Un droit fondamental trop peu respecté.Alors qu’une formation supérieure accélérerait leur intégration, seuls 1 % des réfugiés en âge d’étudier accèdent à l’université. En Europe, revue des écueils majeurs et de quelques solutions.
Alessia Lefébure, École des hautes études en santé publique (EHESP) – USPC
Partout dans le monde, le taux d’accès à l’université progresse. D’un niveau global moyen de 36 %, il s’élève jusqu’à 76 % dans des régions comme l’Europe et l’Amérique du Nord. Un mouvement dont les réfugiés restent à l’écart. Sur les 65 millions de réfugiés recensés dans le monde en 2018, 61 % sont des jeunes. Mais seuls 1 % d’entre eux sont inscrits dans l’enseignement supérieur. Au Royaume-Uni, le « Higher Education Policy Institute » (HEPI) a mis en évidence l’ampleur de cette différence entre les réfugiés et le reste de la population. Globalement, si l’on se réfère au rapport de l’Unesco de 2016, la condition de réfugié réduit par cinq les chances d’être scolarisé.
Pourtant, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose que « l’accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite » (Article 26.1). Pour faciliter l’exercice par les réfugiés de ce droit fondamental, les pays européens ont ratifié en 1997 un texte conjoint du Conseil de l’Europe et de l’Unesco, dit « Convention de Lisbonne », spécifiquement consacré à « la reconnaissance des qualifications relatives à l’enseignement supérieur dans la région européenne », invitant les cinquante-trois pays qui l’ont ratifiée à prendre
« toutes les mesures possibles et raisonnables […], pour élaborer des procédures appropriées permettant d’évaluer équitablement et efficacement si les réfugiés, les personnes déplacées et les personnes assimilées aux réfugiés remplissent les conditions requises pour l’accès à l’enseignement supérieur, la poursuite de programmes d’enseignement supérieur complémentaires ou l’exercice d’une activité professionnelle et ce même lorsque les qualifications obtenues dans l’une des Parties ne peuvent être prouvées par des documents les attestant ». (Section VII, Art. VII)
En dépit de ces engagements, les dispositifs juridiques et réglementaires des différents pays échouent à garantir ce droit à la formation, ralentissant d’autant l’intégration au marché du travail des réfugiés et demandeurs d’asile.
Des obstacles matériels
De fait, les membres de l’Union européenne se trouvent dans une situation paradoxale. À l’heure où les établissements, sous la pression des classements mondiaux et de l’hégémonie du modèle anglo-américain, multiplient les efforts pour recruter davantage d’étudiants internationaux, l’espace européen continue de générer des barrières pour cette catégorie particulière d’étudiants internationaux potentiels que sont les réfugiés.
Alors que la plupart des études économiques soulignent l’impact positif des migrants sur la croissance des pays d’accueil et d’origine, il y aurait donc un intérêt fort à lever ces obstacles. D’autant que les lenteurs, notamment l’allongement du traitement de la demande d’asile, créent un découragement psychologique et freinent les possibilités d’intégration socio-économique future.
Parmi les obstacles les plus visibles figurent le niveau linguistique et les moyens financiers. Outre un bon niveau général de compréhension et d’expression, l’accès à l’enseignement supérieur suppose aussi la maîtrise des codes administratif et académique, ainsi que diverses épreuves d’évaluation. Les coûts liés à ces tests s’ajoutent aux frais de scolarité et d’inscription, variables selon le pays. Des agences d’État comme le DAAD allemand ou le Nuffic néerlandais, des fondations privées et diverses organisations à but non lucratif ont constitué des fonds de bourses dédiés. Cependant, beaucoup de réfugiés ne disposent pas du budget nécessaire pour couvrir ne serait-ce que les frais de leur vie quotidienne pendant la durée des études.
Les lacunes liées aux dispositifs d’information, d’orientation et de conseil constituent également une entrave. Comprendre le système d’enseignement du pays d’accueil implique de se familiariser avec les critères d’évaluation et de notation, les systèmes d’aide au transport et autres aspects de la vie étudiante. Enfin, il faut compter avec les discriminations liées aux perceptions que les ressortissants du pays d’accueil ont du phénomène migratoire, comme l’indique le Réseau européen contre le racisme (ENAR).
Des problèmes d’équivalences
Au cours la dernière décennie, de nombreux programmes ont tenté de lever ces obstacles. La « Refugees Welcome Map », carte interactive créée par l’association des universités européennes (EUA), s’efforce de recenser, documenter et actualiser l’ensemble des initiatives. Alimentée par les établissements, elle rassemble plus de 250 initiatives dans 31 pays et a servi de modèle pour de nombreuses autres cartes aujourd’hui proposées par des associations et collectivités locales.
Pour faciliter la transition des réfugiés vers le système universitaire du pays d’accueil, des plates-formes numériques et des programmes hybrides, comme les « LearningLabs InZone » de l’Université de Genève, l’initiative « Coursera for Refugees » ou le projet Jamiya » de l’Université de Göteborg (initialement conçus pour les camps de réfugiés du continent africain et de Jordanie) ont été redéployées et adaptées, permettant d’offrir des formations linguistiques et un accompagnement individualisé.
Fondée à Berlin en mars 2015, la start-up Kiron Open Higher Education a contribué à une meilleure articulation entre ces formations de première instance et les formations diplômantes européennes. Sa force : un réseau de partenariats avec les établissements les plus prestigieux, les ONG et les plus grands fournisseurs internationaux de MOOCs.
Si ces organismes, maîtrisant la complexité juridique de la situation des réfugiés, sont essentiels pour assurer un accompagnement individuel, la difficulté principale réside aujourd’hui dans la reconnaissance inefficace et incomplète des crédits et des qualifications, en particulier en l’absence de preuves officielles. Cette reconnaissance est pourtant prévue par la Convention de Lisbonne, mais elle se heurte à l’hétérogénéité des pratiques et des moyens à l’intérieur de la zone européenne.
Un manque de coordination
Le réseau européen des centres d’information nationaux pour l’éducation (ENIC-NARIC) est chargé de coordonner la mise en place d’un « Passeport européen de qualifications ». Spécialement développé pour les réfugiés qui n’ont pas de documents originaux prouvant leur diplôme, ce papier devrait permettre d’obtenir une vérification certifiée des compétences linguistiques, professionnelles et académiques. Sa délivrance reposerait sur un processus d’entretiens et la prise en compte d’un large éventail de preuves et d’auto-évaluations. Si les centres de pays comme l’Allemagne (Base ANABIN), le Royaume-Uni (NARIN) et la Norvège (NOKUT) ont réussi à définir des procédures claires pour cette évaluation certifiée, le dispositif reste en large partie inopérant dans la plupart des pays.
Sur le terrain, une multiplicité d’acteurs se sont mobilisés. En France ces interventions, souvent non coordonnées entre elles, ont été avant tout portées par les établissements d’enseignement supérieur, généralement à l’initiative de collectifs d’étudiants bénévoles. Si elles jouent un rôle majeur dans l’intégration des réfugiés au niveau local, aucune n’a encore fait l’objet de véritable étude d’impact permettant le transfert de connaissances et l’adoption à large échelle.
Plus qu’un objectif en soi, l’accès à l’enseignement supérieur reste une première étape vers l’intégration socio-économique et l’autonomisation des migrants. Ces enjeux politiques et économiques majeurs nécessitent une plus forte participation des bénéficiaires dans l’évaluation et le suivi des interventions et de leur impact.
Alessia Lefébure, Directrice des études de l’EHESP, École des hautes études en santé publique (EHESP) – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.