Faut-il se réjouir de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ou faut-il le déplorer ? Les deux sans doute. Car, à l’évidence, l’onde de choc provoquée par le Brexit va remettre en cause bien des certitudes et des comportements coupables.
Commençons par un état des lieux. L’Europe regroupait jusqu’à hier 28 Etats membres (et six autres sur une liste d’attente), 500 millions d’habitants, 24 langues officielles. Elle a une capitale : Bruxelles. Un drapeau : douze étoiles disposées en cercle symbolisant les idéaux d’unité, de solidarité et d’harmonie entre les peuples. Un hymne : la neuvième symphonie de Beethoven. Une devise : « Unis dans la diversité ». Et pour 19 d’entre eux, une monnaie unique : l’euro. Une banque centrale : la BCE (dont le président, Mario Draghi est l’ancien vice-président pour l’Europe de la banque américaine Goldman Sachs). Un budget : 144 mds d’euros. Des institutions compliquées et lointaines.
L’Europe, ce sont aussi plus de 18 millions de chômeurs (11,40% des actifs), de fortes disparités socio-économiques entre les Etats-membres accentuées par les trois derniers élargissements : celui de 2004 (Hongrie, Pologne, République Tchèque, Slovaquie, Slovénie, Estonie, Lettonie et Lituanie) de 2007 (Bulgarie et Roumanie) et de 2013 (Croatie).
Force est de constater que ces élargissements ont bouleversé le cadre économique communautaire et remis en cause la « cohésion » indispensable à la prospérité de tous et de chacun.
Pire. La dynamique de rattrapage entre riches et pauvres a volé en éclats. Selon un rapport Eurostat de 2012 ce sont 110 millions de personnes (soit 23,4% de la population européenne) qui sont aujourd’hui menacées de pauvreté ou d’exclusion. Les difficultés augmentent pour les jeunes de moins de 18 ans et pour les minorités (immigrés, Roms etc.).
Où est l’idéal européen ?
La libre circulation des biens et des personnes au sein de ce vaste marché intérieur au sein duquel la concurrence devrait être libre et non faussée, a contribué à déstabiliser les économies les plus prospères. Car la libéralisation des services (on se souvient de la directive Bolkenstein de 2006 et du plombier polonais) a singulièrement perturbé les règles du jeu. Les Etats à faible coût de main d’œuvre sont venus concurrencer frontalement ceux qui avaient un niveau de vie plus élevé, des modèles sociaux historiques et des codes juridiques bien établis.
Tous les secteurs de l’économie sont peu ou prou concernés par une sorte de chaos économique et social à l’instar de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne….
Les 347 milliards d’euros injectés par l’Europe dans les économies nationales des plus pauvres entre 2007 et 2013 au titre du développement territorial de l’Union, semblent avoir été sans grand effet pour réduire les inégalités.
La solidarité, d’un point de vue macro-économique, est donc un leurre.
Enfin, la libre-circulation des biens va de pair avec la libre circulation des personnes. Depuis 2004 et surtout 2007, des populations entières se sont déplacées, principalement des pays pauvres vers les pays riches : les jeunes en recherche d’emploi, les Roms en quête d’une vie meilleure, les immigrés de tous les pays à la recherche d’un hypothétique Eldorado.
Ajoutons que l’abolition des frontières au sein des 28 Etats de l’Union a favorisé l’émergence de mafias et d’organisations criminelles supranationales, l’évasion fiscale, la corruption, la cybercriminalité…
L’Europe inquiète plus qu’elle ne rassure.
L’espoir d’une vie meilleure
Et pourtant ! 50 ans après le Traité de Rome, l’Europe reste un espoir dans un monde globalisé où les échanges économiques, culturels, commerciaux et financiers se font à la vitesse de la lumière, grâce, notamment, aux technologies de l’information.
L’Europe, mais quelle Europe ?
Une Europe forte dont la voix compte dans le concert des nations quand il s’agit de fixer des règles à la mondialisation de l’économie et de la finance, de réduire les inégalités dans le monde, de lutter contre les excès des multinationales, de militer en faveur de l’environnement.
Une Europe qui ne soit pas sous influence, en particulier des Etats-Unis. Le Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) dont les enjeux sont considérables en termes de sécurité alimentaire et d’environnement est négocié en dehors de tout contrôle démocratique. Il marquera le triomphe du business et de la recherche du profit maximum au détriment des citoyens et des consommateurs.
Une Europe qui n’aille pas installer des bases militaires de l’OTAN en Ukraine, aux portes de la Russie, ce qui serait une provocation et un risque de conflit mondial.
Une Europe qui ne soit pas sous la coupe des lobbies. Bruxelles est devenue la capitale mondiale du lobbying. C’est-à-dire, en droit français, du trafic d’influence. Le mot n’a d’ailleurs pas de traduction satisfaisante dans la langue de Molière. On parle de « groupes de pression ». On n’est pas loin de la corruption. Or, il existe entre 4 et 6.000 cabinets de lobbying dans la capitale européenne, des professionnels chargés « d’influencer » les orientations des hommes politiques et des hauts fonctionnaires en faveur d’intérêts bien particuliers.
Une Europe enfin qui ne renie pas les décisions du peuple souverain comme l’a fait Nicolas Sarkozy en foulant aux pieds le vote du référendum sur la constitution européenne du 29 mai 2005.
Qui ne soit pas celle des sanctions infligées par les banques aux pays en difficultés (exemple de la Grèce) au risque de voir les partis extrémistes prendre le pouvoir dans de nombreux pays. Et un éclatement de l’UE.
Alors, quelle Europe pour demain ?
L’Europe que nous souhaitons pour les générations futures devra être celle des citoyens. Celle des hommes et des femmes, qui ont décidé de prendre leur destin en main. Quelle que soit leur nationalité, leur religion, la couleur de leur peau. Des hommes et des femmes qui ont choisi de vivre ensemble, de se donner un avenir commun, de créer une histoire commune et, un jour peut-être, une langue commune.
Une Europe démocratique qui place l’homme au cœur de ses préoccupations. Pour qu’eux-mêmes et leurs enfants puissent vivre libres et heureux dans un monde en paix.
L’Europe n’est pas une option, c’est une nécessité.
M.G.