« C’est une proposition de cinéma iconoclaste », confie le réalisateur Pascal Laugier, récompensé par trois Prix au Festival de Gérardmer.
Grand Prix, Prix du Public, Prix SyFy : ce sont trois récompenses qui ont été décernées à « Ghostland », un film de Pascal Laugier (sortie le 14 mars), au Festival international du film fantastique de Gérardmer. Une histoire bien flippante, mêlant l’angoisse, la terreur, la folie. Celle de deux sœurs et de leur mère (jouée par Mylène Farmer), qui s’installent dans une vieille maison familiale, encombrée d’objets et de vieux jouets.
Dans ce conte très cruel, les sœurs vont s’unir pour échapper à deux tueurs psychopathes, « une sorcière et un ogre », qui veulent « seulement jouer à la poupée ». Tout comme Pascal Laugier joue avec les spectateurs, en les entrainant sur des fausses pistes, entre cauchemar et dure réalité. « C’est un film à énigmes, un suspense, le film est très violent et très noir, il faut un certain temps avant de comprendre de quoi il retourne », précise le cinéaste. « Le film est tellement singulier, c’est un film d’horreur avec des comédiennes américaines et Mylène Farmer, tourné en anglais, avec ce scénario-là, c’est une proposition de cinéma un peu iconoclaste », admet Pascal Laugier, rencontré à Gérardmer. Interview.
« Il n’y a pas d’industrie du cinéma fantastique français »
Avant « Ghostland », vous avez tourné « Saint Ange », « Martyrs », « The Secret », d’où vient votre attrait pour le cinéma de genre ?
Pascal Laugier : C’est une expression que je refuse absolument, je ne vois pas ce qu’on veut dire par là, la comédie française est un genre, le film historique est un genre, tout est genre. On nous met dans des ghettos, alors qu’il n’y a aucune raison, je suis soumis au même questionnement que n’importe quel metteur en scène, peu importe le genre. A quinze ans, je savais que je voulais être cinéaste et que mon cinéma serait celui-là, c’est de l’ordre de la vocation. Après, pourquoi on aime ce type d’histoires-là, c’est impossible à répondre. Comme en plus je suis Français, j’ai grandi dans un pays qui déteste ça, on est soumis en France à un certain dogme idéologique sur ce que doit être ou pas le cinéma français, et notamment son réalisme, son naturalisme, des choses que j’ai toujours refusées. Ma vocation naturelle à faire ça a été renforcée par le fait qu’il y a eu tellement d’obstacles, que ça m’a donné une colère rageuse à le faire.
On dit que le cinéma français n’aime pas le fantastique, pourtant chaque année on découvre des films français au Festival de Gérardmer…
Il y en a toujours eu, de Franju à Cocteau, ce sont de merveilleuses exceptions. Il n’y a pas d’industrie du cinéma fantastique français, sur deux cents et quelques longs-métrages français chaque année, il y a quatre-vingts comédies. Depuis que j’ai commencé, ça fait quinze ans que j’entends parler du débat du cinéma de genre français, mais en terme de financement absolument rien n’a changé. Chaque film est un miracle, c’est un prototype orphelin, qui n’invente pas une manière d’en produire d’autres à échelle industrielle.
Revenons à « Ghostland », pourquoi avoir confié le rôle de la mère à Mylène Farmer ?
C’est une envie commune de faire le film ensemble. En fait, je ne la connaissais pas, elle a débarqué dans ma vie par surprise, elle connaissait mes films et elle avait très envie que je réalise son nouveau clip ; elle m’a appelé, j’étais absolument stupéfait, elle ne savait pas que je l’aimais beaucoup donc évidemment j’ai dit oui avec enthousiasme. Et l’aventure sur son clip (City of love) a été tellement passionnante, j’ai tellement aimé la filmer, j’ai tellement aimé cette femme, que petit à petit on est passés du clip au long-métrage, le scénario était déjà écrit, j’étais en préparation, mais je n’avais toujours pas d’actrice pour jouer le rôle de la mère. Elle a dit un grand oui, j’ai réécrit très vite pour que le personnage soit d’origine française, ça s’est fait de manière très naturelle, il n’y a pas eu de stratégie, c’était plutôt risqué, plus pour elle que pour moi.
Vous lui donnez une scène d’action d’anthologie, qui lui a valu des applaudissements au Festival de Gérardmer…
Mylène s’amusait beaucoup sur le plateau, c’est quelqu’un qui adore l’horreur, tout son trajet le montre, ce n’est pas une posture, c’est quelqu’un qui aime vraiment ça et qui est très à l’aise dans ces trucs-là, elle a parfaitement compris le scénario.
« C’est un genre très féministe »
Dans ce film, vous faites encore beaucoup pleurer les filles, qui sont d’abord des victimes avant de se défendre, c’est une règle du genre ?
Si je faisais des westerns, je filmerais des garçons avec des chapeaux et des chevaux. Dans les films d’horreur, c’est difficile de ne pas avoir quelqu’un qui souffre, et filmer des belles filles qui souffrent je trouve ça plus agréable que de filmer des barbus. Historiquement, le cinéma fantastique est un genre très féministe, qui propose des portraits de femmes dans leur complexité, il y a de très beaux personnages de femmes à travers le cinéma d’horreur, depuis le début. Je ne crois pas du tout que c’est un genre qui ait cantonné les femmes dans un rôle de victime ; être menacées, oui évidemment, comme chez Hitchcock, c’est un ressort dramatique qui fonctionne assez bien, mais ma fascination pour les femmes est aussi venue de ces portraits, de Mia Farrow dans « Rosemary’s Baby », Catherine Deneuve dans « Répulsion » de Polanski, Isabelle Adjani dans « Possession » de Zulawski, ce sont des choses qui m’ont vraiment donner envie de faire des films.
D’où vous vient l’inspiration, le choix de vos sujets ?
Je parle toujours un peu de moi, de manière très émotionnelle, ce film-là parle beaucoup des rapports que j’ai eus dans mon enfance avec mon frère aîné. Je savais qu’un jour ou l’autre je ferai un film là-dessus, jusqu’à ce que je trouve l’idée qui permette d’incarner cette intuition et d’en faire un récit, puis un film. C’est un processus très mystérieux, j’ai besoin de temps. La seule chose que je demande à un film, c’est de me permettre de faire le suivant. Et puis un jour, on a fait douze films, et ça fait une vie, j’ai mené ma vie, j’ai fait à peu près ce que j’avais à faire.
Propos recueillis par Patrick TARDIT
« Ghostland », un film de Pascal Laugier (sortie le 14 mars).
Soyons heureux, « Avant que nous disparaissions »
Le film de Kiyoshi Kurosawa était également sélectionné au Festival de Gérardmer.
Egalement présenté (hors compétition) au Festival de Gérardmer, « Avant que nous disparaissions » sort aussi ce mercredi 14 mars. Le cinéaste japonais Kiyoshi Kurosawa (auquel le festival vosgien avait rendu hommage en 2017), à qui l’on doit notamment « Tokyo Sonata », « Vers l’autre rive », « Le secret de la chambre noire » (tourné en France)…, a cette fois adapté une pièce de théâtre, une parodie des films de science-fiction des années 50, du temps de la Guerre froide.
Kurosawa ne fait pas dans la parodie mais dans le mélodrame avec ce récit pré-apocalyptique. Une fin du monde imminente, une future invasion de notre planète, et les envahisseurs sont bien des aliens mais pas des monstres : les extra-terrestres prennent apparence humaine en se téléportant dans le corps de Terriens. En posant un doigt sur le front, ils dérobent les concepts humains qui leurs sont étrangers.
Celui de l’amour, par exemple, qui va pourtant subsister entre une épouse, prête à quitter son mari infidèle, et l’être qui vit désormais à l’intérieur de celui-ci ; un « étranger » venu d’ailleurs qui va s’humaniser progressivement. Kurosawa évoque ainsi des concepts très humains, la mélancolie, la fatalité, et le malaise de la société moderne. Avec une morale qui pourrait s’inspirer de Pierre Desproges : « Vivons heureux en attendant la mort ».
P.T.
« Avant que nous disparaissions », un film de Kiyoshi Kurosawa (sortie le mercredi 14 mars).