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La « ligue du LOL », une affaire de cyberharcèlement

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L’article de Libération qui a déclenché toute l’affaire.
Libération

Bérengère Stassin, Université de Lorraine

Le 8 février dernier, un article de Libération révèle qu’une trentaine de journalistes et communicants parisiens membres d’un groupe Facebook, appelé « la ligue du LOL », sont accusés de s’être adonnés à des actes de cyberharcèlement entre 2009 et 2012, en particulier sur Twitter.

Si l’objectif premier de ce groupe était de faire des blagues en privé, certains membres ont progressivement dérivé vers la cyberviolence. Retour sur une affaire malheureuse, mais malheureusement classique de cyberharcèlement.

Sexisme, homophobie, grossophobie : les ingrédients classiques de la cyberviolence

Des études, et notamment des études dédiées au monde adolescent, en France ou à l’étranger, le montrent : la cyberviolence est avant tout une violence de genre. Une violence faite d’insultes sexistes et homophobes, de menaces et de moqueries liées à l’apparence physique, de photomontages dégradants et humiliants, de diffusion non consentie de photos et vidéos intimes (revenge porn).

À cela s’ajoutent le racisme et les insultes liées aux origines ou à la religion ou encore l’usurpation d’identité. Il en est de même dans le monde adulte, comme le montrent les nombreux discours de haine qui s’immiscent à différents endroits du web.

Dans les cas de cyberviolences exercées à l’encontre de célébrités, ces dernières années, on retrouve à chaque fois le même schéma : ce sont plutôt des hommes hétérosexuels qui s’en prennent plutôt à des femmes (Zoë Quinn, Nadia Daam, Marion Seclin, Éloïse Bouton) ou à des hommes homosexuels (Bilal Hassani). Mais cela ne veut pas dire que des femmes ne participent pas à ces raids numériques et que des hommes hétérosexuels n’en sont jamais victimes.

En ce sens, la ligue du LOL n’innove en rien, si ce n’est que les propos n’émanent pas d’adolescents en pleine construction identitaire ou de trolls anonymes pour qui la cyberviolence est une forme d’exutoire, mais de journalistes et de communicants, de professionnels bénéficiant d’une certaine autorité, aimant à se revendiquer pour l’égalité et commandant désormais des articles sur les implications du mouvement #MeToo.

Le témoignage de leurs victimes est pourtant sans appel : ils se sont bien adonnés à de la discrimination, ont publié en ligne des contenus sexistes, grossophobes et homophobes, parfois de manière répétée donc harcelante.

Leur autorité et leur pouvoir les a longtemps protégés, comme ils protègent dans le monde du travail en général ceux et celles qui s’adonnent au harcèlement moral ou sexuel. Leurs jeunes victimes, débutant dans le métier et espérant intégrer un jour les médias pour lesquels ils travaillent et où ils occupent parfois des postes à responsabilité, n’ont pas osé les dénoncer :

« C’était des journalistes qui étaient dans des médias importants, dans des médias influents, dans ceux dans lesquels nous, en tant que jeunes femmes journalistes, on avait aussi envie de travailler. Et la ligue du LOL, c’étaient des gens qui avaient plus de 5 000 followers, sur les réseaux sociaux et donc qui avaient un pouvoir de nuisance, par tous les gens qu’ils rameutaient avec eux. » (Léa Lejeune)

C’était pour rire

Les différents mea culpa des harceleurs du LOL publiés ces derniers jours tentent, sous couvert de l’humour et de la bêtise, de minimiser les actes. Ainsi peut-on lire qu’il s’agissait de « titiller de manière bête », de « gamineries », d’« un grand bac à sable », d’une « cour de récré ».

Interrogé sur cette affaire par la journaliste Louise Tourret, le spécialiste de la violence scolaire Éric Debarbieux déclare :

« Cette ligne de défense de la ligue du LOL me frappe car elle est similaire à celle utilisée par des élèves. “On ne se rendait pas compte que c’était du harcèlement”, disent les membres… Mais, passé 6-7 ans, cette excuse ne tient plus ! »

Au départ, ce groupe est destiné – comme son nom l’indique – à faire des blagues et à se moquer, en privé, de certaines personnes. Alors ils tweetent « pour rire » toutes sortes de propos sur un réseau qui à cette époque n’a pas encore connu le succès et l’audience qu’il connaît aujourd’hui. Ils sont dans l’entre soi – masculin et parisien –, et « entre pairs », ils se payent la tête de ceux et de celles qui ne leur reviennent pas, sans imaginer un instant, qu’avec leurs « blagues » sexistes et homophobes, ils participent à un réel cyberharcèlement. Vincent Glad, le créateur de la ligue, a déclaré :

« J’ai créé un monstre qui m’a totalement échappé. »

Un cyberharcèlement ayant de réelles conséquences sur les victimes :

« Je vivais dans la peur, vraiment. Et il y a toujours cette tension de : Quand est-ce que ça va tomber et sous quelle forme ? » (Florence Porce).

« Pour moi, la ligue du LOL c’est des années de harcèlement, une usurpation d’identité, des attaques basses et gratuites… Clairement ça a défoncé ma confiance en moi et en mes capacités de journaliste. » (Lucile Bellan).

Un cyberharcèlement passé sous silence à l’époque mais qui refait surface une décennie plus tard, lorsque de vieux tweets et messages sont déterrés.

Fragmentation des actions et pérennité des traces numériques

Cette affaire du LOL illustre très bien les rouages du cyberharcèlement et les mécanismes selon lesquels des attaques individuelles et ponctuelles se transforment – par le fonctionnement propre au web aux réseaux sociaux – en véritable harcèlement de meute.

Des cyberviolences exercées de manière répétée constituent bien une forme de cyberharcèlement, mais un contenu « violent » posté une fois par une personne peut aussi se transformer en cyberharcèlement, et ce, par les likes, retweets, partages et commentaires dont il peut faire l’objet. Toutes ces « approbations » lui confèrent un caractère répétitif : « Liker, c’est déjà harceler », scandait le slogan de la deuxième journée de mobilisation nationale contre le harcèlement scolaire (3 novembre 2016). Chacun apporte donc sa pierre à l’édifice.

La répétition peut également venir de la pérennité des traces numériques. Les insultes, les photos intimes ou humiliantes postées à l’insu des victimes sont généralement supprimées des sites sources, mais leur copie et leur partage font qu’elles sont toujours stockées quelque part. Soumises à l’« intelligence des traces », elles peuvent ressurgir à tout moment, des mois, voire des années plus tard, entachant à nouveau l’image et la réputation de la victime, mais entachant également l’image et la réputation des agresseurs, comme en font actuellement l’expérience les harceleurs du LOL, dont certains ont été suspendus par les rédactions qui les emploient.

Insulter une fois une personne en ligne peut donc avoir des conséquences nettement plus importantes que de l’insulter une fois en face à face.

De l’école au monde du travail en passant par l’université

Cette affaire du LOL montre que la cyberviolence est un fléau qui frappe partout, à tout âge et dans tous les milieux : cyberviolence à l’école, entre élèves ou à l’encontre des enseignants, cyberviolence conjugale, cyberviolence au travail, mais aussi à l’université (fac de lettres ou de sciences, école supérieure ou IUT) où régulièrement, au sein de promotions, des « affaires » éclatent et prouvent que le harcèlement scolaire ne s’arrête pas avec l’obtention du baccalauréat.

Les révélations concernant la ligue du LOL ont permis aux langues de se délier et d’anciennes étudiantes de l’école de journalisme de Grenoble ont dénoncé l’existence d’un groupe similaire sur Facebook : l’ultim hate. Et il ne serait pas étonnant que d’autres révélations – dans le champ de la presse ou dans tout autre champ – soient faites ces prochains jours.

Cette énième affaire ne fait que réaffirmer la nécessité de renforcer les campagnes de prévention, mais surtout de développer des dispositifs éducatifs à destination des élèves. Car c’est dès le plus jeune âge qu’on lutte contre le harcèlement et les discriminations : l’éducation aux médias sociaux et à l’intelligence des traces, l’éducation à l’empathie et le développement des compétences émotionnelles, mais surtout l’éducation à l’esprit critique.

Il faut plus que jamais apprendre aux élèves à réfléchir aux contenus qu’ils consultent, publient ou relaient, mais surtout à résister à toute forme d’emprise et à dépasser certains préjugés et stéréotypes liés au genre, à l’origine, à l’apparence physique ou à la classe sociale, à dépasser et à se prémunir des discours de haine. Le droit à une scolarité sans harcèlement, consacré par l’Assemblée nationale le 13 février dernier, allait d’ailleurs en ce sens.The Conversation

Bérengère Stassin, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, membre du CREM, Université de Lorraine

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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