Claire Oger, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Nicolas Léger et Camille Louradour, étudiants du master « Communication politique et publique en France et en Europe de l’Université Paris-Est Créteil ont co-écrit cet article.
Au cœur de l’été, les activités culturelles ne manquent pas pour les touristes présents à Paris. Les Carters, Beyoncé et Jay-Z, ont d’ailleurs profité de leur visite pour tourner leur dernier clip dans le musée le plus célèbre de Paris. Danser et chanter dans un lieu comme le Louvre, et devant des tableaux savamment sélectionnés, a pu être présenté comme un acte politique fort. Mais au-delà, ce musée est le lieu idéal pour s’interroger sur les liens entre communication politique et création, lors d’une petite visite loin de la chaleur des rues parisiennes.
L’exposition « Théâtre du pouvoir », qui s’est achevée tout récemment et qui a été présentée cette année dans la Petite Galerie, a pu en témoigner. C’est d’ailleurs à partir de la visite de cette exposition que la promotion du Master 2 « Communication politique et publique en France et en Europe » de l’UPEC a eu l’idée d’organiser au Louvre l’événement pédagogique qui marque la fin de sa scolarité. Parcours commentés et table ronde ont été l’occasion de réfléchir aux formes de continuité entre les représentations du pouvoir dans la peinture et les formes plus contemporaines de la communication politique : le thème a été abordé par une pluralité d’acteurs liés de près ou de loin à la communication et au pouvoir.
Apportant des points de vue aussi complémentaires que ceux d’un photographe (Sébastien Calvet), d’une historienne et d’une historienne de l’art (Evelyne Cohen et Sophie Picot-Bouquillion), d’un historien spécialiste de l’Assemblée nationale (Bruno Fuligni), d’un architecte (Antoine Brochard) ou encore d’un ancien community manager de l’Élysée (Maxime Taillebois), ce moment d’échange aura été riche en savoirs et en anecdotes, nous permettant de concrétiser les thèmes abordés lors de la visite guidée.
Nous ne développerons ici que deux des points abordés au cours de cette journée : l’art du récit au service du pouvoir et l’importance des projets architecturaux de nature à asseoir sa légitimité.
De l’art du storytelling « à l’ancienne »
Une des salles du Louvre, la Galerie Médicis, peut apparaître comme emblématique de la manière dont la peinture peut se mettre au service du Prince et du récit politique de légitimation de l’autorité. Elle abrite un cycle narratif commandé par la Reine Marie de Médicis au peintre Pierre-Paul Rubens en 1622. Bref rappel historique : suite à l’assassinat d’Henri IV dans les rues de la capitale par Ravaillac, le 14 mai 1610, Louis XIII – alors âgé de 8 ans – est sacré roi pour succéder à son père, le 17 octobre 1610. Dans un contexte politique incertain, la régence est confiée à sa mère, la reine Marie de Médicis.
Installé dans le Palais du Luxembourg, résidence de la reine, le cycle de 21 peintures illustre – au moyen de force symboles et allégories – la vie de la Reine, et il est découpé en trois grandes parties : son enfance, sa vie de reine mariée et sa régence. Deux tableaux y ressortent sans égal, se distinguant par leur largeur (727 cm, contre 295 pour tous les autres). Tout y est mis en place pour établir et renforcer l’autorité de la reine. Le Couronnement de la reine à l’abbaye de Saint-Denis en témoigne : Henri IV, tout d’abord, est complètement effacé et assis au balcon, dans l’ombre, il assiste au couronnement en tant que simple spectateur. On remarque aussi la mise en scène du pouvoir opérée à travers les regalia (la couronne, le sceptre et la Main de la justice) qui sont représentés et portés vers la reine, tandis que des allégories de la Victoire et de l’Abondance versent sur la tête de la reine les bienfaits de la paix et de la prospérité, et que la foule acclame la nouvelle régente.
L’Apothéose de Henri IV et la proclamation de la régence
est le tableau essentiel de la série. En arrivant dans la galerie, c’est la toile à laquelle on faisait face et elle a pour but de légitimer pleinement la position de la reine après la mort de son époux. Henri IV, couronné de lauriers, est arraché à la terre par Jupiter et Saturne et sa mort est pleurée par deux Victoires tandis que la reine se voit remettre, par La France personnifiée, un globe fleurdelisé, symbole du pouvoir. Elle est conseillée par Minerve, la Sagesse, et par la Prudence et la Providence divine lui tend le gouvernail, signe d’autorité.
Écriture de l’Histoire, représentation des lieux géographiques ou des espaces symboliques se rejoignent ici pour mettre en scène et imposer l’autorité politique. Ce n’est évidemment pas l’apanage du seul cycle de Marie de Médicis. Nous avons pu également l’évoquer dans bien d’autres cas, lors de la visite guidée, par exemple avec Le Sacre de Napoléon (1806-1807) de Jacques Louis David.
L’Empereur a commandé cette œuvre dans un but de légitimation du pouvoir impérial et d’ancrage d’une nouvelle dynastie. On y retrouve les regalia, représentés au premier plan, et qui témoignent d’une continuité avec l’histoire de France. Le pouvoir religieux de Rome est également présent dans la composition (bien que le pape soit représenté assis derrière l’empereur et spectateur du couronnement alors qu’il devrait en être l’acteur). Ce tableau rejoint la fonction des portraits royaux officiels, incarnation du pouvoir et de la gloire royale. Il remplit également cette double fonction de la représentation du souverain, telle qu’évoquée par Louis Marin dans Le Portrait du roi : rendre présente la figure royale, mais aussi et surtout renforcer son autorité en procédant à la « mise en réserve de la force dans les signes » : discours d’éloge, récit historique, tableau et médailles opèrent le passage de l’un à l’autre des deux « corps du Roi » évoqués par E. Kantorowicz et commentés par L. Marin.
La mise en scène du pouvoir dans la peinture peut aussi faire appel à des scènes historiques ou mythologiques. David avait d’ailleurs répondu à une autre commande, initialement pour le compte de la couronne. Dans Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils (1789), le peintre représente le fondateur légendaire de la République romaine, comme un modèle de vertu civique, capable de sacrifier la vie de ses propres fils pour sauver la République menacée. Ce retour à l’Antique et cette exaltation morale allaient prendre une autre signification quand David embrasserait peu après le mouvement révolutionnaire avant de devenir député de la Convention. Et la réinterprétation des œuvres fait partie intégrante de leur fonction politique…
Mais la visite du Louvre, qui en fournit de nombreuses autres illustrations à travers la richesse de ses collections, est aussi l’occasion de se pencher sur le palais lui-même, et sur la place singulière qu’occupent les monuments dans l’entreprise de légitimation de l’autorité.
Le pouvoir politique des dorures royales
Le palais du Louvre a beaucoup changé au fil des règnes selon les envies, les besoins ou les caprices des rois. Louis XIV n’a pas échappé à la règle et la réalisation de la galerie d’Apollon est un symbole fort envoyé à tous ceux qui défiaient sa légitimité.
En 1661, Louis XIV avait besoin d’asseoir son pouvoir et d’exprimer son autorité. Après la mort du Cardinal Mazarin, en 1661, le Roi décida de supprimer le poste de ministre principal et de prendre, seul, le contrôle du gouvernement. L’entourage du roi remet en question son statut d’homme d’État qui prouve son autorité par un « coup de majesté ». C’est dans ce contexte que s’engage la rénovation d’une partie du Louvre, et en 1661, la destruction par le feu de la petite galerie et de la galerie des Rois fournit une bonne occasion. Rénovée pour devenir une salle de réception admirée de tous, la future galerie d’Apollon se voulait à la gloire d’un roi tout-puissant. Et c’est donc en 1663, que Colbert, contrôleur général des finances, demande au peintre Charles Lebrun de prendre la direction artistique des travaux et lui donne pour but d’exalter la monarchie.
Le peintre décide d’utiliser le mythe d’Apollon et de mettre en avant ce dieu solaire pour faire écho à celui qu’on appelle, déjà, le Roi Soleil. La comparaison du roi avec un dieu, met en avant les vertus et l’immortalité fantasmée du roi, elle le glorifie et lui rend hommage. De plus, Apollon est un dieu honoré et admiré pour son art et sa beauté, autant de qualités que le roi souhaite s’arroger. Ce jeu autour du soleil permet d’honorer le roi, d’imposer son rayonnement, autant par son omniprésence que par les références à sa personnalité et d’ancrer enfin son autorité dans les murs du palais.
Sophie Picot-Bouquillon, responsable du centre de documentation du service Histoire du Louvre a souligné d’ailleurs lors de la table ronde du 29 juin, l’importance de ces symboles laissés par les souverains, visibles à travers les sculptures qui ornent le Louvre, et qui, toujours présentes au fronton du bâtiment, attestent encore aujourd’hui que le Palais du Louvre n’a cessé d’être un lieu de pouvoir.
La galerie d’Apollon ne sera finalement pas terminée sous le règne de Louis XIV, trop occupé à construire un monument à la hauteur de son pouvoir et de sa gloire, le château de Versailles. Mais la galerie servit de prototype à la future Galerie des Glaces et reste le parfait exemple pour montrer qu’asseoir son pouvoir n’est pas qu’une affaire de guerres ou d’économie.
Enfin, la symbolique des lieux n’a rien perdu de sa force, comme nous avons pu le constater avec le discours d’Emmanuel Macron suite à sa victoire aux élections présidentielles. Les époques changent, mais les lieux restent chargés d’une histoire et d’une mémoire porteuses de sens.
Claire Oger, Professeure en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.