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Ce que racontent les « Football Leaks »… et ce qu’elles ne racontent pas

Alexandre Hocquet, Université de Lorraine

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Football Leaks (Photo credit: zigazou76 via VisualHunt.com / CC BY)

Entendons-nous bien : je crois sincèrement que la révélation de l’affaire des « Football Leaks » est une entreprise salutaire au sens où elle met en lumière un football dont tout le monde soupçonne les problèmes mais que tout le monde préfère ne pas voir. C’est aussi un acte de whistleblowing très courageux, et une enquête très courageuse de la part des journalistes du consortium parce que les milieux qu’elle aborde sont parfois proches du grand banditisme. Enfin, c’est une entreprise salutaire parce qu’elle doit affronter une forme de déni de la part des habituels chiens de garde de l’ordre médiatique établi.

Une narration problématique

Mais plusieurs jours après les premières révélations, et à la lumière de ce qui est sorti jusqu’ici dans le feuilleton orchestré par le consortium, la narration des Football Leaks me pose un problème.

Oui, il s’agit d’une narration. Même quand on martèle que « ce sont des faits ». Vous voulez des Football Leaks qui ressemblent le plus possible a des faits ? « John », la fameuse source à l’origine de l’affaire, tient un blog depuis plus d’un an et balance régulièrement des fichiers PDF de contrats, sans autre explication. C’est aussi une narration (dans les choix et dans le timing), mais frugale : difficile à exploiter si on n’est pas au cœur même de ces affaires.

Où est l’horreur financière ?

Or, la narration choisie par Médiapart est celle de l’évasion fiscale. Elle est indubitable. Elle est gigantesque. Mais elle n’est qu’un épiphénomène par rapport à l’horreur financière globale que représentent les managers de joueurs, Gestifute et Jorge Mendes, Doyen et Nelio Lucas, et leurs collègues.

On objectera qu’il faut bien attaquer l’hydre par un côté. Le problème est que ce côté, cette façon de raconter l’histoire, place les joueurs de football (réduits aux quelques superhéros à déboulonner) dans le rôle du méchant qui abuse la société (et les contribuables), et place l’État dans le rôle du mari trompé.

Josuha Guilavogui en match.
DSanchez17, Flickr

Par exemple, Josuha Guilavogui a été transféré par l’AS Saint-Étienne à l’Atlético Madrid fin août 2013. Il était à l’époque nouvel international français et son salaire ferait pâlir d’envie 90 % des joueurs de football professionnels de la planète. Mais ce transfert soudain avait surpris les observateurs. Guilavogui n’avait aucune intention de quitter l’ASSE. L’Atletico Madrid ne l’a ensuite quasiment pas fait jouer. Et pour cause : le joueur appartient en fait à Doyen qui le place dans des clubs, même si ceux-ci n’y voient aucun intérêt sportif.

L’esclavage dans le foot…

Josuha a du quitter son club formateur en 48 heures et en pleurant pour aller dans un club qui ne voulait pas de lui. Je ne sais pas si Josuha paye bien ses impôts et dans quel pays. Son histoire n’est pas celle d’un réfugié qui meurt à Lampedusa en croyant pouvoir devenir riche en jouant au foot. Mais il est l’exemple d’une condition professionnelle qui est devenue de plus en proche de l’esclavage, et cette condition désastreuse est masquée quand on choisit de ne parler que des caprices et des évasions fiscales des superstars.

Et l’État dans cette histoire est bien plus souvent le complice que le perdant. Comme le rappelle Dominique Rousseau, la fiscalisation des droits à l’image est l’objet constant de négociations pour rendre le pays « attractif ». Pire encore, comme l’écrit ici même Sébastien Fleuriel, les décisions des tribunaux condamnant les pratiques contractuelles des clubs de football provoquent de nouvelles lois destinées à fragiliser encore plus les contrats des footballeurs professionnels.

Attendons ce que nous réserve la suite des divulgations des Football Leaks. Espérons que dans 2 téraoctets de données, il y ait autre chose que des déclarations d’impôts.

The Conversation

Alexandre Hocquet, Professeur des Universités en STS, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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