Le Festival du Cinéma Américain a décerné son Grand Prix à « Thunder Road », et rendu hommage à l’acteur Morgan Freeman.
Deauville, c’est ce festival où l’on entend les mouettes pendant les conférences de presse. Le chapiteau où défilent cinéastes, acteurs, actrices, est tout proche de l’immense plage de sable, coloriée par les célèbres parasols normands. Comme chaque année, quelques stars ont foulé les planches, pour inaugurer une cabine de plage à leur nom, dont Sarah Jessica Parker et Morgan Freeman.
Associer notre Renaud national à l’acteur américain, c’est possible : chargé de prononcer l’hommage décerné à Freeman par le 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, Vincent Lindon assurait que la France « est morgane » de Morgan. Le comédien français, que l’on pouvait croiser tranquillement une heure plus tôt sur les planches, faisait l’éloge de cet acteur « toujours juste, toujours aussi exigeant », dont « les personnages auraient pu être blancs ».
Ce serait oublier qu’il ne l’est pas. Ce vieil homme très digne, cheveux blancs et boucles d’oreilles, a une belle allure, la force tranquille d’un vieux sage, et la couleur de peau qu’il fallait pour incarner Malcolm X et Nelson Mandela, à qui il tenait la main « pour sentir son énergie ». Parmi ses 120 films, il fut aussi l’ami de Batman et de Robin des Bois, président des Etats-Unis (avant Obama), et même dieu (dans « Bruce Tout-puissant »), ainsi que le rappelait le critique Philippe Rouyer.
« Ceux dont je suis le plus fier sont Miss Daisy et le chauffeur, Les Evadés, Impitoyable, et Invictus », listait l’acteur, entre deux cris de mouettes. Et cet autre film de son ami Clint Eastwood, « Million Dollar Baby », qui lui valut un Oscar.
Questionné sur le monde « so white » du Festival de Deauville, Morgan Freeman répondait simplement : « Je suis là ! ». « Dans ma carrière, je n’ai jamais été affecté par le racisme, bien sûr le racisme existe, mais si vous regardez la télé, les films, c’est négligeable, sauf dans certaines parties de la vie américaine », estime-t-il.
« J’ai 81 ans, pendant ces trente dernières années, j’ai fait un incroyable voyage dans ma vie avec des hauts et des bas, et ceci est vraiment un haut pour moi », disait-il, à propos de l’hommage de Deauville, prononçant ses remerciements en français. Le premier film français qu’il ait vu : « Les 400 coups » de François Truffaut ; « Cette histoire d’un petit garçon de neuf ans m’avait touché au coeur », dit-il. La plus belle journée de sa vie : une visite au Musée d’Orsay, à Paris.
Une autre visite bouleversante : les plages du Débarquement, et marcher parmi les croix blanches des cimetières américains en Normandie. « J’étais enfant, mais j’ai vécu ces moments-là, je savais ce qui s’était passé là-bas et j’ai réalisé le prix qu’ils ont payé pour la liberté », dit Morgan Freeman, l’homme libre, qui n’en fait pas une affaire : « C’est juste mon nom », soupire-t-il.
Producteur d’un documentaire en Bosnie (« Quand on va dans un pays comme ça, on se rend compte combien les êtres humains peuvent être violents les uns envers les autres », a-t-il constaté), d’une série documentaire religieuse (« Où est la vérité ? », se questionne-t-il), l’acteur américain fait son miel : « Je suis aussi préoccupé par la sauvegarde des abeilles que par celle des arbres ». Ses films ont rapporté plus de 4 milliards de dollars, Forbes le choisit pour la « personnalité la plus digne de confiance », mais Morgan Freeman n’a rien à dire à Donald Trump, et modère le souvenir qu’on gardera de lui : « J’espère juste qu’on dira que j’étais plutôt un bon acteur, et quelqu’un de sympa ».
« Parce que Sarah Jessica Parker »
Morgane de Morgan. Et serré par Sarah. Sarah Jessica Parker incarne une femme qui va mourir dans le premier film du réalisateur français Fabien Constant, « Here and now ». L’errance à New York d’une chanteuse, Vivienne, qui apprend qu’elle a une saloperie dans le crâne, et n’arrive pas à en parler à ses proches, son manager, son batteur et amant, sa mère (jouée par Jacqueline Bisset), sa fille, son ex-mari… Quelques larmes viennent mouiller les beaux yeux bleus de l’actrice, présente dans tous les plans du film.
Sous le chapiteau de Deauville, elle a ce même regard, plus magnétique que son décolleté, qu’aurait très bien assumé Carrie Bradshaw, son personnage dans la série « Sex and the City », qui a fait sa célébrité. « C’est un privilège d’être associée à un rôle que j’aime, c’est un personnage que j’ai interprété pendant tant d’années, je sais que cette série a eu beaucoup d’importance pour beaucoup de gens. Mais ce rôle m’a aussi donné l’opportunité d’en interprété d’autres », assure SJP (marque déposée, chaussures, sacs, accessoires…).
Finies les frasques sentimentales de Carrie et ses copines, Sarah recherche « du nouveau » : « Je suis actrice depuis l’âge de huit ans, et j’ai toujours été intéressée par des rôles qui sont des défis, j’ai un grand désir de faire autre chose ». Dont ce drame raconté dans « Here and now ». Pourquoi elle ? « Parce que Sarah Jessica Parker », dit tout simplement le réalisateur, « C’est un projet que nous avons eu ensemble, c’est un portrait de femme et un portrait de ville dans le monde moderne ; et quand on pense à New York, on pense rapidement à Sarah Jessica Parker ».
« Je n’ai pas de ressemblance avec Vivienne, mais je la connais », dit l’actrice, « Si on voit de plus en plus de films sur la place des femmes dans la société, ce serait assez logique, et je serais ravie qu’on remette le rôle de la femme là où il doit être, c’est-à-dire au même niveau que les hommes ». La question people sera pour son homme justement, l’acteur Matthew Broderick, avec qui elle est mariée depuis 1997. « Le secret d’un heureux et long mariage, c’est probablement de ne pas en parler, en tout cas en public », répond la fille aux yeux bleus.
Shailene Woodley, le Nouvel Hollywood
Dans la catégorie Nouvel Hollywood, le Festival de Deauville a honoré Shailene Woodley ; c’est le réalisateur français Cédric Kahn qui s’y est collé, vantant ses qualités : « générosité, humanité, passion ». Ce qu’elle a démontré dans un formidable discours, on aurait ajouté charme et élégance. « Je fais ce métier depuis vingt-deux ans, j’ai commencé quand j’avais cinq ans, et quand je regarde d’où je viens, je pense à toutes les personnes qui m’ont aidé dans ma carrière, et ça me touche beaucoup », déclarait l’actrice, repérée ado dans « The Descendants » avec George Clooney, et depuis héroïne de la série de films « Divergente » et de la série télé « Big Little Lies ».
Son dernier rôle, une naufragée, seule à bord d’un voilier, en plein Pacifique, dans « A la dérive », réalisé par Baltasar Kormakur. Shailene apprend le français : son boyfriend est le rugbyman fidjien Ben Volavola, qui joue au Racing 92. « Dans cette époque de chaos, le cinéma est un lieu où l’on peut se retrouver ensemble pour ressentir des choses », dit la jeune actrice. Rejointe en cela par Debra Granik, la réalisatrice de « Leave no trace » (sortie le 19 septembre). « Le streaming a tout changé, se déplacer au cinéma pour voir un film devient de plus en plus du domaine du fantasme », a-t-elle constaté, mais elle a aussi vu l’émergence de lieux où l’ont peut encore voir des films, et en parler ensuite.
« Thunder Road », drôles de funérailles
« OK pour rire, OK pour pleurer », disait Jim Cummings avant la projection de son film « Thunder Road » (sortie ce mercredi 12 septembre), film qu’il a écrit, réalisé et interprété le rôle principal. Le jury de ce 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville, présidé par l’actrice Sandrine Kiberlain, a aimé rire et pleurer puisqu’il lui a décerné son Grand Prix.
Produits par le cinéma américain indépendant, les films en compétition montrent souvent une vision peu réjouissante de l’Amérique, bavures policières, pauvreté, drogue, prison, meurtres, inceste, peine de mort… Le début de « Thunder Road » n’est pas forcément plus gai, puisque le film s’ouvre sur un cérémonie funèbre, mais dès cette longue séquence incroyable, déjà on rit et on pleure.
Un grand benêt de fils, flic à moustache, veut rendre un dernier hommage à sa mère, et faire écouter à l’auditoire « Thunder Road », superbe chanson de Bruce Springsteen, la préférée de feue sa maman. Finalement, il la mime dans une danse ridicule, et l’oraison funèbre est aussi drôle que pathétique. « C’est vraiment la chanson préférée de ma mère, je l’ai entendue à la radio et ça m’a fait pleurer ; en pensant aux paroles, je me suis dit qu’il y avait de la matière pour un film », racontait Jim Cummings, lors de la conférence de presse.
« Je ne sais pas d’où vient ce gars, c’est une version triste, pathétique de moi-même, si j’avais tout raté, ma vie serait peut-être devenue celle de ce Jimmy », dit-il, « C’est un personnage qui expérimente le deuil et qui a du mal à se rapprocher des autres ». « Je vais bien », assure le flic perdu, qui vient d’enterrer sa mère, pète les plombs au boulot, dont l’ex-compagne demande le divorce et la garde de leur fille… « En fait, ça ne va pas si bien que ça », convient-il enfin.
« J’aime beaucoup les films de Pixar, qui mélangent le rire et le drame », précise Jim Cummings, « Si je pleure lorsque j’écris, alors je me dis que ça fonctionne ». Le réalisateur évoque une certaine Amérique, la même que chante Springsteen, le quotidien d’une petite ville du New Jersey qu’il faut quitter pour espérer une autre vie. « Je n’étais personne », assurait Cummings, inconnu de l’industrie cinématographique, mais désormais Grand Prix à Deauville.
« Thunder Road » est aussi le titre d’un film d’Arthur Ripley (sorti en 1958) ; le hasard du cinéma faisant bien les choses, un court extrait de celui-ci figure dans le formidable documentaire de Bruce Weber présenté au Festival, « Nice girls don’t stay for breakfast », consacré à l’acteur Robert Mitchum. Avant sa projection en un bel après-midi ensoleillé, le réalisateur avait remercié les spectateurs d’être dans une salle obscure plutôt qu’allongés sur la plage toute proche.
Patrick TARDIT
Palmarès
– Grand Prix : « Thunder Road » de Jim Cummings
– Prix du Jury : « Night comes on » de Jordana Spiro et « American Animals » de Bart Layton
– Prix de la Révélation : « We the animals » de Jeremiah Zagar
– Prix de la Critique : « Blindspotting » de Carlos Lopez Estrada
– Prix du Public : « Puzzle » de Marc Turtletaub »
– Prix Littéraire : John Grisham pour « Le cas Fitzgerald »
– Prix d’Ornano-Valenti : « Les chatouilles » d’Andréa Bescond et Eric Métayer
– Prix du 44ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : « Les Frères Sisters » de Jacques Audiard