France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Une dissolution conforme au droit et à l’esprit des institutions ?

Panorama de l'hémicyle de l'assemblée nationale
Panorama de l’Hémicycle de l’assemblée nationale (DR)

Dorothée Reignier, Sciences Po Lille

« Coup de poker », « pari présidentiel », « roulette russe ». Les commentaires n’ont pas manqué pour souligner que la dissolution du 9 juin 2024 répondait à la seule appréciation du président de la République. Est-ce conforme à la Constitution ?

Avant d’étudier l’article 12 de la Constitution qui encadre la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République sous la Ve République, il convient de rappeler ce qu’est la dissolution.

Un mécanisme d’équilibre

Paradoxe face au chaos politique actuel, la dissolution est un mécanisme d’équilibre censé éviter une confusion des pouvoirs. Elle trouve sa place dans un régime parlementaire, marqué par des relations juridiques constantes entre le Gouvernement et le Parlement.

Dans un tel régime, le Gouvernement est l’émanation de la majorité à la chambre issue du suffrage populaire. Il est créé pour la guider vers la satisfaction de l’intérêt général qui a justifié son élection. Gouvernement et majorité parlementaire sont ainsi unis par une relation de confiance. Mais l’Assemblée doit pouvoir retirer sa confiance en cours de mandat : soit parce qu’elle conteste l’efficacité de l’action du Gouvernement, soit parce que suite à un mouvement en son sein, la majorité n’a plus les mêmes contours. Le Gouvernement est en effet politiquement et collégialement responsable devant l’Assemblée qui peut par exemple voter une motion de censure.

Certaines Constitutions, comme en Espagne ou en Allemagne, exigent que cette motion soit constructive, au sens où l’Assemblée ne peut renverser le Gouvernement qu’à la condition d’être capable de soutenir une nouvelle équipe et une nouvelle politique. Cette disposition rend plus difficile la mise en cause de la responsabilité politique du Gouvernement et n’a fonctionné qu’une seule fois en Espagne et jamais en Allemagne.

La dissolution apparaît comme un moyen d’équilibrer cette relation de confiance et d’éviter que l’Assemblée n’abuse de son pouvoir de renverser les Gouvernements.

Certaines Constitutions ne permettent ainsi la dissolution de la chambre basse que lorsqu’elle se révèle impuissante à constituer un nouveau gouvernement. C’est le cas en Allemagne où le pouvoir de dissolution du président est strictement encadré par les articles 63 et 68 de la Loi fondamentale.

La dissolution n’y est donc possible que si le Bundestag nouvellement élu est trop divisé pour élire un chancelier, même à la majorité relative ou si à la suite du rejet d’une question de confiance elle ne parvient pas à élire un successeur au chancelier sanctionné.

Situation qualifiée de « pat parlementaire » et qui traduit l’impossibilité de gouverner du fait d’une Assemblée divisée qui ne parvient à se mettre d’accord ni sur les individus ni sur la politique à mener. Situation de blocage à laquelle la dissolution apporte une solution. C’est dans ce même esprit que la Constitution française de 1946 avait consacré la dissolution dans son article 51.

Elle n’était possible que si sur une période de 18 mois deux gouvernements étaient renversés soit par l’adoption d’une motion de censure à la majorité absolue, soit par le rejet d’une question de confiance à la majorité absolue (50 % +1 des membres de l’Assemblée). Là encore, le président de la République ne pouvait dissoudre que si l’Assemblée faisait la preuve de son inaptitude à constituer en son sein des majorités de gouvernement.

Trois acteurs

La dissolution implique donc habituellement trois acteurs : le chef de l’État qui prononce la dissolution, l’Assemblée qui est dissoute et le Gouvernement qui est toujours impacté par la fin de mandat de l’Assemblée dont il est l’émanation – et qui voit son pouvoir se réduire à l’expédition des affaires courantes. Trois acteurs au moins dont les pouvoirs sont encadrés par la Constitution afin d’éviter que l’un d’entre eux abuse de cette faculté.

Comment la Constitution de 1958 encadre-t-elle le pouvoir du président de la République de dissoudre l’Assemblée nationale ? Très lâchement, l’esprit de la Constitution étant de lutter contre l’instabilité ministérielle.

Celle-ci fut causée notamment par le discrédit qui a entaché le droit de dissolution, avant que son abandon (on parle de « désuétude » pour désigner un droit qui est toujours inscrit dans les textes mais dont l’usage est abandonné) soit acté par l’exécutif sous la IIIe République. On retrouve cette instabilité sous la IVe, les calculs politiques ayant paralysé le recours à la dissolution.

Soucieux de rétablir l’équilibre des pouvoirs, les constituants de 1958 ont libéralisé le droit de dissolution. Il n’est pas encadré de conditions, mais seulement de formalités. Ainsi, si le président de la République doit avant de prononcer la dissolution recueillir l’avis du Premier ministre et des présidents des assemblées, ces avis ne sont que consultatifs. Ils peuvent donc bien être tous hostiles à la dissolution, le président dispose seul du pouvoir de décision qui n’est pas, par ailleurs, soumis au contreseing ministériel. Disposition qui fait de notre régime une exception au sein des régimes parlementaires européens. Dans ceux-ci, le chef de l’État est politiquement irresponsable et ne dispose que de pouvoirs nominaux, c’est-à-dire de pouvoirs dont l’initiative lui échappe au profit du Gouvernement et de son chef, qui sont eux politiquement responsables devant l’Assemblée.

En France le président est le garant de la stabilité des institutions, y compris face à une Assemblée divisée qui ne souhaiterait pas sa dissolution. La IVe République a montré qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’école. Plus proches de nous, les difficultés de Boris Johnson à obtenir l’autodissolution de la Chambre des Communes lors des négociations relatives au Brexit ont montré que l’Assemblée peut bloquer la mise en œuvre d’une politique souhaitée par le Gouvernement qu’elle a mis en place et paralyser toute alternative politique en refusant sa dissolution.

Sous la Vᵉ donc, le président de la République décide la dissolution et la seule limite qui s’impose à lui est temporelle, puisqu’aucune dissolution n’est possible dans l’année qui suit les élections consécutives à une dissolution – consécration constitutionnelle de l’adage selon lequel « dissolution sur dissolution ne vaut ». Le président dispose donc d’une totale liberté d’appréciation puisqu’aucune condition juridique ne s’impose à lui, la dissolution étant perçue comme un mécanisme d’équilibre, voire comme une arme contre le législatif.

Une dissolution opportuniste ?

Le droit a donc été respecté en ce 9 juin 2024, l’esprit des institutions également. La dissolution apparaît en effet comme une dissolution parlementariste ou d’anticipation : le chef d’État, conscient que l’Assemblée pourrait prochainement se retourner contre le Gouvernement, choisit de dissoudre pour élargir son assise parlementaire. Cette vision est celle de François Mitterrand en 1981 et 1988. Celui-ci n’a pas attendu que la majorité à l’Assemblée renverse son gouvernement ou refuse de voter ses textes pour prononcer sa dissolution.

[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]

Même si la dimension tactique d’une telle décision ne doit pas être oubliée, la situation est donc différente de celle qui a amené à la dissolution de 1997 par Jacques Chirac. Celle-ci appartient à la catégorie des dissolutions opportunistes dans lesquelles l’exécutif est libre de prononcer la dissolution et de choisir le moment le plus opportun pour sa majorité. Elle n’était en effet dictée que par des considérations politiques. Le président choisissant, en dehors de tout conflit présent ou à venir avec l’Assemblée, de dissoudre pour prendre les oppositions de court et renouveler sa majorité.

Difficile de conclure pour autant que l’esprit des institutions ait été totalement respecté. D’une part, dissoudre l’Assemblée au soir des élections européennes transforme l’enjeu de la consultation. Elle la relègue au second plan alors que les discussions sur la composition de la Commission vont débuter. Quel sera le poids de la France ? D’autre part, dissoudre l’assemblée quand un parti extrême vient de remporter une élection met en danger les institutions, alors que la dissolution et son encadrement par l’article 12 avaient pour ambition de les protéger.The Conversation

Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

France