Adaptation de la bédé, des reportages et de la vie de la journaliste Inès Léraud, le film de Pierre Jolivet raconte le déni des autorités, les pressions et intimidations, sur un sujet qui pollue le climat social dans la région.
C’était fin juin, une projection en avant-première organisée par la Nupes du film de Pierre Jolivet, « Les algues vertes » (sortie le 12 juillet), au cinéma Les Baladins à Lannion (Côtes d’Armor). Certains des spectateurs avaient déjà lu la bande dessinée dont ce long-métrage est l’adaptation, « Algues vertes, l’histoire interdite », illustrée par Pierre Van Hove et écrite par la journaliste Inès Léraud, qu’ils avaient peut-être aussi entendue sur les ondes de Radio-France. Captés par ce récit, les spectateurs n’ont rien entendu de l’incident qui s’est déroulé dans le hall du cinéma, ne l’apprenant qu’après le générique de fin, lors du débat suivant la séance.
« Quelques gaillards sont venus nous agresser verbalement », précisait alors Yves-Marie Le Lay, président de l’association Sauvegarde du Trégor-Goëlo, et cible du mécontentement d’un groupuscule se revendiquant du syndicat des Jeunes agriculteurs, et prié ensuite de quitter les lieux par les forces de l’ordre. La composition des membres du débat était trop uniforme, trop « verte » à leur goût : outre Yves-Marie Le Lay, étaient présents Serge Le Quéau du syndicat Solidaires (qui fut le premier à parler des algues vertes à Inès Léraud), Viviane Troadec et Ludovic Brossard de la LPO (Ligue de Protection des Oiseaux), Benoît Allain de la Confédération Paysanne, ainsi que le médecin Pierre Philippe.
Une image de carte postale ternie
Considéré aujourd’hui comme un lanceur d’alerte, ce toubib (joué par Adrien Jolivet) apparait au début du film, alors qu’arrive aux urgences de Lannion, en 1989, le corps d’un joggeur retrouvé sur la grande et belle plage de Saint-Michel-en-Grève. C’était « la plage de son enfance », à cet urgentiste qui avait alors demandé une autopsie ; autopsie jamais effectuée. « La DDASS, ancêtre de l’ARS, ainsi que les services préfectoraux ont fait pression sur la direction de l’hôpital pour que je me taise », assure le docteur Pierre Philippe.
Les algues vertes, à l’odeur d’œuf pourri lors de leur décomposition, alors que se dégage un gaz toxique, ont fait d’autres victimes dans les Côtes d’Armor : un autre joggeur, un chauffeur de camion chargé de leur évacuation, des sangliers, un cheval… Pour mener l’enquête, Inès Léraud (incarnée dans le film par Céline Sallette) s’est installée en Bretagne avec sa compagne (jouée par Nina Meurisse), d’où elle envoyait ses chroniques bretonnes. Pierre Jolivet (cinéaste de « Ma petite entreprise », « Fred », « Force majeure », « Mains armées », « Les hommes du feu »…) a choisi d’axer son film sur « l’aventure personnelle d’Inès », faisant d’elle le personnage central, jusqu’à tourner dans la maison bretonne où elle a vécu.
Ses reportages, la bande dessinée, et maintenant le film (dont elle est coscénariste) sont nourris des témoignages qu’a recueilli la journaliste. Et si on entend les mouettes au générique d’ouverture, l’image de carte postale est ternie par ces algues vertes qui recouvrent quelques baies bretonnes. « Vous voulez faire de la Bretagne une région comme la Lorraine », lui reproche dans le film un délégué de la FNSEA, le puissant syndicat agricole. Les Lorrains apprécieront.
« Un film militant sans tomber dans la caricature »
« Fléau pour la Bretagne », « désastre écologique », « Les algues vertes » empoisonnent la Bretagne, dans tous les sens du terme, le sujet pollue le climat social dans la région, opposant deux mondes irréconciliables, l’agricole et l’écologique. Rien que le fait d’en parler serait donner une « mauvaise image de la Bretagne », première région agro-alimentaire d’Europe. Si la Région Bretagne a finalement alloué une aide de 250.000 €uros au film, après le tournage, la production n’a pas obtenu toutes les autorisations de municipalités, lasses d’être associées à ces satanées algues vertes.
En voulant comprendre « la fabrique du silence », Inès Léraud a relevé des vérités qui dérangent, le déni des autorités, l’influence des lobbys de l’agro, évoquant pressions et intimidations, s’attirant insultes et menaces. « C’est un film militant sans tomber dans la caricature, c’est une fiction tirée de la réalité », estime l’écologiste Yves-Marie Le Lay, « Tout a commencé avec le travail associatif (…) Parfois les vents sont contraires et parfois ils sont portants mais on tient le cap. Je ne me résigne pas à la destruction des biens communs que sont l’eau, la terre, et la mer ».
« Le film met en évidence les pressions dont sont victimes les citoyens », ajoute Ludovic Brossard (LPO), « Les algues vertes, les pesticides, viennent du fait qu’on a laissé l’agro-industrie se développer et trop laissé faire le marché ». « La classe politique n’a pas bonne figure dans ce film », constate Yves-Marie Le Lay, qui sera aujourd’hui à l’Assemblée Nationale, pour la projection du film de Pierre Jolivet organisée par la députée écologiste Delphine Batho.
Patrick TARDIT
« Les algues vertes », un film de Pierre Jolivet, avec Céline Sallette (sortie le 12 juillet).