France
Partager
S'abonner
Ajoutez IDJ à vos Favoris Google News

Cinéma : « Les fantasmes » à la carte

David et Stéphane Foenkinos racontent l’intimité de six couples, avec un casting prestigieux : Carole Bouquet, Monica Bellucci, Karin Viard, Suzanne Clément, Céline Sallette, Denis Podalydès, Nicolas Bedos, Ramzy Bédia…

David et Stéphane Foenkinos évoquent six couples, six histoires, dont celle de ce jeune couple, interprété par Joséphine Japy et William Lebghil, qui prend plaisir à ne pas faire l’amour.

De « La Délicatesse » aux « Fantasmes », en passant par une mère « Jalouse » de sa fille, c’est le parcours filmique de David et Stéphane Foenkinos. Partant du principe que « Tout le monde a des fantasmes ! », ils en ont en fait un film à sketches librement inspiré du film australien de Josh Lawson, « The little death ». C’est donc façon « Les Infidèles » (de la bande Dujardin, Lellouche, et compagnie), mais en plus gentillet, que les frères racontent l’intimité et « Les fantasmes » (sortie le 18 août) de six couples, six histoires forcément inégales, au casting prestigieux.

Suzanne Clément et Denis Podalydès incarnent ainsi un vieux couple qui a besoin de jouer au docteur pour pimenter ses ébats. Céline Sallette joue une amoureuse qui découvre qu’elle est excitée par les larmes de son aimé (Nicolas Bedos). Tandis que Ramzy Bédia craque pour la sœur (Joséphine de Meaux) de sa fiancée (Alice Taglioni). Joséphine Japy et William Lebghil forment un couple qui prend plaisir à ne pas faire l’amour, alors que Karin Viard et Jean-Paul Rouve en forment un autre qui prend son pied à être regardé. « Ils sont touchants, les deux, c’est bon enfant », confie Jean-Paul Rouve, « Mais comment ils font les gens, ces couples amateurs qui se filment, par rapport à leur famille, leur métier, je me pose cette question ».

Et puis, il y a ce couple qui est « déjà un fantasme en soi », puisque interprété par Monica Bellucci et Carole Bouquet. Ces deux-là font les cimetières, les hôpitaux, car c’est la mort qui les met dans tous leurs états. « Fantasme c’est une manière élégante pour dire déviance », estime Monica Bellucci. « Il y en a quand même énormément qu’on ne connait pas, il y a tout en fait », s’amuse Carole Bouquet, en découvrant le « Guide des fantasmes » conçu pour la sortie du film, et qui répertorie tous les possibles depuis Ablutophilie jusqu’à Zoophilie. Stéphane Foenkinos admet que « dès l’instant où elles se sont embrassées… », le couple Monica et Carole existait au cinéma. « Il y avait des points communs, outre l’Italie qui est très importante pour elles deux, il y a un parcours, ce sont deux des femmes les plus photographiées et les plus belles au monde, et qui le sont aujourd’hui », dit Stéphane Foenkinos, « Tout ce parcours fait qu’il y avait une entente, des chemins qui seraient amenés à se croiser, et je ne parle pas que de James Bond ».

Interviews croisées

Jusqu’à maintenant, vous n’aviez jamais joué ensemble ?

Carole Bouquet : On s’est croisées, on n’a même pas vraiment papoté ensemble durant toutes ces années, on se croisait dans des festivals, dans des choses de façon très charmante, « Bonsoir Monica, tu es très jolie ce soir… Bonsoir Carole… », c’était tout.

Carole Bouquet : « Monica est un objet de fantasme pour moi aussi »

Monica Bellucci : David et Stéphane ont eu l’idée de nous réunir et ils ont eu raison. Quand on s’est retrouvées sur le plateau, il y a une alchimie naturelle qui s’est faite.

Comment avez-vous accueilli leur proposition ?

Carole Bouquet : Avec joie ! Avec humour et joie quand j’ai vu que c’était Monica. On ne se connaissait pas, la complicité est née sur le plateau ; on avait fait une lecture auparavant, je suppose que si on n’avait pas ri tout de suite et si on avait été gênée, ça aurait été plus difficile, ça nous a amusée et on est devenue comme deux sœurs, et pas deux amantes qu’on n’est pas.

Monica Bellucci : C’était très intéressant, très beau, et même en quelque sorte on a découvert plein de choses. C’est toujours très particulier quand les gens ne se connaissent pas, de se retrouver à jouer des scènes intimes, et tout de suite dans des situations, d’un coup dans un lit, à poil ; ça ne se passe pas tout le temps bien, c’est la représentation de la réalité et pas la réalité. C’est à cause de ça qu’on a pu faire face à cette histoire qui va jusqu’au bout, qui va jusqu’à la mort, c’est l’amour à mort, poussé dans son extrême.

Monica Bellucci et Carole Bouquet dans le même lit, « déjà un fantasme en soi ».

Carole, en quoi le fait que ce soit Monica était important pour vous ?

Carole Bouquet : Elle est un objet de fantasme pour moi aussi, même sur moi ça marche, en tant que femme, oui, forcément. C’est comme si je regarde des films avec Sophia Loren, je marche, je vois une femme somptueuse qui joue avec sa féminité, c’est toute une partie du cinéma italien que j’aime tellement, et de ce pays qu’elle représente tellement tout en vivant en France, mais qui est tellement l’incarnation pour moi de ce que j’aime le plus en Italie, donc oui c’est pour moi un rêve.

Monica Bellucci : Mais pour moi, pareil ; Carole, en Italie, on l’adore, elle est très aimée et très respectée.

Carole Bouquet : On a toutes les deux des têtes de madone, quand on était jeunes. Forcément, pour les Italiens ou les Espagnols, ils ont l’impression qu’ils ont grandi avec nous, d’où objets de fantasmes.

Monica Bellucci : « On va très loin quand même »

Dans ce film, votre sketch qui évoque l’excitation par la mort n’était pas vraiment le plus facile…

Monica Bellucci : C’est la première fois que j’entendais parler de ça, mais en même temps on fait du cinéma aussi pour ça, pour découvrir la partie obscure des humains, je pense que c’est un des fantasmes les plus complexes. Même si j’étais très heureuse de faire partie de cette aventure, il y a eu un moment où j’ai eu un petit doute, on va très très loin quand même. Mais comme les Italiens nous enseignent, ce côté de jouer avec la réalité, des rires, des drames, ça fait partie d’une autre école de cinéma en quelque sorte, et je pense que c’est ça qui est arrivé avec « Les Fantasmes ». C’est cette capacité qu’ont Stéphane et David de raconter avec beaucoup de délicatesse, beaucoup d’intelligence, du respect pour l’humain, et de raconter la folie ordinaire, c’est quelque chose que j’avais déjà vu dans « Jalouse », que j’ai adoré justement ; déjà, on sentait cette capacité de raconter les faiblesses humaines avec énormément de compassion.

Carole Bouquet : Le français est la langue qui parle le mieux du sexe, je le sais de Jean-Claude Carrière, qui avait écrit « Les mots et la chose » ; je lui ai demandé et il m’a dit qu’il n’y avait aucune langue au monde où il y a autant de vocabulaire sur l’acte sexuel, ni autant de variétés possibles par rapport au même acte. Quand on a fait un spectacle ensemble, ça m’amusait énormément de dire tout ça, mais c’était il y a vingt ans. C’est vrai qu’on a un vocabulaire très expressif en français.

L’une et l’autre vous avez fait des choix osés au cours de votre carrière, avez-vous parfois été inquiète ?

Carole Bouquet : Non, mais il y a des choses que je n’ai pas osées faire par contre, des films que j’ai beaucoup aimés quand je les ai vus, quelquefois que je n’ai pas compris ou que je n’ai pas osé faire. Il y a deux exemples assez frappants : il y a le film d’Oshima avec le singe, « Max mon amour », je n’ai pas osé le faire, et le film « Crash » de Cronenberg, je n’ai pas osé le faire. Quand je les regarde, je les trouve très bien, les deux, mais je n’aurais pas été capable de les faire ; il faut le faire avec liberté, il ne faut pas avoir peur, parce que si on a peur, à ce moment-là je n’aurais pas été bien et je ne l’ai pas fait pour de bonnes raisons. Mais quand je vois les films, je me dis que c’est dommage, car j’aurais dû vouloir, mais je ne pouvais pas. Je me suis dit merde je ne l’ai pas fait, mais je n’ai pas osé.

Monica Bellucci : Je pense qu’il faut toujours faire les choses dans le respect de soi-même, c’est la chose la plus importante. Tu fais confiance au réalisateur mais toi, en tant que comédienne, en tant que personne, tu dois te faire respecter. Dans un contexte où tu te sens respectée, tu peux aller plus loin.

Est-ce que cette expérience vous a donné l’envie de rejouer ensemble ?

Carole Bouquet : Oui, oui !

Et vous allez susciter des projets dans ce sens ?

Carole Bouquet : Oui. On verra ce qui va se passer, le désir est là.

Karin Viard : « Ton outil de travail c’est ton corps »

« La situation est vraiment croustillante, c’est très drôle », estime Karin Viard qui joue avec Jean-Paul Rouve un couple qui prend son pied à se filmer lors de ses ébats.

Ce rôle de maîtresse d’école qui cache bien son jeu, c’est ce qui vous intéressait dans le personnage ?

Oui, la situation est vraiment croustillante pour le coup, c’est très drôle, il y a du scrupule, du désir, un désir refoulé, être une bonne mère de famille, une bonne épouse, et puis la soirée gang-bang… Tu imagines que le sexe chez eux est un truc qui n’est pas en lien avec la vie de tous les jours, ils sont chauds comme la braise, mais en même temps ça ne fait de mal à personne, je n’ai pas de jugement là-dessus. C’est plus compliqué quand ça nuit à autrui, qu’il y a de la violence, quand ce n’est pas consenti. Surtout, ce que je trouve assez bien dans le fantasme, c’est que ça se passe toujours à l’endroit du secret, ce n’est pas facile de le dire à l’autre ; et pour l’autre de ne pas être dans le jugement, un fantasme qui se partage ce n’est pas si facile. Dans le secret, dans le mystère, dans l’intimité, c’est assez amusant, savoureux, et c’est aussi quelque chose qu’on partage tous.

Et porter ces tenues sexy, cela vous amusait ?

Ma conception quand tu es actrice, ton outil de travail c’est ton corps. Se trimbaler en maillot de bain ou se déguiser en guêpière, ce n’est pas forcément là où je suis le plus à l’aise, mais s’il faut le faire je l’assume. Je peux faire tous les personnages du monde, je vais être habillée différemment, mais c’est moi qui marche, mon corps c’est quand même mon corps, ma démarche c’est quand même ma démarche, et il y a des choses qui ne sont pas moi jusqu’à une certaine mesure. Mais je peux vous dire que j’ai passé une journée avec une guêpière et que je n’en porterai jamais ! C’est désagréable, c’est contraignant, je n’aime pas ça du tout.

Un rôle comme celui-ci oblige d’être à fond dans le personnage ?

Quand tu es acteur, ce qui est très important, il faut que tu n’aies pas le souci du ridicule ; cette peur du ridicule qui nous menace tous, nous les acteurs on doit la transcender. Cette peur du ridicule, elle va jusqu’au déguisement, et si tu l’assumes complètement c’est ça qui fait rire. Il faut savoir dépasser le ridicule, c’est une chose que j’aime beaucoup. Il y a des acteurs qui ont ça et des acteurs qui ne l’ont pas, et qui ne l’auront jamais. Il y a des acteurs qui jouent en faisant comprendre qu’ils sont moins cons que leur personnage, qu’ils valent beaucoup mieux que leur personnage, des acteurs qui ne veulent jouer que des héros, ce sont des acteurs qui m’intéressent moins que ceux qui ont le courage d’assumer complètement un personnage pour ce qu’il est, dans sa veulerie, dans ses défauts.

Interviews de David et Stéphane Foenkinos

David Foenkinos : « Le fantasme est un révélateur de notre intimité »

Stéphane et David Foenkinos : « On a enlevé les trucs les pires, on a cherché ce qui nous inspire et ce qui peut donner lieu à des histoires », confient les réalisateurs.

Comment avez-vous choisi les fantasmes que vous évoquez dans le film ?

David Foenkinos : Dès le départ, quand on a décidé de faire ce film sur les fantasmes, on a listé tous les fantasmes et réfléchi à ce qui serait le plus cinématographique ; ce qui était important pour nous c’était d’avoir tous types de générations, tous types de couples sociologiques. A la fois, il y avait des fantasmes extrêmement classiques, comment pimenter son couple, et puis des fantasmes un peu plus loufoques, un peu plus extrêmes, mais qui existent tous. On ne connait pas d’adeptes de tous ces fantasmes mais oui, la sorophilie existe.

Stéphane Foenkinos : On a enlevé les trucs les pires, on a cherché ce qui nous inspire et ce qui peut donner lieu à des histoires, au départ on a été sage, avec le fait de jouer des rôles, de se regarder… Après, on a poussé plus loin, il fallait trouver comment se permettre d’en rire, si on est dans la sincérité, si on ne juge pas nos personnages. On ne dénature pas les personnages, on les accompagne, on ne prend pas parti, c’est très important, on voulait que leur amour apparaisse.

Vous vous êtes fixés un curseur, jusqu’où aller dans le récit ?

David Foenkinos : Sur chaque sketch, sur chaque situation, même chaque scène. Sur l’histoire de Karin et Jean-Paul, c’est la crédibilité, sur les autres où ça dérape un peu plus dans l’absurde, on se posait moins de questions. Mais Jean-Paul et Karin, c’était vraiment le point de départ du projet, avant même d’avoir l’idée de faire un film sur les fantasmes, on voulait faire un film avec ces deux-là, on voulait vraiment les réunir, on a l’impression qu’ils ont joué dix fois ensemble mais c’était la première fois qu’ils étaient réunis vraiment au cinéma.

Stéphane Foenkinos : Malheureusement, les fantasmes ont d’abord été considérés comme une maladie par la médecine, les psychiatres les répertoriaient au fur et à mesure. Le mot fantasme est devenu quelque chose de quasiment magique, dans les autres langues c’est le fantôme. Dans le film, on a essayé de faire des degrés différents, certains le partagent, mais souvent il y a en un qui le vit et ne peut pas le partager. Souvent, les fantasmes sont des répressions, c’est pour ça que la psychanalyse les a mis à jour, c’était beaucoup la société, la religion, qui nous imposaient un carcan. Dès l’instant où on sortait de ce carcan, c’est devenu une déviance, ça dépend des religions, des coutumes.

Avec ce titre et ce sujet, le film reste finalement assez chaste…

David Foenkinos : On a fait « La délicatesse », ça n’est pas notre truc d’aller dans un autre univers. On a quand même le sentiment, quand je voyais Jean-Paul et Karin jouer le porno, d’avoir passé un gros cap, pour moi c’était extrême déjà ; ça reste une comédie, qu’on espère grand public, on a ce désir-là, on ne voulait pas aller vers un truc trop sulfureux.

Stéphane Foenkinos : On va enfin montrer notre vrai visage (rires). En tout cas, les comédiens nous poussent à aller plus loin, c’est vrai que c’était un encouragement. Encore une fois, si ça sert le propos c’est ça qui compte, c’est toujours agréable de gratter un peu là où ça fait mal, ou en tout cas de se surprendre. C’est agréable d’écrire à deux, surtout pour ce genre de films, parce qu’on se faisait un peu du ping-pong, c’était à celui qui écrirait une scène encore plus trash que l’autre, mais il faut que ça reste réaliste.

En même temps, si on le réalise, ce n’est déjà plus un fantasme…

Stéphane Foenkinos : C’est ce qu’on dit traditionnellement. Mais je pense que justement, au contraire, si on le vit ça ne l’est plus, mais que si on le partage il le reste. Partout, il y a toujours une partie de choses qu’on n’ose pas avouer, et la première chose qu’on nous a dit c’est les fantasmes, est-ce qu’on doit les réaliser ? Au cinéma, on a une chance supplémentaire, c’est qu’on peut le faire, on peut rentrer dans la chambre à coucher de quelqu’un.

Ce récit multiple imposait une construction de film à sketchs ?

David Foenkinos : Ce n’était pas obligatoire, mais on a tout de suite pensé à plein d’histoires, et ça nous permettait de faire une sorte de radiographie, non exhaustive évidemment. Ce qui nous intéressait, c’est que le fantasme est un révélateur puissant de notre intimité ; certaines fois on l’assume totalement à deux, parfois on ne peut pas l’avouer, parfois on le vit mais on le contraint pour l’autre, ça donnait tous types de rapports au sein d’un couple. C’est une radiographie de plusieurs situations qui permettent d’affronter tous types de réactions, parmi lesquels le réveil de notre intimité, c’est un révélateur de sa frustration.

Dès qu’on dit film à sketches, on a forcément une pensée pour les comédies italiennes ?

David Foenkinos : Bien sûr, on est très vite renvoyé toujours aux mêmes films, évidemment avant toute chose Dino Risi, « Les Monstres », et après Woody Allen, on a revu « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe… » en préparant le film, « Les Infidèles » est aussi un film qu’on aime beaucoup, avec des réalisateurs différents et des univers différents. On a voulu tout faire pour que ce ne se soit pas ressenti comme un film à sketches, c’est compliqué vu qu’on a six histoires différentes, des acteurs différents, on a beaucoup travaillé les transitions, pour donner une unité de ton, on a travaillé visuellement pour qu’une sorte de douceur traverse toutes ces histoires. Souvent la narration longue est privilégiée, c’était excitant d’un point de vue cinématographique pour nous de travailler avec beaucoup d’acteurs, voyager dans des univers sociologiques différents, des lieux, des décors, c‘est ce que permet le film à sketches, d’explorer plusieurs films en un seul.

Propos recueillis par Patrick TARDIT

« Les fantasmes », un film de David et Stéphane Foenkinos (sortie le 18 août).

France