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Brad Pitt : « L’éternité n’est pas ma quête »

« Babylon », c’est le film fou des années folles. Sexe, drogue et cinéma à Hollywood dans les années 20-30 : frénétique puis mélancolique, le film de Damien Chazelle est un bel hommage au cinéma.

Damien Chazelle a tourné d’éblouissantes séquences de fêtes, où se fait notamment remarquer la starlette Nellie LaRoy, incarnée par la superbe Margot Robbie (Paramount Pictures).

C’est avec un gag que commence « Babylon » (sortie le 18 janvier), film de Damien Chazelle : comment transporter un éléphant dans le désert californien ? Plus tard, l’éléphant sera l’attraction d’une fête débridée, délirante, orgiaque, dingue, dans la luxueuse demeure d’un magnat du cinéma. Nous sommes en 1926, la « Babylon » de ces temps modernes est Los Angeles, désormais cité « de la luxure et de la décadence », et la nouvelle mythologie a pour nom cinéma.

Cinéaste de la réjouissante comédie musicale « La La Land », du musical « Whiplash », et de « First Man » (consacré à Neil Armstrong, le premier homme à marcher sur la Lune), Damien Chazelle raconte cette fois « une grande épopée américaine », un monde de pionniers qui s’agitent à Hollywood dans les années 1920-1930, dans le film fou des années folles, avec d’éblouissantes séquences de fêtes et de chaotiques tournages simultanés dans des décors de carton-pâte. Fresque d’abord frénétique (plus de trois heures), « Babylon » est lui-même une « folie cinématographique », foisonnante (une centaine de rôles, 250 acteurs, 7000 costumes…), une débauche visuelle qui colle avec le sujet (sexe, drogue et cinéma), la spectaculaire reconstitution d’une époque, un tourbillon énergique et sauvage.
Et dans ce tourbillon, une tornade : la superbe Margot Robbie qui fait un véritable show dans la peau de l’exubérante Nellie La Roy, une jeune comédienne convaincue d’être une star avant même d’en devenir une, étoile brillante puis déchue, un personnage inspiré de la starlette Clara Bow et de Joan Crawford. Gloires et tragédies, Nellie est un personnage parmi d’autres à Los Babylon où les destins se croisent alors que le cinéma devient parlant et que « tout va changer » : star du muet, Jack Conrad (interprété par Brad Pitt) devient ringard, une actrice et chanteuse chinoise (Li Jun Li) va disparaitre des écrans, un musicien noir (Jovan Adepo) devient une vedette, un Mexicain à tout faire (Diego Calva) et habile à régler tous les problèmes est promu producteur…

Elle qui répète que « la vie est une fête », Nellie souffre lors du tournage de sa première scène sonore, la fête est finie, et les lendemains de joie et d’euphorie donnent la migraine, le retour à la morale est annoncé. Alors petite cité poussiéreuse en mutation, Los Angeles est aussi « la ville des rêves qui ne se réalisent pas », et « Babylon » se fait alors mélancolique, dramatique. Le film de Damien Chazelle est un bel hommage au cinéma, à ceux qui le fabriquent et à ceux qui le regardent, à cette formidable « machine à raconter des histoires », qui tourne encore et encore, car « The show must go on ! ».

P.T.

Brad Pitt : « On est plus jetables aujourd’hui »

Brad Pitt, cool, souriant, élégant, lors d’une conférence de presse au Bristol, à Paris.

Dans « Babylon », la star est une star. Fine moustache, cheveux gominés, sourire enjôleur, Brad Pitt y incarne Jack Conrad, un acteur flamboyant au temps du cinéma muet, qui accumule les films, les verres d’alcool et les mariages ratés. « Je ne savais que très peu de choses sur l’ère du cinéma muet, mais j’ai trouvé cette beauté dans le film muet quand je faisais cette recherche pour le personnage que je campe », confiait l’acteur, cool, souriant, élégant, lors d’une conférence de presse au Bristol, à Paris.

« Je ne connaissais pas très bien cette époque des années 1920, je n’en avais pas une grande compréhension, il y a de l’histoire de l’art dans tout ça, on était un peu dans le Wild West, il n’y avait rien auparavant dans ce domaine. Je me suis inspiré de John Gilbert, de Douglas Fairbanks, on s’immerge ensuite dans ce travail, dans ce monde, et avec le scénario de Damien Chazelle, il voulait vraiment faire sentir ce qu’ont pu être les années 1920 et on s’est bien amusés », raconte Brad Pitt, « En vérité, à l’époque, il y avait cette absence de règles, cette liberté avec tous ses excès, tout ce qui nous propulse, dans les années 20 comme aujourd’hui on va toujours de l’avant (…) Lorsque le code de moralité est entré en vigueur dans les années 20, cela a enchaîné la liberté d’expression ».

Au cours d’un long monologue, une critique hollywoodienne explique à Jack Conrad, qu’avec l’arrivée du cinéma parlant, son temps est révolu, qu’il va sortir de l’écran, mais que le cinéma est « plus grand » que lui et qu’il vivra éternellement à travers ses films. « L’éternité c’est pas ça que je recherche, ce n’est pas du tout ma quête », assure Brad Pitt, « Hollywood est une colossale histoire, avec tous les artistes, tous les acteurs et actrices qui sont passés avant nous, nous n’occupons finalement qu’une part minuscule dans cette histoire, nous ne sommes qu’un bip sur la chronologie du temps ».

« La communauté des artistes m’enthousiasme »

Petite moustache et cheveux gominés, Brad Pitt incarne Jack Conrad, un acteur flamboyant au temps du cinéma muet (Paramount Pictures).

« La passion est toujours là, plus que jamais, pour les histoires et ceux qui les racontent, j’aime beaucoup ce que fait la jeune génération, en termes de langage cinématographique », poursuit l’acteur, « Ce qui me surprend quand je parle avec des jeunes de vingt ans sur les tournages, c’est que peu ont vu ces films des années 60 et 70 qui étaient si importants pour moi ». Qu’elle soit usine à rêves ou machine à détruire les individus, il compare Hollywood à l’affrontement avec un serpent à sonnettes. « Pour moi, c’est facile de dire, quand tout est joué, que tout est fait, que ça va être une sortie sereine, on ne sait pas en fait. J’ai eu beaucoup de mal avec la fin du film, j’ai eu beaucoup de discussions sur ce sujet avec Damien Chazelle. Au fur et à mesure que l’industrie du cinéma avance, mon personnage est laissé de côté, abandonné, il quitte son trône, et plutôt que de s’apitoyer il faut apprécier le temps qu’on passe ici au présent. Notre expérience sur cette Terre est éphémère et il faut l’accepter ; regardez David Bowie, qui est parti avec une telle grâce, c’est pour moi une source d’inspiration », confie-t-il.

Poussé hors des plateaux de tournage, « l’endroit le plus magique du monde », ne vivant vraiment qu’entre action et coupez, Jack Conrad ne peut survivre à sa disgrâce. « On est plus jetables aujourd’hui », estime Brad Pitt, regrettant qu’il y ait « trop de smartphones aujourd’hui ». « Tout au long de notre carrière, nous rendons compte à ceux qui financent nos films, et finalement nous devons rester dans le droit chemin. Il y a tant de talents, décrocher un rôle c’est aussi une question de chance et de compromis », constate l’acteur également producteur, dont l’enthousiasme est intact : « Les artistes nourrissent les artistes, et ainsi de suite, ce qui me fascine c’est l’histoire, c’est la communauté des artistes qui m’enthousiasme et est source de joie pour moi ».

Damien Chazelle : « Eviter les clichés sur le vieux Hollywood »

Damien Chazelle sur le tournage de « Babylon » : « Le sujet c’est Hollywood, et c’est fait à Hollywood » (Paramount Pictures).

« Ce n’était pas toujours facile de convaincre les gens autour de moi, mais j’ai eu de la chance parce que Brad Pitt était passionné comme moi par le sujet, et ça a aidé ensuite pour Paramount. Tout le tournage et toute la production du film, on sentait que c’était un peu fou, qu’on avait là un moment assez unique d’essayer de faire quelque chose de différent », précise en français Damien Chazelle (son père est d’origine française), lors d’une conférence de presse au Bristol. Le cinéaste avait bien conscience que « Babylon » serait un projet hors-normes : « Il fallait donner l’impression que c’est un film énorme alors qu’on n’avait pas un budget énorme, il fallait tout planifier pour que chaque centime soit à l’écran ».

« Le sujet c’est Hollywood, et c’est fait à Hollywood », dit le réalisateur, « Il y a quinze ans, j’ai commencé à vivre à Los Angeles, de voir cette ville un peu surréelle, un peu bizarre, je voulais savoir d’où ça vient, pourquoi Los Angeles est comme ça, d’essayer de comprendre son histoire, le début de Hollywood. C’était aussi ce moment spécifique de la transition du cinéma muet au cinéma parlant qui me fascinait, l’histoire de la naissance d’une ville, d’une industrie. Je m’intéressais beaucoup à l’idée de comment des changements technologiques peuvent être en dialogue avec des changements sociaux. Toute la société a changé, est devenue moins libre, moins ouverte, plus limitée ; Hollywood, qui était un cirque où presque n’importe qui pouvait faire n’importe quoi, est devenu une industrie globale, avec Wall Street et les acteurs de Broadway venus avec le cinéma parlant, je pense que c’est à cause de ça qu’on a perdu cette liberté, cette diversité, qu’on trouvait dans le cinéma muet ».

« J’ai commencé à travailler sur ce sujet il y a quinze ans, tout au début le sujet du film c’était de raconter l’histoire de cette transition de manière tragique, en sentant la violence, le côté brutal de ce changement à Hollywood, dans cette époque », raconte Damien Chazelle, « C’est l’idée du cinéma comme spectacle, le mélange de la comédie et de la tragédie, l’absurdité, la beauté, le cauchemar, je voulais que ce soit un film sur le paradoxe de Hollywood, qui est ce mélange d’extrêmes (…) L’idée c’était d’essayer d’éviter les clichés sur le vieux Hollywood, comme un monde toujours très propre, glamour, plus léger qu’aujourd’hui, moins bousculant. On a oublié à quel point les années 20 étaient des années de transgression, presque anarchistes, avec un esprit punk-rock dans l’air. A Hollywood, parce que c’était nouveau, il y a eu encore plus cet esprit de délire, de folie, de pouvoir tout faire, et je pense qu’on a perdu cette vision des années 20, de quelque chose de plus sordide, plus transgressif, et plus humain ».

« Hollywood est très doué pour créer des illusions »

« Babylon » évoque les tournages parfois chaotiques, au début de l’industrie hollywoodienne (Paramount Pictures).

Durant des années, le cinéaste a compilé des événements, histoires, faits-divers, qui ont nourri son scénario : « Chaque fois que je trouvais quelque chose qui me choquait, je me disais qu’il fallait le mettre dans le film, c’est un peu la collection de tout ce qui me surprenait, qui ne faisait pas partie de l’illusion des années 20. Hollywood est très doué à créer des illusions, à raconter parfois des mensonges, il y a toute une histoire cachée, c’est là qu’on trouve les anecdotes, les histoires sur le sexe, la drogue, les moeurs sur les plateaux de tournage, toutes ces choses un peu sordides, sombres, moins glamour, c’est ce qui m’intéressait le plus (…) C’est le paradoxe d’une industrie qui peut créer des œuvres d’art tellement divines, alors que dès qu’on connait la machine derrière ces images et ce qu’il se passait pour de vrai, c’est choquant, il y a eu beaucoup d’horreurs à cette époque, et ça dure toujours, il y a un côté cauchemar avec le rêve, ce paradoxe continue à me fasciner, c’était l’enjeu de ce film de montrer les deux côtés ».

Côté glamour, Damien Chazelle a tourné de longues séquences de fête qui vont entrer dans l’histoire de Hollywood : « C’était presque comme faire une comédie musicale, j’ai travaillé avec la même chorégraphe que pour ‘’La La Land’’, on a fait des répétitions, c’était très précis, on avait la musique sur scène, mais le challenge c’était de cacher la chorégraphie, de donner l’impression aux spectateurs que c’était spontané, naturel (…) C’était important pour moi que ça soit un peu physique, que les spectateurs aient l’impression d’être dans les fêtes, qu’on sente la sueur, le soleil qui brûle, la musique qui nous entoure, que ça devienne sensuel ». Comme pour « La La Land » et« Whiplash », le cinéaste a confié la musique de son film à son complice Justin Hurwitz : « Chaque fois que je finis le scénario, je le donne à Justin et il commence à travailler au piano, on cherche des mélodies. Pour moi, la musique, c’est le temps, l’émotion, c’est toujours un personnage pour moi, ça m’aide à trouver comment je vais tourner le film », dit-il.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Babylon », un film de Damien Chazelle, avec Brad Pitt et Margot Robbie (sortie le 18 janvier).

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