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La proportionnelle, dernière étape de la stratégie d’Emmanuel Macron ?

Olivier Ihl, Sciences Po Grenoble

Macron, dimanche 23 avril au soir (capture EuroNews)
Macron, dimanche 23 avril au soir (capture EuroNews)

La « recomposition politique » conduite par Emmanuel Macron va trouver avec des futures législatives à la proportionnelle et la réduction du nombre de députés son troisième temps, celui d’une valse politique qui aura emporté tout un système partisan. Après la campagne présidentielle d’En marche faite « à droite et à gauche », après la nomination du républicain Édouard Philippe au poste de premier ministre, voici donc la réforme institutionnelle.

N’est-ce pas un paradoxe d’introduire une réforme qui promet de lui donner moins de voix ? En réalité, nul sacrifice ici. Certes, si ces législatives avaient eu lieu à la proportionnelle intégrale, la République en marche ! n’aurait obtenu que 185 sièges, Les Républicains et l’UDI 124 sièges, le Front national 80 sièges, la France insoumise 63 sièges, le Parti socialiste et ses alliés 58 sièges, le Parti communiste 18 sièges, EELV 19 sièges, Debout la France 5 sièges, l’extrême-gauche 5 sièges. Mais demain, lorsque le bilan du président Macron sera jugé, qu’en sera-t-il ? Les mouvements de balancier propres au scrutin majoritaire ne risquent-ils pas de laminer ses listes ? C’est pourquoi l’initiative vise à stabiliser l’offre électorale issue du scrutin des 23 avril et 7 mai derniers. Elle doit se lire comme une stratégie délibérée de rebâtir l’échiquier partisan né au début des années 1980. Ne dit-on pas que gouverner c’est prévoir ?

Favoriser un nouvel échiquier partisan

L’enjeu de ce nouveau coup politique est d’achever le réalignement et donc de solder définitivement l’ancien ordonnancement des partis. La réforme annoncée va notamment finir de détacher la partie humaniste, européenne et libérale du parti des Républicains de son socle conservateur. Une condition impérative pour unifier, ces cinq prochaines années, une majorité parlementaire favorable à l’action du gouvernement.

Cette majorité a pour fonction de marginaliser l’opposition des anciens partis de gouvernement. Elle doit aussi dessiner un arc de soutien allant des « progressistes » de l’ancien PS au centre droit. Une stratégie qui vise clairement à remplacer la bipolarisation droite-gauche par un regroupement pro versus anti-Europe.

Ce nouveau clivage n’est guère compatible avec le scrutin majoritaire à deux tours. D’où l’entorse faite à l’orthodoxie de la Vᵉ République. Celle-ci n’avait connu de proportionnelle que lors du scrutin législatif de 1986. Désormais, le temps de la reforme est venu.

Du fait de l’attente de renouvellement qu’expriment les Français, en raison aussi de la « déprise » électorale des partis qui ont alterné au pouvoir depuis trente-cinq ans. Hier capables de réunir jusqu’90 % des suffrages exprimés (ce fut le cas en juin 1981), ces derniers ne mobilisent plus qu’un Français sur quatre au premier tour des législatives du 11 juin 2017. C’est dans ce cadre que le Président Macron a lancé son offensive.

Des précédents… sans lendemain

Emmanuel Macron n’est pas le premier à annoncer une réforme du mode de scrutin lors de sa campagne présidentielle. Son prédécesseur s’était, lui aussi, engagé en faveur d’une part de proportionnelle. Quant à Nicolas Sarkozy, il l’avait envisagée publiquement. Sauf que l’un comme l’autre avait dû y renoncer.

En 2017, tout plaide pour que la réforme soit bel et bien mise en œuvre. La France n’est-elle pas, après le départ du Royaume-Uni à la suite du Brexit, le dernier pays de l’UE, à résister aux sirènes de la proportionnelle pour ses législatives ? Beaucoup ajoutent que ce serait la meilleure manière de combattre l’abstention ou la montée des bulletins blancs et nuls.

Même la lutte contre les illégalismes s’en revendique : « proportionnaliser » le scrutin, c’est le rapprocher de celui des députés européens. Et, partant, limiter la tentation pour les partis mal représentés au palais Bourbon de détourner les moyens qu’offre Bruxelles en matière de travail parlementaire. Arguments en trompe-l’œil.

La réalité, c’est que le changement de mode de scrutin sert d’abord les vues du nouveau locataire de l’Élysée. En atomisant les formations traditionnelles, Emmanuel Macron peut faire de La République en marche ! l’axe central et durable de la vie politique. Reste à fixer les modalités du scrutin proportionnel.

Les enjeux du débat à venir

La réforme qui s’annonce donnera lieu, à n’en pas douter, à des litanies sur les vertus propres de chaque mode de scrutin : « justice », « moralité », « équité », « transparence », « stabilité »… L’objectif n’est, pourtant, que d’organiser un traitement comptable des voix exprimées, un traitement dont puisse tirer bénéfice le ou les partis appelé(s) à gouverner. Cette plus-value n’est donc pas morale mais politique. Elle consiste en une série d’avantages en matière de décompte des voix et de conversion en sièges. N’ayant jamais été constitutionnalisé, le mode de scrutin est en France un enjeu… du jeu politique lui-même. Rien d’étonnant à ce qu’il ait tant changé : neuf fois entre 1871 et 1986, soit en moyenne une fois tous les treize ans.

François Mitterrand en meeting à Caen en avril 1981. Il introduisit un dose de proportionnelle pour les législatives de 1986.
Jacques Paillette/Wikimédias, CC BY-SA

Annoncée par le Président Mitterrand en janvier 1985 (il s’agissait d’« instiller une dose de proportionnelle »), la dernière réforme en date devait mettre un terme aux injustices des circonscriptions découpées en 1958. Dans les faits, c’est surtout le refus communiste d’appliquer le système d’alliances traditionnel (la « discipline républicaine »), manifeste lors des cantonales de mars 1985, qui menaçait le chef de l’État. C’est pourquoi la décision fut prise d’introduire le scrutin proportionnel de liste départementale, sans panachage, ni vote préférentiel.

Reste que si la réforme électorale a offert des chances de sièges aux grands comme aux petits partis (voire aux courants de chaque structure partisane encouragés à courir, tels les mouvements barriste et rocardien, sous leur propre drapeau), elle n’a nullement supprimé les inégalités de représentation. Tout juste, les a-t-elle redistribués selon d’autres critères.

Le ratio qui mesure la prise en compte parlementaire des voix ( % des sièges sur % des voix) le fait voir clairement : le RPR et l’UDF ont été crédités en 1986 de 291 sièges (soit la majorité plus deux) pour un total de 45 % des voix exprimées. De façon générale, les partis de gouvernement (PS-RPR-UDF) ont obtenu lors de ce scrutin 84 % des sièges pour 72 % des voix. En revanche, les organisations comme le PCF, le FN, les divers-droites et l’extrême-gauche ont été largement défavorisés mais dans une moindre mesure qu’avec le scrutin majoritaire.

Trois leçons sur la proportionnelle

L’effet de la proportionnelle apparaît clair sur au moins trois points.

  • Premier élément : lorsqu’il est appliqué à des circonscriptions réduites comme un département, ce mode de scrutin conserve une logique majoritaire. La raison en est simple : plus le nombre de sièges par circonscription s’avère faible, moins sa capacité distributive peut se déployer. À l’inverse, s’il est mis en œuvre à l’échelle des grandes régions ou – mieux – sur le plan national, ce mode de scrutin favorise les petits partis. Sauf si le nombre de sièges est réduit ou si un seuil est établi pour être admis à la représentation. En Israël, le seuil est de 1,5 %, alors qu’en Allemagne, il est de 5 %.
  • Deuxième élément : en cassant toute dimension bipolaire, la proportionnelle redistribue les cartes en matière d’alliances entre partis. Elle permet, selon les formules, des majorités à géométrie variable dont l’ampleur dépendra directement de l’indice de proportionnalité qui aura été aménagé. Un schéma qui peut être contrebalancé par une prime accordée à la liste arrivée en tête.
  • Dernier élément : les contraintes pesant sur la structure partisane. L’incitation au regroupement ne varie pas seulement entre les partis mais à l’intérieur de chacun d’entre eux. Il incite alors certains courants à tenter leur chance sous leurs propres couleurs. Ce qui multiplierait le nombre de partis et fragmenterait un peu plus l’expression des sensibilités politiques.

On le devine : si le scrutin uninominal majoritaire à un tour sanctionne l’état de concentration maximale, la représentation proportionnelle nationale, sans nombre de sièges fixé a priori, sans seuil ni restes mais avec des listes pouvant être panachées, occasionne la dispersion la plus forte. Plus on se rapproche de ces modèles extrêmes, plus les polarités s’inversent.

En tout cas, soyons-en sûr : c’est à partir de ces règles de base que les experts du Président vont concocter leur formule de proportionnelle pour les prochaines législatives. Rappelons-leur alors qu’en matière de réforme de mode de scrutin, rien n’est jamais sûr. L’histoire électorale apprend surtout à être prudent.

Les enseignements de l’histoire

Il n’est en effet que de se pencher sur le sort des précédentes réformes pour en être définitivement assuré. Les intentions initiales ont presque toujours été contredites. Qu’il suffise de rappeler les élections de février 1871 (scrutin de liste multiple dans le cadre départemental). Au lieu de favoriser les formations déjà bien organisées de la gauche républicaine, elles ont amené au pouvoir une majorité monarchiste. Celle-ci, soucieuse de pérenniser l’avantage acquis, décida contre toute attente de revenir au scrutin uninominal cher au Second Empire, pensant asseoir son autorité sur les notabilités conservatrices. C’est en réalité les candidats républicains qui allaient en profiter. À leur tour, les républicains voulurent consolider leur audience dans le pays. Mais le scrutin de liste départementale de 1885 allait encore leur faire faux-bond : il conforta les positions monarchistes et bonapartistes.

Nouvelle déconvenue en 1919, avec un scrutin de liste départementale qui intégrait un élément plus net de proportionnelle : ses initiateurs socialistes et radicaux en furent les premières victimes. En août 1945, le Général de Gaulle, pour combattre le localisme de la République défunte, institua la représentation proportionnelle. Six mois plus tard, il devait quitter le pouvoir, poussé hors de l’arène politique par le « régime des partis », celui-là même qu’il avait contribué à remettre en selle.

Le General de Gaulle lors d’un déplacement dans la Marne en 1963.
Gnotype/Wikimedia, CC BY-SA

En revenant aux affaires en 1958, il prit cette fois fait et cause pour le scrutin uninominal à deux tours, espérant consolider l’influence des notables de la droite modérée. Au lieu de cela, la machine gaulliste allait se construire comme une organisation dépendant plus des ressources gouvernementales que de ses assises locales. C’est le temps de la république des fonctionnaires, non plus celui des grands notables. Des résultats qui devraient inviter à la modestie. L’histoire est une école de la sagesse.

D’autant que le raz-de-marée attendu pour le soir du 18 juin 2017 risque fort de laisser l’assemblée orpheline de pluralisme et de débats. Or, on le sait, ce type de situation a toujours encouragé l’expression directe de la rue. Lorsque le territoire de l’action politique ne peut plus être l’hémicycle, c’est le répertoire même de la démocratie qui change. Et du tout au tout.


The ConversationDernier ouvrage paru : « Une histoire de la représentation », Paris, éd. du Croquant, 2016.

Olivier Ihl, Professeur de science politique, Sciences Po Grenoble

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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