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Pourquoi les Vikings nous fascinent-ils autant ?

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Ragnar Lothbrok, tel qu’il est représenté dans la série « Vikings ».
Mythologian net

Alban Gautier, Université de Caen Normandie

Depuis un peu plus d’une décennie, les Vikings sont partout. Dans une série télévisée à gros budget (Vikings, depuis 2013) et quelques autres un peu moins spectaculaires (The Last Kingdom, depuis 2015), des romans populaires (Bernard Cornwell, The Saxon Chronicles, depuis 2004), des jeux vidéo (Viking : Battle for Asgard, 2008), des mangas (Vinland Saga, depuis 2005), des ouvrages pseudo-historiques et parfois un brin complotistes (Joël Supéry, La Saga des Vikings, 2018), toute une scène musicale (le « Viking metal »)… La plupart des supports d’une certaine culture de masse contemporaine accordent une place de choix à ces fameux pirates scandinaves qui ont écumé les mers et les fleuves de l’Europe entre le VIIIe et le XIe siècle. On lira d’ailleurs une excellente introduction sur les Vikings, vivante et à jour, dans le livre d’Anders Winroth, Au temps des Vikings, dont j’ai eu le plaisir et l’honneur d’écrire la préface.

« Rising to Asgärd », du « Viking metal ».

Des hypervirils qui bataillent sans chichis

Ces Vikings sont le plus souvent représentés comme des personnages hypervirils, barbus et chevelus en diable, exhibant des pectoraux avantageux ornés de tatouages que cachent à peine d’incroyables peaux de bêtes. Pour bien montrer qu’on ne la leur fait pas, scénaristes et costumiers prennent soin de ne plus les affubler de ces improbables casques à cornes qui ne les ont identifiés dans l’imagerie populaire qu’à partir des années 1870.

Mais en dehors de cela, tous les clichés et les poncifs sont permis, qu’ils se fondent ou non sur le discours des sources médiévales : cruauté, brutalité, ruse, cupidité, hostilité farouche à la religion chrétienne, cris de guerre effrayants, sacrifices humains…

Le roi Rollon (Rollo) dans la série Vikings.
MCETV

Mais s’il est vrai qu’on les regarde pour se faire un peu peur et pour se persuader que l’on n’est pas, comme eux, des barbares et des sauvages, force est de reconnaître qu’on les admire aussi, ces Vikings : ils sont capables de franchir les mers sur leurs navires si rapides et si bien construits (que les connaisseurs se gardent bien d’appeler drakkars, terme parfaitement anachronique, inconnu avant le milieu du XIXe siècle si l’on se fie au Dictionnaire historique de la langue française) ; ils découvrent l’Amérique cinq siècles avant Christophe Colomb ; ils sont malins, intelligents, bons commerçants (même s’ils vendent, entre autres, des êtres humains), grands conquérants ; leurs dieux exigent peut-être des sacrifices sanglants, mais ils ne sont pas aussi obtus, intolérants et pleutres que les rois, les évêques et les moines chrétiens abondamment caricaturés dans ces mêmes productions ; ils sont courageux, aguerris et endurcis par leurs rudes conditions de vie. Et surtout, ils se battent bien, sans chichis, à la loyale. Entre identification et rejet, la fascination est à double tranchant.

Une mode révélatrice de notre époque

Sociologues, politologues, psychanalystes et médialogues auraient sans doute bien des choses à dire sur ce que cette mode ambivalente autour la figure du Viking peut révéler de notre époque. Ils parleraient par exemple de l’angoisse ressentie par certains de nos contemporains face aux transformations de la masculinité et des rapports entre les sexes, et ils analyseraient l’érotisation trouble de ces guerriers (et, bien souvent, de ces guerrières) court vêtus.

Ils aborderaient la question des usages politiques qu’on fait aujourd’hui de ces hommes du Nord, en particulier à l’extrême droite, mais aussi dans certains milieux écologistes radicaux attirés par d’autres formes de néo-paganisme.

Ils signaleraient l’influence généralisée, du Japon au Brésil, de la culture anglophone, dont les sources se situent dans des îles du nord-ouest de l’Europe dont, précisément, l’histoire a été fortement marquée par leur présence. Ils pourraient enfin s’attarder sur l’omniprésence, à l’âge d’Internet, de la culture geek, du genre polymorphe de la fantasy, et de tous les codes qui leur sont associés, en Scandinavie comme dans le reste du monde. Tout cela serait vrai, et sans doute passionnant.

Une fascination très ancienne

L’historien que je suis se contentera cependant de noter que cette double image et ce double usage du Viking, à la fois repoussoir et modèle, ne sont pas vraiment nouveaux. On peut en effet l’observer tout au long de l’époque moderne et contemporaine.

En France, la figure du Viking a connu des hauts et des bas, avec des périodes d’enthousiasme – comme aux environs de 1911, lors du « millénaire de la Normandie », où se multiplient les images publicitaires de Vikings vendant du camembert ou des billets de train pour Deauville – et des moments de relatif désintérêt – comme au début du XIXe siècle, où l’on a beaucoup regardé du côté de Rome avant de se passionner pour les Celtes.

Festivités du Millénaire de la Normandie en 1911, à Rouen. Ici, le drakkar de Rollon.
normanring forum

Dans l’Angleterre victorienne, les hommes du Nord ont été également admirés et rejetés. Païens, barbares et pillards, ils étaient les terribles envahisseurs d’une île-sanctuaire que les flots (une fois n’est pas coutume) n’avaient pas pu protéger. Mais on les voyait aussi comme ceux qui, par leur savoir-faire maritime et par leur violence même, avaient entraîné des réactions salutaires chez des rois anglo-saxons comme Alfred le Grand (871-899), le héros absolu des manuels d’histoire victoriens puisqu’on le présentait alors comme rien moins que le fondateur de la Royal Navy, de l’Université d’Oxford et de la littérature anglaise. À travers lui et comme en retour de leur brutalité, les Vikings auraient donc contribué à fonder la puissance maritime sur laquelle l’Empire britannique se construirait un jour. Enfin, les milieux libéraux (ou whigs) évoquaient avec complaisance leur sédentarisation pacifique dans l’île et leur contribution décisive à l’esprit égalitaire, démocratique et indépendant qu’ils prêtaient au peuple anglais.

Aux États-Unis enfin, les Vikings ont été populaires parmi les descendants des émigrants scandinaves, qui furent nombreux à gagner le Nouveau Monde dans les dernières décennies du XIXe siècle (voir par exemple, pour le cas de la Suède qui a fourni les plus gros contingents d’émigrants. Entre 1880 et 1950, on se mit à découvrir sur tout le territoire de l’Union un nombre significatif de stèles runiques, monnaies et autres objets de facture viking, et même une carte ancienne portant la mention du « Vinland » : tous ces objets prétendaient attester la réalité de la découverte du continent américain par les navigateurs de l’an 1000. Toutes ces découvertes, sans exception, sont des faux. Ainsi, seules les fouilles (cette fois-ci sérieuses et scientifiques) de l’Anse aux Meadows, effectuées à partir de 1960 à Terre-Neuve, sont la preuve indubitable que les récits islandais de découvertes lointaines en direction de l’ouest contenaient une part de vérité.

La création d’un mythe politique

Mais remontons encore plus loin, vers le Moyen Âge lui-même. C’est précisément en Islande, entre le XIIe et le XIVe siècle, que de grands poètes et écrivains comme Snorri Sturluson ont cherché à raconter l’histoire de ceux qu’ils regardaient comme leurs ancêtres.

L’Islande avait été peuplée à partir des années 870 par des colons venus en majorité de l’actuelle Norvège, mais aussi par des hommes et des femmes venus (de gré ou de force) d’Irlande et du nord de la Grande-Bretagne. Cette double origine géographique des Islandais n’intéressait guère ces auteurs médiévaux, qui ont préféré se représenter comme les descendants de héros scandinaves d’autrefois, grands guerriers et grands navigateurs.

Comme dans tout mythe d’origine, cette image était à la fois vraie et fausse, incomplète en tout cas. Dans les sagas dites légendaires, comme la Saga de Ragnarr aux braies velues et le Dit des fils de Ragnarr, que des auteurs anonymes ont composés au cours du XIIIe siècle, les héros vikings sont déjà ces personnages ambivalents, à la fois féroces et vaillants.

The ConversationOr cette saga est celle qui a le plus inspiré la récente série Vikings, qu’on pourrait en fin de compte regarder comme une saga légendaire comme une autre. Tout cela n’est, quand on y réfléchit, guère original : pour les Islandais chrétiens du Moyen Âge, leurs prédécesseurs vikings étaient certes barbares et païens, mais c’étaient leurs ancêtres et ils ne pouvaient être entièrement mauvais. Le roman national français n’en disait-il pas autant de « nos ancêtres les Gaulois » ?

Alban Gautier, Historien, Université de Caen Normandie

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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