Isabelle Bensidoun, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale; Anne-Laure Delatte, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale et Jézabel Couppey-Soubeyran, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale
Cet article est publié dans le cadre de la série du CEPII « L’économie internationale en campagne », un partenariat CEPII–La Tribune–The Conversation–Xerfi–Canal. Anne-Laure Delatte, directrice adjointe au CEPII, y est responsable du programme de recherche Macroéconomie et finance internationales. Elle répond aux questions d’Isabelle Bensidoun et Jézabel Couppey-Soubeyran.
Une sortie de l’euro est-elle possible en droit ?
En vertu d’un principe de droit international, la lex monetae, chaque État a la possibilité de créer, d’altérer et de remplacer sa monnaie. Le franc pourrait donc être réintroduit par l’État français. Certains contrats avec l’étranger resteraient libellés en euros, mais sinon salaires, prix, prêts immobiliers, PEA seraient convertis en francs. La question est de savoir à quel taux : un taux qui protège les créanciers ou les emprunteurs ?
En 1990, au moment de la réunification allemande, le chancelier Kohl avait décrété des taux de conversion différents selon les contrats. Même décision en Argentine en 2002, lorsque le gouvernement avait décidé le retour au peso après 10 années de taux de change arrimé au dollar. Le taux incontestable au niveau juridique est le taux du jour de la sortie de l’euro. Mais celui qui éviterait que la valeur des emprunts ne grimpe est le taux de change du franc le jour de l’introduction de l’euro (1 euro = 6,56 francs). C’est le gouvernement qui fixe les règles. En Allemagne cela n’avait pas posé de problème majeur, en Argentine les procès ont parfois duré 10 ans…
Imaginons donc un retour au franc, notre monnaie subirait probablement une dépréciation. Quels en seraient les avantages ?
La compétitivité de nos entreprises exportatrices s’en trouverait initialement accrue, mais l’augmentation de leur facture d’importations limiterait les gains et l’inflation engendrée pourrait même les annuler, voire les inverser. Rappelons que l’essentiel de notre commerce se fait à l’intérieur de la zone euro, et pour cette raison, lorsqu’on cherche à concurrencer les produits allemands par exemple, sans recours possible à la dévaluation, c’est le coût du travail qui devient la variable d’ajustement. C’est bien pour cela que les réformes du marché du travail promues par la Commission européenne visent toutes à rendre le travail plus flexible, donc moins cher. Retrouver cette possibilité de dévaluation devrait donc réduire la pression sur les salaires.
Et du point de vue de la politique monétaire, retrouverait-on des marges de manœuvre ?
Pour retrouver une totale autonomie dans ce domaine, il faudrait non seulement sortir de l’euro mais pouvoir faire cavalier seul. Or, même avant l’euro, ce n’était pas le cas. Les pays européens ont signé des accords dès le début des années 1970 pour limiter les fluctuations de leurs monnaies. Pour respecter les limites de variation, la Banque de France était alors largement tributaire de la politique monétaire allemande. Ce manque d’autonomie fut même un motif important du passage à l’euro.
Et dans le domaine budgétaire serions-nous plus autonomes ?
Sortir de l’euro nous affranchirait des critères budgétaires issus du Traité de Maastricht : le Parlement français pourrait voter les budgets sans être soumis à la validation de la Commission européenne. Mais, là aussi, nous resterions largement tributaires de nos créanciers. Si vous prêtez de l’argent à un ami et qu’il continue à vous en demander alors qu’il ne vous a pas encore remboursé, vous hésiterez à lui en prêter davantage… c’est la même chose sur les marchés. Même en abandonnant ses engagements budgétaires européens, l’État français ne pourrait pas baisser les impôts et augmenter les dépenses à sa guise sans susciter la méfiance de ses créanciers. Autrement dit, sortir de l’euro ne nous libérerait pas de la pression des marchés financiers, au contraire.
Quels seraient les principaux inconvénients ?
La principale zone d’ombre porte sur la façon dont on rembourserait nos dettes.
La lex monetae s’appliquerait aux contrats régis par le droit français mais les dettes en droit étranger ne seraient pas converties en francs. Or avec un franc dévalué, les dettes restées en euros deviendraient plus chères à rembourser. L’OFCE a récemment estimé à 35 % du PIB la dette des entreprises françaises qui resterait libellée en euros et celle des banques à 40 % du PIB ! Le renchérissement en francs de cette dette pourrait avoir des effets très déstabilisants sur le tissu économique et financier français, dont il est difficile de prévoir toutes les conséquences.
Quant à la dette publique, elle est entièrement contractée en droit français, ce qui autoriserait donc l’État à la rembourser en francs. Mais gardons en tête que 60 % de cette dette est détenue par des étrangers. Ce changement dans les termes du contrat pourrait être assimilé à un défaut, comme l’ont déjà suggéré les agences de notation, et rendrait beaucoup plus difficile le financement extérieur de l’État.
Y a-t-il une alternative pour relancer le projet européen ?
Il faudrait commencer par restructurer les dettes publiques des pays de la zone euro où elles pèsent le plus (au moins celles de la Grèce, de l’Italie et du Portugal). Retarder les échéances de remboursement des dettes donnerait de l’air aux finances publiques. Ensuite, il sera difficile de stabiliser la zone sans mettre en place des mécanismes de transfert automatiques et permanents entre les États. C’est ce qui existe entre les États américains, pourquoi pas dans la zone euro ? L’Union budgétaire a longtemps été un sujet tabou en Europe mais, en janvier dernier, le Trésor français a fait un pas en recommandant un budget commun européen pour financer l’investissement public et rendre ces transferts possibles. Cela impliquerait de lever un impôt européen et d’accroître le pouvoir de contrôle du Parlement européen.
Bref, deux routes bien distinctes se présentent à nous : soit un retour au franc dont on espère un gain de compétitivité, mais avec des effets très déstabilisants sur la dette des entreprises et une autonomie très relative de la politique économique ; soit on conserve l’euro, mais alors il faut achever le projet et donner une dimension politique à la monnaie européenne. Ces deux options ont le mérite d’être claires.
Pour aller plus loin :
M. Aglietta et N. Leron, « La Double Démocratie : une Europe politique pour la croissance », 2017.
A. Benassy-Quere, « La vie sans l’euro », « Entretiens de l’AFSE : regards croisés sur l’avenir de la zone euro », novembre 2016.
À.-L. Delatte, « Quand les Américains enterrent l’euro », Chroniques économiques, Libération, 1er février 2016.
T. Piketty, J. Adelman et À.-L. Delatte, « How to Save Europe from Itself », Foreign Policy, avril 2016.
Isabelle Bensidoun, Économiste, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale; Anne-Laure Delatte, Directrice Adjointe au CEPII, responsable du programme de recherche Macroéconomie et finance internationales, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale et Jézabel Couppey-Soubeyran, Maître de conférences en économie à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et conseillère éditoriale, CEPII – Recherche et expertise sur l’économie mondiale
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.