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Déroutante Corée du Nord

A l’occasion de la sortie de son dernier livre : Corée du Nord, L’autre dimension aux éditions Kaïros Claude Vautrin, grand reporter, donnera une Conférence le mardi 2 avril 2019 à la MJC Pichon (bld recteur Senn) à 20 heures à Nancy. Entretien.

Corée du Nord, l'autre dime nsion, un livre de Claude Vautrin (DR)
Corée du Nord, l’autre dime nsion, un livre de Claude Vautrin (DR)

Entre mer Jaune et mer du Japon, la Corée du Nord est l’un des pays les plus fermés au monde. Ses 25 millions d’habitants vivent sous le joug d’un régime autocratique où les droits élémentaires sont bafoués. Peu de journalistes s’y sont aventurés. Le grand reporter Claude Vautrin, originaire de Nancy a voulu voir de plus près. Il en a rapporté un livre étonnant : « Corée du Nord : l’autre dimension »* aux éditions Kaïros.

Claude Vautrin au côté de Bak In Ho, un vétéran de la Guerre de Corée qui arraisonna le bateau espion américain USS Pueblo (photo C. Vautrin)
Claude Vautrin au côté de Bak In Ho, un vétéran de la Guerre de Corée qui arraisonna le bateau espion américain USS Pueblo (photo C. Vautrin)

-Dans quelles circonstances avez-vous effectué ce voyage en Corée du Nord ?

Le choix d’un tel sujet s’inscrit dans ma pratique du métier depuis plus de trente ans. « Aller voir, et un peu plus », sachant que le journaliste a pour fonction de fournir des éléments d’information, de réflexion. A chacun, lecteur, auditeur, téléspectateur, de se faire une opinion. Une telle démarche m’incite à débusquer « les trous noirs de l’information », à faire le pas de côté par rapport au système médiatique. A cet égard la Corée du Nord, pays aussi décrié que méconnu, ne pouvait qu’attiser ma curiosité, aucun sujet n’étant tabou pour le journaliste indépendant que je suis sachant aussi que porter un regard neuf ne signifie pas succomber à la naïveté.
Le projet n’a pas été simple à mener. Défiance ou mépris quant au thème, au pays choisis d’un côté, le nôtre, méfiance nord-coréenne de l’autre. Peu importe. Plus de deux ans ont été nécessaires pour convaincre la délégation générale de la RPDC en France de délivrer l’autorisation d’un séjour en Corée du Nord, projet de reportage à l’appui, intégrant notamment la dimension peu connue qu’est la politique environnementale de ce pays.
L’Association d’Amitié franco-coréenne, l’AAFC, pour laquelle j’avais animé en 2015 une conférence-débat, sur l’expérience d’un universitaire français, chercheur en mathématiques et informatique, de retour de Pyongyang, s’est avérée d’un précieux conseil. A ce sujet, sans doute est-il bon d’indiquer que mes voyages et reportages, effectués en septembre 2018, ont été financés sur mes propres deniers. J’ai complété mon enquête par des entretiens avec des acteurs occidentaux impliqués en Corée du Nord, dont le très instructif témoignage de l’ONG française Triangle Génération humanitaire, impliquée entre autres dans la lutte contre la malnutrition.

-Quelle fut votre première impression en arrivant à Pyongyang, la capitale ?

Des immeubles à l'architecture contemporaine (Photo C.Vautrin)
Mirae, ou l’avenue des scientifiques – Pyongyang (Photo C.Vautrin)

Ce pays est « hors-champ ». C’est d’ailleurs le titre d’un des chapitres de Corée du nord, l’autre dimension. Cela nous renvoie bien sûr à ce que nous sommes, nous, Occidentaux. Un autre monde s’ouvre à vous, sans panneaux publicitaires, ou si peu, ni signalisation commerciale. Exit Samsung, Amazon ou Coca-Cola, les femmes-objets, les hommes tatoués, les invites à l’obésité. L’approche de Pyongyang, la capitale de près de 3 millions d’habitants, fleure bon la propreté. Une première impression jamais démentie. Parterre fleuri de roses, arbres soigneusement taillés, piste cyclable : ce pays-là soigne son image. Dédiées à Kim Jong Il et Kim Jong Un, les premières représentations monumentales accoutument à une autre constance : l’omniprésence dans le paysage urbain et rural des Leaders de la dynastie Kim au pouvoir depuis la libération du pays et la fondation de la République Populaire Démocratique de Corée en 1948 par Kim Il Sung.
Le gigantisme ne concerne pas les seuls dirigeants. Les 4×4, voire 5×5 voies irriguant la ville ouvrent des perspectives en matière de circulation, moins rare que la légende ne voudrait le faire croire. Ces dernières années, le parc automobile n’a cessé de croître. Des stations-service ont vu le jour. Des taxis s’invitent plus souvent qu’hier dans le trafic, même si les transports publics, les vélos et la marche à pied restent des moyens de locomotion majeurs.
Au plan urbanistique, de nouveaux quartiers à l’architecture contemporaine ont vu le jour. Autre signe des temps, la part belle faite aux énergies renouvelables, le photovoltaïque notamment pour ce qui est de l’éclairage public. Un avant-goût de la priorité donnée en matière économique et éducative aux nouvelles technologies.

-On dit que le pays est particulièrement pauvre. Et pourtant, dans votre livre abondamment illustré, on voit des hommes, des femmes et des enfants qui semblent heureux. Comment vit-on en Corée du Nord ?

Jeunes filles dansant à la plage (photo C.Vautrin)
Danse sur la plage (photo C.Vautrin)

C’est tout l’intérêt des près de 150 photos illustrant l’ouvrage, un parti-pris éditorial nouveau, la littérature sur ce pays étant plutôt austère. Comme toute société, la Corée du Nord est un pays contrasté. D’un côté la capitale, ses équipements sportifs, culturels, hospitaliers ultramodernes, ses supermarchés, son stade, le plus grand au monde. Parcs d’attraction, concerts, manifestations sportives, restaurants privés, voire casino : Pyongyang a de quoi s’amuser en effet. Dans la « province, » rurale, montagnarde, des projets de développement agricole et industriel sont en cours depuis le début des années 2000. La famine de la fin des années 1990 qui, dit-on, a fait près d’un million de morts n’est plus. Il s’agit aujourd’hui de développer des programmes de sécurité alimentaire, de qualité nutritionnelle, avec des partenaires nord-coréens, « à la technicité élevée », témoignent les humanitaires occidentaux présents. Au plan économique, l’autonomie de gestion des entreprises s’avère un mot-clé. Cette logique de développement, proche des chaebol, les grands conglomérats sud-coréens, n’est pas sans générer quelques surprises. Le secteur privé domestique se développe, lui aussi. Et détail qui a son importance, Pyongyang abrite depuis 2011 une université financée par des fonds privés américains ! Cette information, peu médiatisée, ne manque pas de piment.

-Le pays est soumis à des sanctions économiques internationales. Qui en souffre le plus ?

Mis en place en 2006, avec la résolution 1718, le régime de sanctions onusien a été depuis étendu. Suite au tir d’un missile balistique intercontinental opéré par la RPDC le 29 novembre 2017, la résolution 2397 du Conseil de sécurité des Nations Unies du 22 décembre 2017 alourdit ainsi les sanctions économiques, via la limitation des approvisionnements en produits pétroliers à quatre millions de barils par an et l’interdiction d’y exporter certains minéraux, métaux industriels, produits chimiques et alimentaires, le bois, les véhicules de transport et des équipements électriques. Néfaste à l’économie nord-coréenne, en la privant de ressources énergétiques indispensables, comme pour la population, les sanctions impliquent également le rapatriement des travailleurs nord-coréens œuvrant à l’étranger. Elles freinent également l’action des rares ONG présentes, comme je l’explique dans l’ouvrage. L’une d’elles, Save the Children, a même décidé de quitter la Corée du nord, dans l’impossibilité de poursuivre ses missions, pour ne pas avoir obtenu les dispenses nécessaires. Autre conséquence néfaste au plan sanitaire, la décision du Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme de cesser toute aide humanitaire à ce pays.

-La Corée du Nord et sa voisine du Sud semblent vouloir se rapprocher. Les familles déchirées depuis des décennies vont-elles enfin être réunies ?

La DMZ ou Ligne démilitarisée séparant les deux Corée (photo C. Vautrin)
La DMZ ou Ligne démilitarisée séparant les deux Corée (photo C. Vautrin)

C’est en effet une réalité, comme en témoigne la rencontre historique entre le leader nord-coréen Kim Jong Un et le président sud-Coréen Moon Jae-in, sur la zone commune de sécurité, à Panmunjom. Une première qui s’est traduite par une déclaration affirmant l’intention commune de « ne plus voir de guerre dans la péninsule et de signer un traité de paix ». Le rendez-vous a eu une suite, avec la visite du président sud-coréen du 18 au 20 septembre 2018 dans la capitale nord-coréenne et sur le plus que symbolique mont Paektu, à l’extrémité nord du pays. Parmi les mesures listées dans la déclaration commune de Pyongyang figure notamment le développement des échanges entre les deux Etats de la péninsule, via l’ouverture des travaux de liaison et de modernisation des voies ferrées et des routes des côtes est et ouest, la normalisation du fonctionnement de la zone industrielle de Kaesong et du tourisme dans les monts Kumgang.
Au plan humanitaire est entre autres programmée l’ouverture dans les meilleurs délais du bureau de réception permanent de la zone des monts Kumgang pour les membres de familles et parents dispersés. Les échanges artistiques, culturels et sportifs devraient se développer avec le double projet de participer en commun autant que possible à des compétitions internationales, notamment les Jeux olympiques d’été 2020, et d’accueillir l’organisation en commun des Jeux olympiques d’été 2032.

-Que faut-il penser de l’intensification des essais nucléaires de Kim Jung-Un ? Et du rôle trouble de Donald Trump ?

KIm Jung-Un (photo DR)
le leader nord-coréen Kim Jong Un et le président sud-Coréen Moon Jae-in, sur sur le plus que symbolique mont Paektu, à l’extrémité nord du pays.

Occupation japonaise durant 35 ans de 1910 à 1945, division du pays à l’issue de la seconde guerre mondiale, guerre de Corée : la Corée sait combien les appétits des grandes puissances ont engendré de dégâts. Dans ce contexte, la RPDC entend trouver sa propre voie vers le socialisme, et compter sur ses propres forces.
La doctrine du Juche voit le jour en 1955, en plongeant ses racines dans la lutte antijaponaise. La quête d’indépendance doit s’exprimer sur tous les fronts : politique via la souveraineté, l’intégrité territoriale, et un traitement d’égal à égal avec les autres nations du monde ; économique, avec le développement de ses propres infrastructures, l’accès aux matières premières et l’autosuffisance alimentaire ; militaire, eu égard à l’état de guerre qui perdure, via la maîtrise de l’armement.
Il n’est pas inutile de rappeler que jamais depuis 1953, après la guerre de Corée, un traité de paix n’a été signé. Avec Kim Jong Un, l’indépendance chérie passe par le Byongjin, « le développement parallèle », un nouvel apport à la doctrine du Juche prônant le développement de l’économie en même temps que celui du nucléaire, tant au plan énergétique que militaire, jusqu’à la crise de l’été 2017, ses escalades verbales, ses menaces, puis la détente, le sommet historique de Singapour du 12 juin 2018, entre le Leader nord-coréen et le Président des États-Unis, et les engagements de dénucléarisation.
Nous en sommes là. Rien n’est acquis. Le dialogue n’en est pas moins maintenu. Un espoir demeure, l’enjeu étant d’abord coréen, à savoir réunifier le pays et la nation en unissant le Nord et le Sud dans un État fédéral en laissant tels quels leurs idéologies et leurs régimes, le projet se résumant en la formule « Une nation, deux états ». A noter, autre bon signe, le fait que Washington et Séoul mettent fin à leurs grandes manœuvres militaires conjointes en Corée !

Originaire de Nancy, diplômé de Sciences-Po Paris, Claude Vautrin est journaliste et écrivain. Il a publié de nombreux ouvrages dont « Grand Reporter, le pas de côté « et Mapuche et fier de l’être » aux éditions Kaïros.

*« Corée du Nord, L’autre dimension » de Claude Vautrin (Editions Kaïros) 157 pages. 19 euros.

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