Gil Delannoi, Sciences Po – USPC
Le président Hollande a-t-il trouvé la voie du référendum ou est-ce le référendum qui a retrouvé le président ? La question est d’actualité depuis l’annonce du référendum local (ou régional) sur la construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, convoqué pour le 26 juin 2016. Elle émerge après quatre années de mandat sans usage du référendum. Elle se pose surtout compte tenu du refus catégorique d’utiliser le référendum, manifesté jusqu’à lors par le chef de l’État.
Peu de temps avant l’élection présidentielle de 2012, l’auteur de ces lignes a ainsi entendu le futur président, lors de la réunion semi-publique d’un groupe de réflexion, annoncer qu’il ne ferait « pas de référendum ». Cette promesse très négative n’aura donc pas été tenue jusqu’à la fin du mandat. Ce non-programme ne sera toutefois modifié que partiellement et timidement. Le Président se sert du référendum mais indirectement, localement, et davantage pour sortir d’une impasse que pour frapper un grand coup.
Quelle raison à ce renversement ? Pour la comprendre, il faut commencer par éclairer l’anomalie d’un Président renonçant délibérément à une des prérogatives de l’exécutif.
Quand les « gens » votent…
François Hollande a été marqué par les deux référendums sur l’Union européenne : celui de septembre 1992 qui avait approuvé le Traité de Maastricht avec une assez faible marge ; puis celui de mai 2005, quand la proportion s’était inversée. Les Français refusèrent la supposée « Constitution européenne ». Or François Hollande a été marqué non seulement par l’échec électoral, mais par la division du Parti socialiste.
Il n’en a pas tiré la conclusion que les référendums sur le devenir de l’Union européenne étaient des cas particuliers. Au contraire, pensant peut-être aussi au départ du général de Gaulle en 1969, il a dit et répété (ces propos m’ont été rapportés et furent évoqués par la presse) que dans les référendums les votants, « les gens », ne répondaient pas à la question posée. Le référendum se transformerait inéluctablement en vote de confiance ou de défiance envers le gouvernement et le président.
Cette critique serait plausible de la part d’un observateur. Chez un dirigeant, une telle attitude est plus difficile à comprendre car, au fait, qui pose la question ? Les gens n’y répondent pas ? En fait, cela dépend des cas. Et quand c’est le cas, il est légitime d’en faire porter la responsabilité à celui, à ceux qui, justement, posent la question.
Plébiscite, consentement et manipulation
La réticence de François Hollande condamne, avec quelques arguments, un certain usage du référendum dans un certain type de régime présidentiel ou parlementaire. Elle ne s’applique nullement au référendum en tant que tel, en général. Dès son élection, François Hollande aurait pu, d’ailleurs, avoir l’ambition de rompre avec les mauvaises habitudes de ses prédécesseurs. Il a préféré persister dans son refus et interdire tout recours au référendum à ses premiers ministres.
Trois usages du référendum sont discutables. On les a vus à l’œuvre depuis 1958. Il y a d’abord le référendum plébiscitaire, façon de Gaulle. Il s’agit d’une procédure qui impose une loi sous la menace de la démission du président. Une sorte de 49-3 référendaire, à quitte ou double. Au moins la démission immédiate de 1969 laissa-t-elle percevoir un sens de la responsabilité politique dans le comportement du « grand homme ».
Il y a ensuite le référendum de consentement. On doit dire « oui » ou « non », un point c’est tout. Signer ce qu’on a préparé pour vous. Rien à voir avec la démocratie directe. Ce référendum, qu’on ne sort de l’armoire constitutionnelle que dans les occasions les plus solennelles, est une force d’appoint exceptionnelle dans une démocratie très indirecte et très déléguée.
Puis il y a le référendum de convenance et de manipulation. Il sert moins à poser la question, par exemple, qu’à diviser l’opposition, à enfumer l’arène partisane. Sous cet aspect il fut réussi de justesse par Mitterrand en 1992 et raté par Chirac en 2005. Avec suffisamment de maladresse pour traumatiser François Hollande, semble-t-il.
À question sérieuse réponse sérieuse
Dans tous ces usages-là, le référendum est une procédure extraordinaire, exceptionnelle, inhabituelle. Ces trois aspects sont pourtant contraires à l’esprit du référendum s’il doit être pris au sérieux comme instrument de démocratie directe.
Un référendum (et sur ce point Hollande a raison) doit poser sérieusement une question à laquelle on donnera sérieusement une réponse qui sera appliquée dans le cadre de la loi et dans les limites des principes constitutionnels. Pour ce faire, il existe des méthodes diverses : utiliser aussi le référendum avant le vote d’une loi par le Parlement ; proposer des options, deux, voire même trois. Après la loi, demander « oui », « non », voire ouvrir une option de retour devant le législateur.
Paradoxalement la surprise du référendum de Notre-Dame des Landes, indique que cette voie existe – même si, pour le moment, il ne s’agit que d’un référendum par défaut, faute de mieux, et improvisé.
Deux interprétations restent possibles. Ou bien François Hollande redécouvre le référendum, abandonne certaines mauvaises raisons de le refuser et il est facile alors d’utiliser les détails de procédure qui permettent de surmonter l’objection du président Hollande (on ne répond pas à la question). Ou bien ce n’est encore qu’une ultime feinte pour sortir d’une l’impasse politique, pour faire taire les deux partis pro/anti aéroport au sein de la gauche et pour débloquer sur le terrain une situation quasi insurrectionnelle.
Le référendum convoqué le 26 juin dans le département de la Loire-Atlantique est assurément une surprise. En la matière, est-ce mieux que rien ? Pire que tout ? Pour le savoir, attendons les détails de la procédure, le résultat du vote et ses conséquences politiques.
Gil Delannoi, , Sciences Po – USPC
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.