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Y a-t-il une femme dans la Trinité ? Le genre trouble du Saint-Esprit

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Retable de la Trinité (tableau supérieur), par Bartolo di Fredi.
Musée des Beaux-Arts de Chambéry/Wikimedia

Anthony Feneuil, Université de Lorraine

Il a récemment été annoncé que l’Église luthérienne de Suède demanderait à ses ministres de faire attention à l’usage du masculin pour parler de Dieu, et suggérerait des alternatives à certaines formules très marquées par le genre : « Dieu » plutôt que « Seigneur » ou « il » ; et au lieu de l’invocation « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », la plus neutre « Au nom du Dieu trine » (ce qui en français, donne le très orthodoxe : « Au nom de la Trinité »).

Le changement est moins dramatique que ne l’avaient d’abord répercuté certains journaux puisqu’il n’a rien de contraignant, et n’introduit pas de nouveau pronom pour parler de Dieu au neutre. Seulement des alternatives plus inclusives, et la proposition, d’ailleurs fondée exégétiquement et historiquement, d’utiliser le genre féminin pour parler de l’Esprit saint. Dans l’Ancien Testament, le terme hébreu « Rouah » qu’on traduit par Esprit est le plus souvent du genre féminin.

Une hérésie ?

Des théologiens se sont émus de telles propositions. La théologie inclusive ne serait-elle pas une simple concession à l’air du temps, au détriment du témoignage d’une vérité qui s’est toujours dite au masculin, bref une hérésie, péril au moins aussi mortel pour celles et ceux qui la pratiquent que ne l’est l’écriture inclusive pour la langue française ?

Et en effet, bien des raisons existent de refuser une telle fluidité dans le genre de Dieu. Deux principales : d’une part, la prière chrétienne centrale s’adresse au Père, entité marquée par le genre masculin s’il en est. D’autre part, l’affirmation principale du christianisme, qui le distingue des autres religions monothéistes, est celle de l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ, être humain, mais aussi homme masculin, jusqu’à preuve du contraire.

Quant à Dieu le Père, on peut bien dire qu’il s’agit là d’une dénomination symbolique, qui parle plus de la relation que nous entretenons à lui que de ce qu’il est en lui-même. Dieu, infini, est au-delà de toutes nos catégories, y compris de nos catégories genrées (affirmation partagée, bien sûr, dans le judaïsme et l’islam). Mais Jésus-Christ ? Si en effet, pour ses disciples, Jésus-Christ est vraiment Dieu, alors le christianisme est la seule religion dont on puisse dire littéralement que le Dieu est un homme (masculin). Neutraliser le genre de Dieu, ce serait risquer finalement de le désincarner.

Genre et Trinité

Dieu n’est pourtant pas seulement, dans le christianisme, Père et Fils (incarné). Il est aussi, classiquement, Esprit saint. Il est la Trinité. Il paraît un peu difficile de mettre en cause directement le genre du Père et du Fils sans risquer de dépouiller la foi de toute référence historique, mais cela n’est pas nécessaire.

Qu’en est-il de cette troisième personne ? À supposer que le féminin lui convienne, cela ne voudrait pas dire concéder un tiers seulement de féminité à Dieu. Car dans la Trinité, aucune des trois personnes n’existe pour elle-même. Au contraire, chacune n’existe que dans le mouvement par lequel elle va vers les autres. Ainsi, le Père n’existe qu’à engendrer le Fils, c’est-à-dire à se donner entièrementà lui. Mais inversement, le Fils n’est rien d’autre que l’image du Père. Il n’existe que pour montrer le Père, lui rendre témoignage. C’est d’ailleurs bien pour cela qu’on peut donner à Dieu le nom de Père, parce qu’on le désigne par la relation qu’il entretient au Fils, et non pour ce qu’il est en lui-même et qui reste insaisissable. Et c’est pour cela aussi qu’il nous est connu au masculin, parce que son image, le Fils incarné, nous a été plutôt connue au masculin.

La sainte Trinité, selon Andreï Roublev (1360-1430).

En lui-même, « Dieu le Père » est assurément au-delà du genre, mais que pourrions-nous bien dire de Dieu en lui-même et de ses profondeurs infinies, indépendamment de son image en Jésus-Christ ? Tel est le raisonnement de la théologie trinitaire. Et comment connaît-on le Fils ? Directement ? Certainement pas, il suffit de voir combien de controverses la figure historique de Jésus a pu alimenter. Ses contemporains l’auraient-ils mieux connu que nous, qui n’avons que la science historique pour y accéder ? Peut-être, mais ce n’est pas ce que racontent les Évangiles : Jésus est souvent méconnu, mal compris, et finalement rejeté et même exécuté comme un criminel. Même ressuscité, il n’est pas tout de suite reconnu par ses propres disciples.

Il faut donc un.e troisième pour le reconnaître : l’Esprit saint. L’Esprit Saint est donné par le Fils (qui ne fait rien sinon par le Père dont il est l’image) : il est Dieu soi-même tout autant que les deux autres, mais Dieu en tant qu’il se fait connaître, en tant qu’il est en nous pour nous permettre de le voir, image du Fils comme le Fils est l’image du Père, parce qu’il montre le Fils comme le Fils montre le Père.

La multitude des saint•e•s

On connaît donc le Père sain par le Fils, et le Fils par l’Esprit. Le Fils donne l’image du Père, et l’Esprit donne l’image du Fils. « Les personnes divines ne s’affirment guère par elles-mêmes, mais l’une rend témoignage à l’autre », explique le théologien Vladimir Lossky. En d’autres termes, l’identité du Père est donnée par le Fils, et celle du Fils par l’Esprit. Il n’y a donc personne, en Dieu, pour donner à l’esprit son identité, être son image. C’est pourquoi l’Esprit saint est la figure la plus abstraite de la Trinité (dans le Nouveau Testament, elle est une colombe aussi bien que des langues de feu).

C’est, d’ailleurs, cette indétermination qui permet à chacun.e de la recevoir. Or d’après Lossky, c’est justement de celles et ceux qui le reçoivent qu’en retour on verra affirmée l’identité de l’Esprit : « La multitude des saints sera son image ». Ce sont en effet ces saint.e.s qui en témoigneront, comme il.elle témoigne du Fils, et comme le Fils témoigne du Père. Autrement dit, l’Esprit saint se dira au genre de l’Église achevée (non pas l’une des institutions ecclésiale que l’on connaît, mais l’humanité en communion).

Quel sera ce genre ? Il n’est pas permis de trancher, si l’on ose dire, même si la figure par excellence de la sainteté et de l’Église a toujours été une femme, Marie. En tout cas, il n’est pas permis d’affirmer non plus qu’il.elle soit masculin, et il serait trop facile de s’en tenir au neutre. Pourquoi faudrait-il un seul genre ? Il.Elle sera personnifié.e par la multiplicité des identités réelles, c’est-à-dire notamment les identités de genre, dans la mesure où elles contribuent à définir les personnes réelles que nous sommes.

The ConversationIl y a donc bien place, dans le christianisme le plus orthodoxe, pour Dieu inclusif.ve, pour Dieu masculin.e et féminin.e (avec toutes les variations possibles entre ces pôles). L’Esprit, dont l’image est la multitude des saint.e.s, est le lieu théologique de cette inclusivité. Or, image de l’image du Père, il.elle révèle aussi qu’il y a en Jésus-Christ, et jusqu’en son Père, non pas seulement de l’humain, mais tout ce qui fait l’humain, féminin compris, et toutes les nuances de genre.

Anthony Feneuil, Maître de conférences en théologie, Université de Lorraine

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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