.
Goodluz/Shutterstock

Par exemple, pour de nombreux dispositifs optoélectroniques basés sur la famille des semi-conducteurs III-V, les substrats utilisés sont des matériaux à base de phosphure d’indium et d’arséniure de gallium, utilisés massivement pour leurs propriétés physiques. Ces métaux sont critiques par leur rareté géologique, en lien avec la durée de vie des réserves rentables qui montre qu’en cas de boom technologique, certaines matières viendront à manquer à très court terme.

Combinés à ces problématiques géologiques, la criticité s’exprime également par des enjeux géopolitiques. Les tensions actuelles entre États attisées par des mesures protectionnistes ont tendu les relations commerciales et font peser de sérieux risques sur la capacité à s’approvisionner en certaines matières.

Approches pluridisciplinaires

Preuve en est, la variation des cours de cobalt, matière centrale pour la fabrication des batteries. Coté au London Metal Exchange (LME), le prix du cobalt a triplé en 3 ans pour atteindre 95 000 dollars la tonne en mars 2018, pour ensuite chuter brutalement au début de l’année 2019 suite aux annonces d’Elon Musk d’une revue à la baisse du marché prévisionnel de la Tesla Model 3. Cet exemple montre à quel point la notion de criticité est volatile et dynamique et accroît la vulnérabilité des entreprises aux aléas.

De nombreux paramètres interviennent dans la mesure de la criticité mais les chercheurs ne convergent pas sur la méthode. La rareté des matières commence néanmoins à devenir un sujet connu qui préoccupe à la fois les États, les entreprises et les chercheurs. Dans le domaine de la nanoélectronique, les matériaux 2D (constitués d’une seule couche d’atomes ou de molécules) émergents sont de bons candidats pour remplacer les métaux nobles existants pour remplir une fonction spécifique dans divers appareils.

Les annonces du fondateur de Tesla, Elon Musk, ont fait plongé le cours du cobal en début d’année.
Lipik Stock Media/Shutterstock

Aux États-Unis et en France, des projets de recherche se développent afin d’accélérer la substitution de certains métaux. Cependant, ce sont les approches pluridisciplinaires qu’il est nécessaire d’impulser afin d’hybrider les problématiques inhérentes au développement des technologies et d’éclairer par les sciences sociales les enjeux qui portent sur les risques liés aux métaux critiques.

À Grenoble, un projet est particulièrement emblématique de cette démarche car il réunit une dizaine de laboratoires grenoblois en microélectronique, en gestion, en physique, en sociologie, et des industriels du secteur pour travailler sur le développement d’un Internet des objets plus durable (projet NEED for IoT). Les premiers résultats montrent qu’il est nécessaire de repenser la conception à chaque maillon de la chaîne de valeur pour développer l’agilité et la capacité des acteurs à s’adapter.

Concevoir de chaînes de valeur résilientes

Comme l’indique l’ouvrage du journaliste Guillaume Pitron paru en 2018 et largement récompensé, La guerre des métaux rares est déclarée. On peut alors s’interroger sur les alternatives possibles afin d’anticiper des ruptures d’approvisionnement qui semblent inéluctables dans un avenir proche. Paradoxalement, le progrès technologique est porteur d’une menace qui nous rend vulnérables, au sens où ce progrès n’est possible que lorsque la conception et le développement des objets connectés sont plus durables. La question est de savoir comment réduire cette vulnérabilité en anticipant les difficultés identifiées et construire la résilience des chaînes de valeur.

Développer une pensée plus durable auprès des chercheurs qui conçoivent les dispositifs est une première étape qui doit s’accompagner de méthodologies d’évaluation de la criticité des métaux, ainsi que d’outils permettant une meilleure anticipation des risques dès lors qu’ils sont caractérisés.

« Métaux rares : mensonges écologiques et stratégies de pouvoir », interview de Guillaume Pitron (Xerfi canal, mars 2018).

Une deuxième étape passe par la diversification des sources d’approvisionnement. Pour cela, il est nécessaire de recenser plus finement les ressources disponibles ainsi que leur géolocalisation, et de construire des réseaux et des alliances permettant d’exploiter durablement des mines dont les processus d’extraction, de séparation et de purification sont conformes aux normes internationales, et aux exigences en matière d’éthique. La transparence en matière d’approvisionnement est une nécessité afin d’éviter d’importer des matières ou des composants de pays où le dumping environnemental est légion.

Enfin, le recyclage des métaux critiques se présente comme une alternative possible dans la mesure où il permettrait de réutiliser les matériaux contenus dans les déchets de produits électroniques. Néanmoins, les processus de recyclage pour de nombreux métaux rares sont complexes et encore émergents, et les filières assurant la collecte et le retraitement des objets connectés sont peu viables, tant sur un plan économique que sur un plan environnemental, car les quantités d’eau et de produits chimiques nécessaires pour le retraitement sont inversement proportionnelles aux quantités récupérées.The Conversation

Karine Samuel, Professeur des Universités, Université Grenoble Alpes et Thierry Baron, Directeur de recherche, nanomatériaux, nanotechnologie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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