Claude Poissenot, Université de Lorraine
Beaucoup de commentaires se sont développés sur Parcoursup, depuis avant même que cette plate-forme n’entre en fonction. Accusée de bien des maux, elle est particulièrement visée autour de son rôle dans la fabrication ou la reproduction d’inégalités sociales.
Comment expliquer une certaine atonie des lycéens ?
Il est sain que des données se confrontent et des débats se multiplient. Mais par-delà la réalité (ou non) de cette question, on doit constater que la mobilisation n’a guère touché qu’une fraction très ciblée des jeunes (tant dans son ancrage disciplinaire que probablement dans son profil sociologique).
Pour l’essentiel et à l’exception de quelques établissements, les premiers concernés, les lycéens n’ont pas battu le pavé et repris les fréquents appels à se mobiliser venus de leurs aînés. On sait pourtant que les lycéens ont eu l’occasion, à de nombreuses reprises, de se mobiliser dans la période récente (on pense par exemple au CPE en 2006 ou même à la loi travail en 2016) ce qui montre qu’ils auraient pu, eux aussi, prendre le chemin du pavé… surtout en ce cinquantenaire de 1968.
À quoi attribuer cette atonie des lycéens présentés par les détracteurs de Parcoursup comme les premières victimes de ce nouveau mécanisme d’affectation dans l’enseignement supérieur ?
Il fallait remplacer APB
La première hypothèse consiste à considérer que l’ancien système avait montré ses limites. Même si ces cas n’ont pas représenté la majorité (on parle de 5 %), l’application Post Bac avait conduit à des situations dans lesquelles l’accès à certaines formations (STAPS, PACES) résultait de tirages au sort.
Qu’importe la réalité et l’intensité de la motivation personnelle, certains lycéens ont vu leur orientation se jouer au hasard. Certains ont sans doute renouvelé leur candidature cette année. Alors même que les élèves sont pris dans un monde qui leur demande de construire un projet personnel et professionnel qui les implique au cœur de leur identité personnelle, celle-ci était niée par une logique statistique froide et indifférente à chacun.
Les lycéens de 2018 ont assisté à ces scènes désolantes de 2017 (peut-être mise en avant par le jeu médiatique) non sans plaindre ceux qui les précédaient. Et quand un nouveau président et un nouveau ministre leur ont présenté un mécanisme alternatif leur donnant des gages que le hasard n’aurait plus le dernier mot, ils ont sans doute éprouvé un certain soulagement.
Peut-être imparfait, le nouveau système évitait l’arbitraire de l’ancien qui ne pouvait ainsi plus apparaître comme un recours. Le repli sur « c’était mieux avant » n’était pas possible. Et cela ne concernait pas seulement les étudiants des filières potentiellement concernées mais tous les autres au nom d’un principe supérieur de mise à distance de l’aléatoire dans les choix essentiels de son existence. Le hasard est bien la négation de l’autonomie dans la construction de son monde, de la liberté de choisir ou du moins du sentiment de pouvoir le faire.
Les lycéens sélectionnés ont le dernier mot
Par ailleurs, l’idée de Parcousup est passée parce que cette nouvelle application a inversé le rapport de force entre les institutions et les lycéens. Les vœux ont été examinés par les institutions qui les ont classés mais le dernier mot a été confié aux lycéens.
Bien sûr, ceux qui n’ont pas été retenus ne sont pas les plus intéressés par ce changement mais ce renversement discret de la distribution du pouvoir n’est pas anodin. Les établissements le découvrent maintenant qui dépendent de la prise de décision des lycéens là où ils étaient maîtres du jeu sous APB.
Dès lors que les étudiants avaient obtenu une réponse positive à un vœu, ils quittaient le jeu. Les meilleur·e·s élèves ont désormais le pouvoir de choisir et ainsi de remanier ou d’amplifier des hiérarchies établies entre formations.
À la date du 6 juin, près de la moitié des candidats ayant reçu au moins une proposition d’admission (295 577 sur 607 911) ne l’ont pas acceptée définitivement. Sous APB, ils n’auraient pas pu continuer à peser dans ce mécanisme d’attribution des places d’enseignement supérieur aux élèves.
On comprend dès lors l’adhésion des meilleurs élèves à la réforme mais alors pourquoi les moins bons ne sont-ils pas entrés en résistance ?
Parcoursup ou l’impression d’une prise en charge personnalisée
C’est que Parcousup a donné l’impression que les lycéens seraient pris en compte à travers la singularité de leur cas. Chacun de leurs vœux (10 au maximum mais en réalité chaque vœu pouvait être décliné sur des établissements différents donc certains candidats ont totalisé plus de 50 vœux) était examiné et classé avec la garantie du non recours au tirage au sort.
Scolarité, notes du bac de première, lettre de motivation rebaptisée « projet de formation », bulletins scolaires, avis des enseignants (« fiche avenir »), CV, tous ces éléments confortaient les lycéens dans l’idée d’une prise en compte à la fois personnelle et assez globale de leur situation personnelle.
De même l’idée d’un « oui, mais » c’est-à-dire d’un accès à une formation sous réserve du suivi de modules de rattrapage accréditait une prise en charge personnalisée des candidats.
Et c’est sans doute ce sentiment d’un traitement particulier de chacun qui a rendu acceptable cette nouvelle plate-forme. Par-delà les inégalités sociales et la hiérarchisation des élèves, au moins chaque élève n’était plus une boule numérotée dans une machine géante.
Ce sentiment est sans doute discutable là où les candidats étaient nombreux car des destins vont se jouer à des écarts millimétriques mais cela semblera comme une « inégalité juste » pour reprendre l’expression de François Dubet.
« Plutôt les inégalités et la prise en compte de chacun que la loterie » semblent dire les lycéens. Et du coup, le jugement de Parcoursup apparaît comme une reconnaissance personnelle pour ceux qui obtiennent leur vœu ou la possibilité de choisir parmi plusieurs. Comment ne pas être sensible à l’accumulation de réponses positives ? À l’inverse, il peut apparaître violent pour ceux qui restent en attente.
Une hiérarchisation sévère
Parcoursup donne à voir la hiérarchie et la position que chacun y occupe. Dans les mêmes établissements (mais dans certains plus que dans d’autres) les lycéens se découvrent « élus » ou « perdants » d’une compétition qui les implique à titre personnel (quoi de plus personnel qu’un choix d’orientation ?).
L’ensemble des éléments qui forgent leur dossier est pris en compte avec des conséquences visibles. Il est possible que cela produise une modification du rapport des élèves à leurs études. Du choix des options aux appréciations sur les bulletins et à leur CV, ils seront peut-être plus nombreux à penser aux conséquences à venir de leurs décisions tout au long de leur scolarité.
Cela ne fera pas disparaître les inégalités sociales dans la maîtrise de l’information sur le système d’enseignement ou dans la capacité à intérioriser la norme du comportement scolaire mais là où les conséquences étaient jusqu’alors euphémisées ou cachées, elles apparaîtront de façon plus directe.
Le désir de reconnaissance individuelle propre à notre société conduit à l’acceptation des inégalités sociales. C’est désormais vrai y compris dans le cadre des études supérieures. C’est un monde sans fard qui naît. C’est aussi un monde qui ne parvient toujours pas à penser la différenciation en dehors de la hiérarchie.
Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l’IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.